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vendredi 9 avril 2021

Santé mentale Des thérapies sans prise en charge

Publié le : 18/03/2021 

La pandémie de Covid-19 a un effet majeur sur notre mental. Les symptômes d’anxiété et de dépression sont plus nombreux que d’habitude. Malheureusement, les soins psychiques qui pourraient aider les Français ne sont pas remboursés.

Le moral de la population décline depuis le début de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. D’après Santé publique France, fin janvier, un Français sur cinq souffrait de trouble anxieux et autant de dépression. S’y ajoutent près de 7 personnes sur 10 dont le sommeil est perturbé. Ces chiffres s’avèrent largement supérieurs aux niveaux habituels, déjà élevés. Les besoins en soins psychologiques sont massifs, et ce depuis longtemps. Pour y répondre, les solutions manquent. En temps normal, il faut déjà patienter plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous dans un centre médicopsychologique (CMP). Les cabinets des psychiatres sont eux aussi saturés. En dehors de ces options, c’est au patient d’assumer les frais s’il souhaite s’en remettre à un psychologue ou à un psychothérapeute. Résultat, à peine une personne sur deux bénéficie du suivi nécessaire.

FREINS TROP NOMBREUX

Le principal obstacle au suivi psychologique est financier. Comptez au moins 50 € par séance. Les honoraires varient selon les régions. En Île-de-France, par exemple, le coût d’une consultation s’élève à environ 70 €. Il faut donc débourser plusieurs centaines d’euros si l’on veut bénéficier de soins efficaces sur la durée, ce qui n’est pas toujours possible. Les médecins généralistes, qui sont souvent le premier interlocuteur des patients, ne s’y trompent pas : 91 % d’entre eux estiment que l’absence de remboursement constitue un frein. On peut toujours se tourner vers un psychiatre, dont les séances sont remboursées par l’Assurance maladie. À condition de s’armer de patience, car non seulement la demande est très forte, mais en plus, le nombre de ces professionnels de santé diminue, ce qui aggrave la situation. « L’accès à des soins remboursés est difficile, surtout dans les zones rurales », confirme Pierluigi Graziani, professeur des universités en psychologie clinique et psychopathologie.

Enfin, malgré une prise de conscience à l’occasion de l’épidémie de Covid-19 et des épisodes de confinement, le tabou pèse toujours sur les troubles psychiques, ce qui limite le recours aux soins. « Les gens vont plus facilement voir l’ostéopathe ou l’hypnothérapeute, explique Isabelle Cibois-Honnorat, médecin généraliste à Mirabeau (84). Ils réclament rarement de faire une psychothérapie, c’est plutôt nous qui les orientons. »

UN SUIVI PSYCHOLOGIQUE AVANT UN TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX

Pourtant, les psychothérapies ont montré leur efficacité. Plusieurs approches ont été évaluées et peuvent être proposées : la thérapie d’inspiration psychanalytique, la thérapie d’accompagnement, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC)… La plupart d’entre elles ont prouvé leur intérêt, notamment chez des personnes souffrant de dépression ou d’anxiété. Dans les formes légères à modérées de ces troubles, elles ont un effet comparable à la prise d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs. Elles sont, d’ailleurs, recommandées d’emblée par la Haute autorité de santé (HAS), avant même d’envisager un traitement médicamenteux. « Les soins psychologiques ne sont pas un luxe, il s’agit d’une nécessité, tranche le Dr Cibois-Honnorat. Une souffrance psychique doit être soignée au même titre qu’une cheville cassée. »

Pour l’heure, ce sont les médecins généralistes qui assurent l’essentiel du suivi psychologique. « Entre 15 et 40 % de leur patientèle consulte pour des troubles psychiques, chiffre Pierluigi Graziani. Ils représentent l’interlocuteur naturel auprès duquel les personnes expriment leur souffrance. » Si certains praticiens se sont formés pour répondre à cette demande, ce n’est pas systématique. Le recours aux traitements médicamenteux est par conséquent massif, en lieu et place d’un soutien psychologique, ce que déplore l’Assurance maladie. « Il y a une forte attente vis-à-vis du remboursement des psychothérapies chez les médecins généralistes confrontés à la souffrance psychique », souligne Benoît Schneider, coprésident de la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP).

D’une part, ce remboursement permettrait de les libérer d’une partie de leur charge et d’éviter la prescription de médicaments pas toujours efficaces. D’autre part, davantage de patients pourraient accéder aux soins, et plus rapidement, ce qui réduirait le risque de pathologies associées et de complications. « Une souffrance psychique importante et durable peut en effet s’aggraver si elle n’est pas traitée », précise Pierluigi Graziani.

