Publié le 30 mars 2021
TRIBUNE
Il n’est pas prouvé que l’impact psychiatrique d’un confinement strict de quelques semaines serait plus important que celui de « la prolongation de demi-mesures de restriction », explique, dans une tribune au « Monde », le chef de service en psychiatrie Antoine Pelissolo.
Tribune. La situation actuelle oblige le pouvoir politique à prendre des décisions sous la pression d’enjeux souvent contradictoires, qu’ils soient sanitaires, sociaux, économiques, ou psychologiques. Depuis un an, nous avons été nombreux, professionnels de la psychiatrie, à alerter sur l’état psychologique de la population.
Que la santé mentale soit désormais prise en compte dans les critères de décision est évidemment une bonne chose, comme l’entrée récente d’une pédopsychiatre au conseil scientifique. Mais les enjeux de santé mentale ne doivent pas être évalués de manière simpliste ni servir de prétexte à des choix politiques qui seraient basés sur d’autres types de considération et contraires aux objectifs sanitaires.
En effet, la dégradation de la santé mentale de la population, indiscutable et inquiétante, est la conséquence de nombreux facteurs : les périodes de confinement bien sûr, mais, plus largement aussi, toutes les mesures durables de distanciation sociale, la maladie et la crainte de la contamination, le stress généralisé et la perte de nombreux supports d’épanouissement et de loisir ; et bien sûr, toutes les difficultés matérielles et financières actuelles ou anticipées.
« La déprogrammation des soins non-Covid touche de nombreux patients souffrant à la fois de pathologies psychiatriques et de comorbidités, fréquentes dans cette population »
L’augmentation très forte des consultations en psychiatrie n’est pas liée de manière univoque aux périodes de confinement ; nous les voyons croître progressivement avec l’allongement de la crise, et on peut s’attendre à des effets à retardement comme souvent après des catastrophes similaires. Aucune donnée scientifique ne permet d’affirmer que l’impact psychologique et psychiatrique d’un confinement strict de quelques semaines serait supérieur à celui de la prolongation, sur plusieurs mois, de demi-mesures de restriction perturbant la vie quotidienne de millions de Français et laissant la pandémie s’étendre très activement.
En revanche, les conséquences psychiatriques de l’augmentation des contaminations et de la saturation des hôpitaux sont, elles, très palpables. La déprogrammation des soins non-Covid touche directement de nombreux patients souffrant à la fois de pathologies psychiatriques et de comorbidités, fréquentes dans cette population, comme les cancers ou les maladies cardio-vasculaires. Leur santé et parfois leur vie sont alors en danger, comme elles le sont en cas de contamination par le Sars-CoV-2, car il est prouvé que les troubles psychiatriques sont des facteurs de risque de formes graves.
De plus, les soins psychiques sont eux-mêmes très fragilisés en cas de saturation des hôpitaux, comme nous l’avons vécu à plusieurs reprises depuis le début de la pandémie, avec la réquisition de personnels et de lits pour accueillir des patients Covid et avec des perturbations très délétères des conditions de prise en charge (suppression des sorties thérapeutiques, interdiction des visites, etc.).
Epuisement des soignants
Par ailleurs, la multiplication des contaminations expose à une augmentation du nombre de Covid longs, qui comportent souvent des symptômes cognitifs et psychiques. Il faut, enfin, penser à la santé mentale des soignants, dont beaucoup sont épuisés et ne pourront pas faire face, encore des mois, à des flux très élevés de patients Covid aux urgences et en réanimation.
En cas de confinement « dur », et même sans cela d’ailleurs, il est bien évidemment indispensable de tout mettre en œuvre pour réduire l’impact psychologique et psychiatrique de ces mesures par un accompagnement social adapté, un renforcement des soins psychologiques, un maintien des liens sociaux des plus vulnérables et isolés, ainsi que par une attention particulière aux personnes vivant avec des troubles psychiatriques ou risquant d’en développer. Mais la santé mentale des Français a tout à gagner à une résolution, ou au moins à l’atténuation franche, la plus rapide possible, de la crise sanitaire, et donc à l’application des mesures adéquates pour y parvenir.
Antoine Pelissolo est psychiatre, chef de service au CHU Henri-Mondor (AP-HP) à Créteil (Val-de-Marne).
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