Extrapoler ces conclusions n’a rien d’aisé. L’étude de dispositifs déjà anciens s’approchant du revenu universel – comme le Fonds permanent en Alaska, qui investit les recettes pétrolières et en distribue les dividendes à la population – montre aussi que les effets sur l’emploi semblent modestes (et plutôt positifs). Mais les résultats d’initiatives limitées dans le temps ou l’espace ne permettent peut-être pas d’évaluer les conséquences sociétales d’un revenu de base permanent et à grande échelle. Les habitudes liées au travail comme aux loisirs pourraient évoluer et ainsi changer les comportements des bénéficiaires, pour le meilleur ou pour le pire.

Quoi qu’il en soit, le principal obstacle au revenu universel reste le même : le financement. La proposition initiale d’Andrew Yang, par exemple, aurait coûté 14 % du PIB annuel, quoique l’addition aurait été réduite en rationalisant d’autres prestations sociales. (À titre de comparaison, l’ensemble du budget fédéral des États-Unis correspondait à 21 % du PIB en 2019.)

L’essentiel des aides fournies aux ménages depuis un an a été financé par de nouveaux emprunts publics. Si les marchés ont été accommodants, il semble peu probable que le rêve d’un revenu universel puisse se réaliser sans poser la question de son financement – et y répondre.

Taxer le foncier et les émissions de CO2

Selon Lee Jae-myung, un revenu de base modeste pourrait être créé en Corée du Sud en ajustant le budget actuel de l’État, mais il admet que des versements plus généreux nécessiteraient des fonds supplémentaires. À cette fin, il privilégie des taxes sur le foncier, les émissions de CO2 et les services numériques. Pour financer son projet (qui ne concernerait que les New-Yorkais les plus pauvres), Andrew Yang, de son côté, propose de faire la chasse aux dépenses inefficaces et de solliciter des philanthropes.

Au milieu du XXe siècle, les grandes expansions de l’État providence ont été rendues possibles par l’esprit de solidarité et de sacrifice né de la Grande Dépression et de la guerre, qui a permis, politiquement, de financer de nouvelles prestations par l’impôt.

Aujourd’hui, l’engouement pour les versements directs repose plutôt sur une approche décontractée de l’endettement public. La fin de la pandémie sonnera peut-être aussi la fin de cette attitude, du moins dans certains camps politiques. C’est à ce moment-là que nous verrons dans quelle mesure la crise du Covid-19 aura fait évoluer la société.