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lundi 5 avril 2021

Série «Hippocrate», sanitaire à terre


 


par Marius Chapuis   publié le 5 avril 2021

On voudrait la tenir éloignée en ces temps de crise sanitaire, pourtant la deuxième saison de la série, toujours aussi juste dans son exploration sans fioriture des rouages de l’hôpital, s’attache à observer le collectif comme un refuge.

La catastrophe, forcément. Mais pas celle qu’on attend et redoute aujourd’hui dans une série médicale. La cata, c’est celle des moyens de l’hôpital, qui trouve ici une manifestation physique à l’état liquide : une gigantesque inondation liée à une canalisation dans les sous-plafonds qui pète à cause du froid. Chaussures, chaussettes et pantalons gorgés de flotte, c’est tout un hôpital qui s’agite en glissant pour évacuer les patients et sauver le matos. Avec, pour conséquence directe et durable, le transfert du service des urgences dans les locaux de la médecine interne où travaillent les quatre jeunes toubibs qu’on marquait à la culotte dans la première saison d’Hippocrate.

Enthousiasmante relecture française de l’exercice de la série médicale, la série de Thomas Lilti – cinéaste, scénariste et ex-toubib – brillait par sa façon de présenter l’hôpital sans fard ni héros sans sacrifier pour autant le côté addictif du feuilleton. C’était en novembre 2018, autant dire il y a un siècle. Un hiatus source d’une inquiétude injuste : a-t-on encore envie de s’infliger pareille série quand les débats sur le taux d’occupation des lits de réanimation ont remplacé ceux sur le taux de chômage ? Il faut moins de dix minutes pour balayer les doutes, oublier le Covid, et se laisser happer par l’urgence de cette guerre pour trouver le moindre mètre carré utile.

Dans les couloirs exigus de cet établissement de banlieue parisienne, c’est la cour des miracles : un type s’allonge pour soulager une colique néphrétique, un autre se fait percer l’ongle qu’il a ravagé d’un coup de marteaux, tandis qu’un infirmier pose frénétiquement des clous tous les cinq mètres pour y fixer des perfs. Concert d’ambulances : 40 monoxydés débarquent sur le parking enneigé. On trie, on score, on envoie, on bouge, on bouge. Un sous-marin apparaît dans les entrailles de l’hosto. Un placard à balais devient une «boîte à fou». Un lapin se balade – un géant des Glandres, encore un rescapé.

Zombies au chevet des vivants

On aurait presque oublié la beauté de cette langue découverte chez Urgences. Un dialecte où le ton, le débit et le niveau de la voix importent davantage que les mots, incompréhensibles au commun des mortels. On s’accroche aux yeux d’un soignant, à des signaux microscopiques. Une gorge qui se noue, un instant de flottement, un souffle court. Au jeu d’acteurs en somme. Un univers capable de faire valdinguer la stature sacro-sainte de l’expert, qu’on espère calé en tout, quand les gestes qui sauvent sont exposés de façon triviale : «Vas-y, tu mets les doigts comme un flingue, et tu perces la plèvre. Vas-y ! Vas-y !» L’image est bleue, sèche, nerveuse. Le chaos se donne à voir en gros plans. Les respirations de la première saison (à la cantine, en pause clope, etc.), qui permettaient d’entrevoir l’intimité des internes, sont ici évacuées, remplacées par des moments de K.O. debout, où les bips réguliers de la machinerie maintiennent les corps éveillés. «Trente-sept heures que je suis debout, je vais crever», dit un jeune homme au sourire doux. Zombies au chevet des vivants.

On s’accroche à la fragile humanité de soignants souvent trop brusques entre eux, et dont la moindre gentillesse prend une importance démesurée. Le quatuor d’internes campés par Louise Bourgoin, Alice Belaïdi, Karim Leklou et Zacharie Chasseriaud brille toujours autant. Convalescente, Chloë ravale sa morgue et se cherche une place différente de celle de major de promo ; Alysson, petite chose tremblante, semble fleurir aux urgences. Porté disparu, Arben hante l’hôpital tel un Casper mélancolique et attentionné… Une nouvelle fois, Hippocrate utilise ses pioupious pour donner à voir d’autres destins. Petites histoires qui ne trouvent pas toujours de résolution. Des troubles intestinaux de footballeurs juniors aux vœux de silence d’un employé du BTP qui refuse de dire à quel produit il a été exposé, la série agit comme un baume. Dans une société bien décidée à ne plus se regarder qu’à travers de la détresse spécifique de corporations jugées plus ou moins essentielles, cet hôpital devient un refuge du collectif. Une France vue avec les yeux du service public.

Hippocrate saison 2, 8x52mn, à partir du lundi 5 avril sur Canal + et MyCanal.

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