par Virginie Ballet publié le 6 octobre 2021
Comment endiguer les inégalités entre les femmes et les hommes, sources de discriminations et de violences ? En travaillant «en profondeur» sur les stéréotypes de genre, répondent en chœur Gaël Le Bohec, député LREM d’Ille-et-Vilaine, et Karine Lebon, députée Gauche démocrate et républicaine de la Réunion. Les deux élus ont remis ce mercredi à la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale les résultats d’une mission d’information sur les stéréotypes de genre, auquel Libération a eu accès. Renforcement de l’éducation à l’égalité et à la sexualité, formation des fédérations sportives ou encore réaménagement des cours de récré : les deux élus formulent au total une vingtaine de recommandations, fruit de six mois d’auditions.
«Eduquer les parents»
«Dans le travail parlementaire, on agit souvent sur les conséquences, mais finalement assez peu sur les causes. Avec ce travail, on tente d’endiguer le problème dès la racine», explique Gaël Le Bohec, joint par Libération. Professeure des écoles de formation, sa co-autrice, Karine Lebon, se souvient avoir observé les manifestations de ces stéréotypes très tôt en classe : «Ça commence dès la maternelle. Quand on installe des jeux de dînette ou des poupées, les enfants s’en servent de manière mixte sans problème. Mais ça n’est pas toujours du goût des adultes. J’ai déjà entendu des agents communaux dire aux enfants : “Sortez de là, les garçons ! La cuisine, c’est pour les filles”, explique-t-elle à Libé. Ces phénomènes sont à l’œuvre très tôt, signe que le patriarcat, point de départ des violences, est déjà à l’œuvre.»
Citant les travaux de Christine Delphy, sociologue et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), entendue dans le cadre de cette mission d’information, les auteurs du rapport démontrent ainsi comment les stéréotypes de genre s’immiscent déjà avant même que l’enfant ne soit venu au monde, influant la manière dont les parents vont décorer sa chambre, toucher le ventre de la future mère, ou projeter leur vie future avec lui. «La mère imagine à l’avance les séances de shopping qu’elle pourra faire avec sa fille, tandis que le père envisage de jouer au football avec son fils», pointent-ils, soulignant la nécessité «d’éduquer les parents à l’égalité entre les filles et les garçons dès la grossesse». Pour ce faire, ils suggèrent la mise en place de séances d’accompagnements à la parentalité axées sur l’égalité par les mairies ou les caisses d’allocation familiales. «Les stéréotypes de genre peuvent commencer in utero. Il faut mobiliser tous les intervenants à chaque étape de la vie de l’enfant, depuis la parentalité, jusqu’à la scolarité, en passant par la petite enfance», insiste Gaël Le Bohec.
Réformer le congé parental
Les deux élus appellent à masculiniser les métiers de la petite enfance, en fixant un objectif de 40 % d’hommes d’ici à 2030, et à les revaloriser, le tout accompagné d’une campagne d’information visant à davantage de mixité. «Dans ce domaine, tout reste à faire, puisque, selon les données de l’Insee, certaines professions sont quasi exclusivement féminines, à commencer par les auxiliaires de puériculture (99 % de femmes), les agents de service des écoles (98 %), les assistantes maternelles (97 %)», écrivent-ils. «Résultat : l’idée s’installe même chez les plus petits que s’occuper des enfants est une affaire de femmes», déplore Karine Lebon. Autre levier, maintes fois souligné ces dernières années : une réforme du congé parental, afin d’inciter davantage les pères à en bénéficier. Car si le congé paternité a été récemment allongé à 28 jours, dont sept obligatoires, le congé parental, lui, reste largement l’apanage des mères. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), seuls 0,8 % des pères bénéficient de cette mesure, qui permet de cesser de travailler un an pour un premier enfant. Il faut dire qu’il est très peu indemnisé : 398,80 euros pour un congé à temps plein. Rejoignant maintes voix militant pour une réforme ces dernières années, l’OFCE en tête, Gaël Le Bohec et Karine Lebon appellent à rémunérer ce congé sous forme d’un pourcentage du salaire de celui qui demande à en bénéficier.
