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samedi 3 avril 2021

Droits des femmes IVG : cinquante ans après le Manifeste des 343, un droit encore fragile

par Cassandre Leray et Elsa Maudet  publié le 2 avril 2021

En 1971, 343 Françaises osaient révéler dans un texte révolutionnaire qu’elles avaient avorté. Aujourd’hui, le droit à l’IVG est bien installé mais reste précaire, compliqué notamment par le délai de 12 semaines et la double clause de conscience des médecins.

Un coup d’œil dans le rétro permet de réaliser le chemin parcouru. Il y a cinquante ans paraissait dans le Nouvel Observateur un texte sous forme de big bang : le célèbre Manifeste des 343, ces 343 Françaises qui osaient clamer qu’elles avaient eu recours à l’avortement. Des célébrités – Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Marguerite Duras – et des anonymes réunies dans un même combat, celui pour la légalisation de cet acte alors passible de prison. Un acte qui, parce qu’il était interdit, était pratiqué sous le manteau, à coups de cintres et d’aiguilles à tricoter, rythmé par les septicémies, les hospitalisations et, dans le pire des cas, les décès.

Cette réalité, fort heureusement, appartient au passé. On dénombre chaque année plus de 200 000 avortements en France et une femme sur trois y a recours dans sa vie. Reste que le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), «n’est pas tranquille, il faut constamment le défendre», alerte Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes.

Les récents débats parlementaires l’ont prouvé. Mi-février, les députés devaient étudier en deuxième lecture une proposition de loi visant à allonger le délai de recours à l’IVG, le faisant passer de 12 à 14 semaines, et à supprimer la double clause de conscience dont disposent les médecins pour refuser de pratiquer un avortement. Face au déluge d’amendements – plus de 400 – déposés par les élus LR, le groupe socialiste a retiré le texte de son ordre du jour. De quoi faire rager les militantes qui défendent ces deux avancées depuis des années.

«Hypocrisie sans nom»

L’allongement du délai de recours serait une réponse à une réalité déplorable : chaque année, entre 1 500 et 4 000 Françaises – selon les estimations – partent à l’étranger se faire avorter car elles ont dépassé le délai légal. Espagne, Pays-Bas ou Royaume-Uni pratiquent en effet des interventions jusqu’à respectivement 14, 22 et 24 semaines de grossesse. «C’est d’une hypocrisie sans nom puisqu’on les envoie là-bas», note Danielle Hassoun, gynécologue-obstétricienne et ancienne responsable d’un centre d’IVG à Saint-Denis. Et puisque les patientes doivent assumer les frais de voyage et d’intervention, «ce refus d’extension des délais va pénaliser les plus précaires», note-t-elle.

Certains gynécologues-obstétriciens s’opposent à l’allongement du délai de recours, arguant d’une trop grande complexité d’intervention à 14 semaines de grossesse. Nombre de leurs confrères rétorquent que c’est faux et que la profession en est tout à fait capable. L’opposition des premiers revient à «nier tout le sens de l’IVG, qui est de donner le droit aux femmes de choisir si elles veulent être mères ou pas», revendique Ghada Hatem, médecin cheffe de la Maison des femmes, un centre installé à Saint-Denis.

La question de la double clause de conscience, elle, relève avant tout du symbole. Tous les médecins disposent d’une clause leur permettant de refuser de pratiquer un acte contraire à leurs convictions. Il en existe une spécifique pour l’IVG, une précaution datant de la loi Veil, qui visait alors à rassurer les opposants à la dépénalisation de l’avortement. Ce qui signifie que si cette dernière venait à être supprimée, les médecins pourraient toujours invoquer leur clause de conscience. «L’idée n’est surtout pas de forcer des médecins à le faire, mais de dire que l’IVG est un acte médical comme les autres», précise la députée LREM du Var Cécile Muschotti, à l’origine d’un rapport sur l’accès à l’IVG paru l’an passé.

«Changer de département»

Sans même parler d’acquérir des droits nouveaux, les existants sont parfois précaires. «La loi est plutôt bien faite, c’est son application qui coince», résume Danielle Hassoun. En cause notamment : le manque de professionnels pratiquant les IVG. «Des femmes sont parfois obligées de changer de département pour avorter. Et il y a des périodes particulières où l’avortement est difficile d’accès : les vacances scolaires ou quand un médecin part à la retraite et n’est pas remplacé», indique Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial.

Selon les agences régionales de santé, en 2019, 9 % des avortements étaient pratiqués en dehors des départements de résidence des femmes. Et 7,7 % des centres IVG ont fermé entre 2007 et 2017, calculait le Monde cette même année. «Ce sont les femmes les plus vulnérables qui peinent à avoir accès à l’avortement : en zones rurales, les femmes migrantes, les femmes SDF… Les croisements de discriminations augmentent les inégalités», affirme Alyssa Ahrabare, porte-parole d’Osez le féminisme.

Les patientes sont censées avoir le choix entre différentes méthodes d’avortement : médicamenteuse, par aspiration sous anesthésie locale ou par aspiration sous anesthésie générale. Mais faute d’offre à la hauteur de la demande, elles doivent parfois composer avec ce qu’on leur propose. «Il y a des hôpitaux où ils ne proposent que des avortements médicamenteux ou que sous anesthésie générale», constate Danielle Hassoun. Et les conséquences de ce non-choix ne sont pas forcément expliquées aux intéressées. «L’IVG médicamenteuse est préconisée jusqu’à 10 semaines mais on a des femmes qui sont parfois très peu informées car on ne leur a pas expliqué que ça pouvait provoquer des douleurs, des contractions ou des saignements. C’est parfois mal vécu», raconte Alyssa Ahrabare.

Propos culpabilisant

S’ajoute à ces problèmes une réalité difficile à encaisser : encore aujourd’hui, des femmes voulant avorter subissent des pressions ou des propos culpabilisants. «On en a qui ont bien dit qu’elles ne voulaient pas écouter les battements de cœur pendant l’échographie, et le médecin le fait quand même», rapporte Alyssa Ahrabare.

Indépendamment des questions de conviction, la pratique de l’IVG est jugée insuffisamment rémunératrice par les praticiens. Alors certains compensent en appliquant des dépassements d’honoraires fallacieux, d’autres esquivent en proposant des rendez-vous tardifs ou en refusant de pratiquer des avortements au-delà de 10 semaines, alors que la loi l’autorise jusqu’à 12. «Il faut redonner un peu de lettres de noblesse à cet acte car il est extrêmement méprisé. Il faudrait que cela devienne un acte médical comme un autre, une réponse à un besoin de femme pour qui, à ce moment-là de sa vie, une grossesse est la plus mauvaise des nouvelles. Ce n’est pas à nous de décider si une femme doit avoir un enfant ou non», plaide Ghada Hatem.

Dès lors, quelles options sont sur la table ? Les idées ne manquent pas : revaloriser l’acte d’IVG afin qu’il soit plus attrayant pour les médecins, autoriser les sages-femmes à réaliser des avortements chirurgicaux jusqu’à 10 semaines, mettre sur pied un réel répertoire des praticiens vers lesquels les gynécos refusant de pratiquer des IVG réorienteraient les patientes, développer les téléconsultations… Plus largement, Ghada Hatem souhaite un changement d’approche : «Actuellement, on dirait que le réflexe, c’est : “Elle veut une IVG, elle va en chier.” Mais il faut que la société change sa façon de penser et se dise plutôt : “Cette femme veut faire une IVG, on va lui en simplifier l’accès.”» Histoire que, dans cinquante ans, la satisfaction du chemin parcouru ne soit pas ternie par l’ampleur de la tâche restante.



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