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mercredi 7 avril 2021

Peau humaine tatouée à vendre contre vie meilleure : retour sur deux siècles d'exhibition glaçante

Par Chloé Leprince  06/04/2021

Au début du XIXe siècle, on faisait ses choux gras de rêves d'empailler, dépecer, ou découper des hommes et des femmes extraordinaires exhibés dans des spectacles très courus.

Dans les fonds de la BNF, cette image de Kabris est légendée : "Joseph Kabris, natif de Bordeaux, Vice Roi et Grand Juge des îles de Mendoça".
Dans les fonds de la BNF, cette image de Kabris est légendée : "Joseph Kabris, natif de Bordeaux, Vice Roi et Grand Juge des îles de Mendoça". Crédits :  Martinet, Bibliothèque nationale de France

L’homme qui a vendu sa peau est le film de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger, le 26 avril prochain. Le pitch fait froid dans le dos : une œuvre d’un artiste flamand, tatouée sur le dos d’un migrant syrien, volontaire, reviendra au collectionneur qui l’a achetée. Après la mort de son porteur, certes. Mais en contrepartie d'une vie meilleure.

Improbable en plus d’être glaçant ? Sauf que le long métrage est inspiré d’une histoire vraie. Le plasticien néerlandais s’appelle Wim Delvoye et c’est lui qui avait ouvert un poste de tatouage, en 2006, à sa galerie de Zurich, Pury & Luxembourg. Il proposait un contrat à un cobaye : se faire tatouer le dos, et accepter d’être exhibé, en contrepartie d’un prix. Et accepter que, à sa mort, la peau de son dos soit dépecée, puis tannée, avant d’intégrer la collection privée de l’acquéreur. Au bout de deux ans, la galerie suisse avait trouvé un acheteur en la personne d’un collectionneur installé à Hambourg. Deux cabinets d’avocats seront mandatés pour ficeler la transaction, à hauteur de 150 000 euros. 

S’emparant de cette histoire, c’est la réalisatrice tunisienne qui ajoutera la dimension Nord-Sud, le contexte de guerre civile syrienne, et l’urgence de l’exil pour des millions de Syriens depuis dix ans que la guerre dépèce leur pays. Mais l’intersection du tatouage et de ce marché ahurissant, sur fond de société du spectacle poussée à son comble, évoque toute une tradition d’exhibition. Ainsi, en octobre 1822, on pouvait lire dans la presse locale du Valenciennois, dans le Nord de la France : “Décès [...] Du 23 Joseph Kabris, ex-vice-roi.” La nouvelle avait mis sept jours à paraître, à la rubrique “Etat civil”, car dans les jours qui avaient immédiatement suivi le décès, le sort de ce mort-là avait fait l’objet d’un petit suspense : un riche industriel de Calais avait des vues sur sa dépouille. En “amateur de choses rares”, il envisageait d’en faire l’acquisition pour l’empailler. Car ce Joseph Kabris, qu'on menaçait de dépecer alors qu'il venait de mourir, était tatoué des pieds à la tête. La municipalité s’empressera de le faire inhumer dans la fosse commune pour l’éviter, rapporte l’historien Christophe Granger dans le magnifique Joseph Kabris, ou les possibilités d’une vie, paru chez Anamosa à l’automne 2020.

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