par Margaux Lacroux et et photos Albert Facelly publié le 8 avril 2021
Au sein de l’établissement parisien, les proches de patients hospitalisés dans le service font l’objet d’un soutien particulier grâce à un groupe de recherche interdisciplinaire mis en place il y a vingt-cinq ans. Un suivi encore plus précieux pendant la crise sanitaire.
Dans cet établissement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le service de réanimation travaille depuis vingt-cinq ans sur la communication avec les familles, via un groupe de recherche interdisciplinaire, Famiréa, lancé par Elie Azoulay, chef du service. Grâce à ce dispositif, les familles sont suivies pendant et après le passage de leur proche. Objectif : diminuer les conséquences psychologiques. Le «syndrome post-réa» se traduit par de l’anxiété, de la dépression, du stress post-traumatique ou encore du deuil prolongé. Eprouvés, les outils de l’équipe parisienne se sont révélés d’autant plus précieux depuis le début de la pandémie, au printemps de l’an dernier.
«Restrictions cruelles»
«Tout le monde devrait avoir cette écoute, cette entraide, cet accompagnement, souligne Patrick Rebus, dont le père de 68 ans est intubé et réveillé. On nous dit vraiment les choses, on ne nous cache rien, on voit davantage la progression.» Suzette, sa mère, abonde : «Ça nous permet de mieux dormir. On est moins paniqués, le malade aussi.» Au départ, Suzette allait en réa à reculons. Ils avaient déjà vécu «six mois d’angoisse où on n’avait le droit de rien» dans un autre hôpital, pour un proche lui aussi atteint du Covid.
A Saint-Louis, les familles des patients en réanimation sont accueillies 24 heures sur 24, sans limite de durée ni de nombre de proches, malgré la crise sanitaire. «Ce n’est pas ce qui est recommandé pour les hôpitaux, mais nous avons décidé de ne pas respecter les restrictions cruelles envers les familles», assume le docteur Elie Azoulay. Dans son service, les trois quarts des vingt lits sont actuellement occupés par des malades atteints du Covid. Quelques places sont maintenues pour les patients en cancérologie, hématologie et atteints de maladies rares, d’habitude majoritaires. Les familles sont formées à prendre toutes les précautions, puis évoluent en autonomie.
Lors du premier confinement, l’interdiction des visites n’a duré que quelques jours. Le premier décès sans la présence d’un proche a marqué l’équipe, composée d’une trentaine de personnes. «On s’est rendu compte que c’était très violent, autant pour les patients que pour nous», explique Lara Zafrani, adjointe du service. La famille est un repère qui apaise, lors du réveil des personnes dans le coma mais aussi lorsque le décès est imminent. L’accueil des proches permet également de retracer l’histoire et la personnalité du patient, via une réunion dédiée.
Gestion humaine
Pendant la pandémie, un outil a fait son retour pour renforcer le lien : les carnets de bord. Il sert à combler «le trou réa», la période pendant laquelle un patient est endormi, avec l’assistance des machines. Tous les jours, les soignants y ajoutent des mots sur leur tentative de réveil ou encore sur l’ajustement d’un traitement. «Les familles s’en saisissent aussi, parfois juste pour ajouter les résultats d’un match de foot. Cela permet de se sentir moins impuissant et de montrer qu’on est là», précise Virginie Souppart, infirmière dans le service depuis 2004, désormais détachée pour Famiréa.
Se rendre sur place aide à prendre conscience de l’environnement de la réanimation. Une façon de dédramatiser et de mettre en avant la gestion humaine des malades, loin de la machine de guerre froide parfois fantasmée. Dans le service, pas d’affolement. Le «bip» des moniteurs domine. Dans une chambre, on diffuse une musique appréciée du patient. On ne s’interdit pas de plaisanter dans les couloirs pour décompresser. L’équipe tient le coup coûte que coûte en attendant que la courbe des malades s’infléchisse enfin. Douze lits vont être ajoutés pour se préparer au pic d’arrivées, attendu ce week-end. Un punching-ball vient d’être installé dans un bureau, à la demande d’une aide-soignante. Lors de la première vague, c’est la sidération qui a permis de tenir le coup. Même si la deuxième a semblé moins forte à Saint-Louis, la troisième finit d’éprouver les équipes, dont les angoisses accumulées se font de plus en plus sentir.
«Aujourd’hui, les soignants ne sont plus les seuls au contact des patients, ni les derniers à les voir avant qu’ils ne meurent. La présence des familles permet de répartir ce poids», souligne la psychologue du service, Anne Renet. La stratégie peut cependant être à double tranchant si les proches sont trop envahissants. «On n’en abuse pas, mais on n’a jamais l’impression de déranger. C’est comme si on était intégrés dans le fonctionnement du service au quotidien. Les gens vous demandent toujours comment vous allez. Bien sûr, cela fait partie d’un protocole, mais ce n’est pas artificiel», explique Anne, la cinquantaine, dont le compagnon est en réanimation depuis trois semaines à cause du Covid. Elle a accepté de participer au programme de suivi post-réanimation. Environ 10% des familles refusent. «Je trouve la démarche intéressante. Cela fait partie d’un ensemble, on a l’impression qu’il y a un vrai projet d’accueil des familles ici, malgré cette période de tumulte. La disponibilité de l’équipe est précieuse», souligne Anne, la gorge serrée. Elle a déjà pu échanger avec la psychologue sur place quand elle en avait besoin. C’est seulement le cas dans la moitié des services de réanimation en France. L’équipe de Famiréa la rappellera dans trois mois, puis six, quelle que soit l’issue pour son conjoint.
«Instants volés»
Depuis un an, le réseau Famiréa a continué à évaluer les conséquences de la réanimation sur le bien-être des familles et des patients, à l’aide d’échelles allant de 1 à 10 et d’entretiens. «[La pandémie] a confirmé ce qu’on avait appris en quinze ans, relate la sociologue Nancy Kentish-Barnes. L’interdiction totale des visites est délétère pour tous, non seulement pour les familles et les patients, mais aussi pour les soignants.» Le risque de «deuil compliqué» s’est ainsi accru pour les familles en réa. Le professeur Elie Azoulay complète : «Elles vont deux fois moins bien qu’avant le Covid. Elles ont beaucoup souffert des restrictions d’accès à l’hôpital, des conditions des décès, du fait de ne pas pouvoir dire au revoir à leur proche ni même aller aux funérailles.» De leur côté, les personnes endeuillées pointent les «morts ou les instants volés», précise Virginie Souppart.
Face à ce traumatisme, enrichir le programme de suivi devient encore plus nécessaire. Une ligne d’écoute pour les familles en réa est en phase de test, avec au bout du fil des infirmiers. L’idée était déjà dans les cartons avant la pandémie et l’ouverture est prévue en septembre. «C’est le bon moment pour le faire, assure l’infirmière. Avec le coronavirus, le grand public a découvert ce qu’était la réanimation, la crise sanitaire actuelle nous conforte dans l’idée que les familles vont s’en saisir.»
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