L’intérêt du remboursement des thérapies n’est pas seulement sanitaire. Il s’agit aussi d’une source potentielle d’économies pour l’État. Les troubles mentaux constituent le premier poste de dépenses du régime général de l’Assurance maladie (20,6 milliards d’euros en 2018), loin devant les cancers et les maladies cardiovasculaires. Ils sont également la cause de nombreux arrêts de travail, de pertes d’emploi et d’une moindre productivité des salariés concernés. Ainsi, dans le cas d’une dépression, ce remboursement permettrait d’épargner presque deux euros pour chaque euro investi (1). « Cela devrait réduire le coût énorme dû à une prise en charge tardive et à une moindre qualité de vie », certifie Pierluigi Graziani.

LA COUR DES COMPTES EST FAVORABLE

Il serait donc plus rentable de rembourser les soins psychologiques dispensés par des psychologues ou des psychothérapeutes agréés que de maintenir le statu quo. C’est d’ailleurs ce que propose la Cour des comptes, qui préconise de « généraliser dès que possible la prise en charge par l’Assurance maladie des psychothérapies faites par des psychologues et prescrites par le médecin traitant ». L’Inspection générale des affaires sociales (Igas), également saisie de la question, se montre plutôt favorable à cette idée.

DES EXEMPLES QUI MARCHENT

Le gouvernement ne semble pas opposé au principe d’un remboursement, mais il émet quelques réserves. En réponse à un récent rapport de la Cour des comptes, le ministère de la Santé explique que « le sujet de la prise en charge par l’Assurance maladie de la psychothérapie appelle des travaux complémentaires. […] L’impact budgétaire d’un remboursement des psychothérapies serait probablement bien plus conséquent que les 85 millions d’euros mentionnés par la Cour. »

Plusieurs expérimentations sont actuellement menées pour le mesurer. L’une, chapeautée par l’Assurance maladie, se déroule dans quatre départements (lire l’encadré). « Elle montre une adhésion très importante des psychologues cliniciens, qui semblent accepter la prescription médicale », commente Pierluigi Graziani. Mais nombre d’entre eux s’opposent à ce qu’ils vivent comme une mise sous tutelle. Ailleurs, c’est un dispositif dédié aux jeunes qui est testé. En outre, des négociations sont en cours avec les représentants des professionnels de la santé mentale.

Des pays ont franchi le pas et proposent un suivi psychologique remboursé. Certains, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, permettent aux patients un accès direct aux psychologues. D’autres, tels que la Suisse ou la Belgique, exigent une prescription médicale. La France aurait tout intérêt à suivre leur exemple.

Remboursement des soins : Une expérimentation semée d'embûches

Depuis 2018, l’Assurance maladie teste, dans quatre départements (Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Landes et Morbihan), l’intérêt de rembourser plusieurs séances de psychothérapie prescrites par un médecin généraliste. Mais cette expérimentation, aux critères stricts, présente de nombreuses limites. À commencer par la population pouvant en bénéficier. Il doit s’agir de personnes souffrant d’anxiété ou de dépression légère à modérée, mais sans antécédents récents. Il faut aussi que le patient et son praticien résident dans le département expérimentateur. Ce détail, le DIsabelle Cibois-Honnorat l’a appris grâce à l’un de ses patients. « J’en ai adressé cinq qui vivent dans les Bouches-du-Rhône à des psychologues participants, sans comprendre qu’ils n’étaient pas inclus parce que je n’exerce pas dans le département », explique cette généraliste de Mirabeau, ville du Vaucluse toute proche des Bouches-du-Rhône.

Bilan préalable

La charge administrative pèse également lourdement : le généraliste prescrit d’abord 10 séances de thérapie de soutien puis fait le bilan. Si nécessaire, il peut ajouter 10 autres de thérapie structurée (1), à condition d’avoir l’accord d’un psychiatre. « Il faut obtenir un rendez-vous dans un délai raisonnable, puisque le dispositif s’arrête au bout d’un an », précise un psychothérapeute prenant part à l’opération. Or, il faut patienter longtemps dans de nombreuses régions. « Nous n’arrivons plus à organiser ces séances supplémentaires, car il n’y a pas de psychiatre disponible », témoigne une psychologue des Bouches-du-Rhône. En 2019, l’Assurance maladie a rendu la procédure plus compliquée : ses services doivent valider tout ajout de patient. « Le numéro de téléphone a changé sans que l’on soit informé. En plus, les horaires d’ouverture sont trop réduits et les temps d’attente en ligne, trop longs », déplore le Dr Lionel Michel, généraliste, également dans les Bouches-du-Rhône. Tout cela a découragé bien des médecins. L’expérimentation a été prolongée jusqu’en 2023 pour une évaluation médico-économique. Mais on peut déjà déplorer ce carcan administratif, qui semble ôter toute chance au remboursement.

(1) Thérapies analytique, familiale, cognitivo-comportementale…

(1) Source : rapport Igas n° 2019-002R, octobre 2019. 


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