par Eric Favereau publié le 7 avril 2021
Le débat sur la fin de vie médicalisée en France court, s’enlise, rebondit avec la médiatisation de certaines histoires, puis retombe, repart avec des sondages pointant un plébiscite des Français pour le droit à l’euthanasie. Et voilà que surgit un nouvel épisode, avec la proposition de loiqui sera débattue,, ce jeudi, à l’Assemblée nationale, autorisant sous condition une aide active à mourir.
Vingt ans, quatre rapports et trois lois plus tard, une drôle d’impression prévaut devant cet interminable débat : celle d’un immobilisme à la française. En mars 2000 pourtant, le professeur Didier Sicard, alors président du Comité national d’éthique, recommande «une exception d’euthanasie», la justifiant par la nécessité «de sortir de la problématique du pour ou contre l’euthanasie». Les observateurs sont plutôt séduits par ce projet, mais l’exception reste en plan, et en 2002, dans la grande loi sur les droits des malades de Bernard Kouchner, la question de la fin de vie sera évacuée. Pas de clivage politique sur cette question, a tranché Lionel Jospin, alors Premier ministre de cohabitation : il est rappelé dans la loi que «que le patient doit donner un consentement libre et éclairé des actes et traitements qui lui sont proposés», mais on en reste là. Au même moment, la Belgique (loi du 28 mai 2002) dépénalise l’euthanasie, qui devient possible de manière très encadrée.
Un consensus à tout prix
En France, se met en place une démarche politique inédite : la recherche systématique du consensus sur ces questions. Alors qu’éclate l’affaire de Vincent Humbert – un pompier devenu tétraplégique après un accident de la route, en septembre 2000, qui va entreprendre de nombreuses démarches pour obtenir le droit d’être euthanasié −, le pouvoir chiraquien ne veut pas de clivages. Il lance une mission parlementaire menée par le député socialiste Gaëtan Gorce et la députée de droite Nadine Morano. Le duo parcourt la France, découvre combien l’on meurt souvent mal dans nos hôpitaux et fait évoluer la législation sans vraiment toucher à l’euthanasie : ce sera la base de la première loi Leonetti qui institue «le laisser-mourir».
En d’autres termes, il existe un cadre sur l’arrêt des traitements en fin de vie, mais il repose sur un interdit : aucun geste actif pour aider à mourir. La loi fait consensus, mais au prix d’un tabou qui va durer : on ferme les yeux sur le gris des pratiques. Exemple : quand on arrête la réanimation active sur un patient en fin de vie, les réanimateurs prescrivent des produits actifs pour éviter l’étouffement. Le législateur, un brin hypocrite, considère qu’il n’y a pas là d’intention de donner la mort. Est-ce si clair ? Qu’importe, le consensus politique est à ce prix. Et la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, est adoptée le 12 avril 2005 à la quasi-unanimité.
Le suicide de Chantal Sebire
Dans les faits, le flou persiste. Et rien ne va vraiment changer. D’autant que le monde des soins palliatifs s’est construit sur une opposition à tout acte euthanasique, mettant en avant le fait qu’une personne ne réclame plus la mort dès qu’on la soulage de ses douleurs. Mais est-ce toujours le cas ? Un divorce s’installe avec l’opinion, qui constate que leurs proches à l’hôpital meurent parfois sans être entendus ni écoutés. On parle de l’importance des soins palliatifs, mais seul un patient sur cinq en bénéficie. En écho, les sondages notent que les Français, eux, se disent favorables (entre 80% et 90%) à l’euthanasie.
Le décalage est là. Il s’agrandit même. Comme un disque rayé, le scénario se répète avec l’histoire dramatique de Chantal Sébire qui souffre d’une forme rare de cancer déformant son visage. Elle se bat publiquement pour mourir. Sans succès. Et c’est dans la solitude de son appartement qu’elle s’autoprescrit un produit vétérinaire létal, et meurt le 19 mars 2008.
La loi Claeys-Leonetti
On évoque une nouvelle loi. En 2012, dans le programme de François Hollande, la proposition 21 se veut claire : dans des conditions précises, toute personne doit pouvoir «bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité». Il demande un nouveau rapport à Didier Sicard, qui lui sera remis en décembre 2012 et avance un peu plus vers l’euthanasie et le suicide assisté.
On hésite. Nouvelle mission parlementaire. Là encore avec un objectif consensuel. Jean Leonetti, député de droite, travaille avec le député socialiste Alain Claeys. Au même moment, terrifiant contre-exemple, se poursuit la tragédie de Vincent Lambert, infirmier dans un état végétatif depuis un accident survenu en 2008. La loi, dite Claeys-Leonetti, adoptée le 2 février 2016, ouvre de nouveaux droits : elle permet la sédation profonde et continue jusqu’au décès sous conditions, et donne plus de poids aux directives anticipées. Mais sur l’aide active à mourir, la loi reste dans une ambiguïté qui lui a permis, là encore, d’être adoptée à la quasi-unanimité.
Aujourd’hui, cette sédation est peu pratiquée, elle est même souvent refusée. Le débat reste figé. Comme si le refus d’évoquer toute intention de donner la mort interdisait une avancée législative. Ce nouveau projet surgi en plein Covid évoque, lui, ouvertement un geste actif. Il n’est pas consensuel, en tout cas n’induit pas les mêmes clivages. Marquera-t-il la fin d’une ambiguïté de vingt ans ?
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