Autre levier d’importance identifié dans ce rapport : l’Education nationale, et en premier lieu, la formation des enseignants. Celle-ci, déplorent les auteurs, «qu’il s’agisse des professeurs des écoles ou des professeurs du secondaire, se caractérise par son absence de prise en compte des problématiques liées au genre». Il faudrait, prônent-ils, instaurer deux modules de formation obligatoire sur les stéréotypes de genre : l’un en formation initiale, pour les professeurs des écoles et enseignants du second degré, et l’autre, en formation continue. «Cela sous-entend des investissements, pour permettre de bénéficier de remplaçants en nombre suffisants, pour intervenir lorsque les professeurs sont en formation», complète Karine Lebon. Sans quoi, alerte le rapport, «inconsciemment les enseignants jugent filles et garçons selon un “double standard”. Cela est vrai pour les performances et pour les comportements des élèves : l’indiscipline des garçons est tolérée, vue comme un comportement fâcheux bien qu’inévitable, alors qu’elle est stigmatisée et rejetée parfois violemment chez les filles dont on attend la docilité».
Réviser les manuels scolaires
Quant aux manuels scolaires, souvent pointés du doigt, des avancées sont à saluer, relèvent les auteurs, mais il faut désormais s’assurer que les versions les plus récentes sont accessibles à tous et toutes. Ils proposent en outre la création d’un label égalité. «A la Réunion, il m’est arrivé de constater que les manuels dataient parfois de plusieurs décennies», appuie Karine Lebon. «Cette situation est d’autant plus dommageable que le centre Hubertine-Auclert a relevé des biais de genre importants dans les manuels de lecture du primaire, auxquels les éditeurs se sont efforcés de remédier», observe le rapport. Ainsi, alertent les auteurs, quand les manuels de lecture mettent en scène des adultes dans la sphère privée, les femmes «apparaissent comme “femmes à tout faire”, tandis que les pères sont invisibles. Dans les manuels de CP, 70 % des personnages qui font la cuisine et le ménage sont des femmes.» Les mêmes mécanismes ont été relevés dans les manuels du secondaire. Dans les livres d’histoire, malgré une réforme en 2010, les femmes continuent d’être présentées en annexe, et de ne pas être «intégrées dans le récit historique». Idem en Français et en lettres : sur les 13 192 occurrences de noms de femmes et d’hommes réels recensés dans l’ensemble des ouvrages, 6,1 % sont des femmes, contre 93,9 % d’hommes…
Les auteurs veulent aussi corriger les biais en matière d’orientation scientifique, en fixant un objectif de 40 % du sexe le moins représenté dans les classes prépa d’ici à cinq ans. «Si les femmes à l’université, en médecine, odontologie et pharmacie représentaient 64 % des effectifs [en 2019, ndlr], elles n’étaient que 43 % en classes préparatoires aux grandes écoles, 40 % en préparation du diplôme de technicien supérieur (DUT) et seulement 27 % en formation d’ingénieurs. A l’université, plus de 70 % de femmes étaient en lettres et en langues, moins de 30 % en sciences fondamentales et en Staps», relèvent ces travaux. Cet objectif est-il réalisable sans sanction ? Oui, veut croire Karine Lebon, même s’il faudra pour cela secouer les mentalités : «Quand on a abordé ce sujet avec certains directeurs d’établissements, c’était comme si on avait secoué des gousses d’ail devant un vampire. Or, bien sûr que le vivier de talents est là. Les filles ont déjà de très bons résultats dans les filières scientifiques, il suffit de leur présenter des figures inspirantes, et d’augmenter le nombre d’heures dédiées à l’orientation.» Les deux élus entendent présenter le résultat de ces travaux aux différents ministères et secrétariats d’Etat concernés (Education, Enseignement supérieur, Egalité, Enfance) d’ici à la fin de l’année.
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