par Eric Favereau publié le 29 mars 2021
Recours excessif à la contention, locaux indignes, non-respect des droits des patients… Dans une analyse de 135 rapports issus de 54 départements, l’Union nationale des familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques dresse un état des lieux alarmant du secteur médical. «Libération» y a eu accès en exclusivité.
C’est inédit. C’est la vie au quotidien dans les hôpitaux psychiatriques français, et cela au plus près du terrain. Et que voit-on ? Une foule de petits dérapages. Ce sont des chambres d’isolement sans fenêtre, des médecins absents et qui ne contrôlent pas les pratiques. Des certificats d’hospitalisation qui sont de simples copiés-collés. Des patients enfermés, sans sortie possible, alors qu’ils sont hospitalisés librement. D’autres qui sont obligés d’être en pyjama. Ce sont des mineurs avec des adultes. Des lits dans les couloirs. Des lieux fermés. C’est, au final, un monde de petits arrangements avec la loi, loin des bonnes pratiques que devrait requérir le fait de s’occuper de personnes en très grande souffrance psychique.
Bien sûr, ce constat était connu en partie. Des visites dans des hôpitaux psychiatriques du contrôleur général des lieux de privation de libertés ont pointé, depuis cinq ans, des dérapages. Ils pouvaient donner le sentiment de bavures, de cas à part. Mais il s’agit là d’une tout autre dimension. Car cela dérape partout, dans toute la France. L’Union nationale de familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques (Unafam) vient, en effet, de terminer un travail exceptionnel de collecte des rapports des commissions départementales de soins psychiatriques. La fonction de ces structures est simple : observer, ausculter tout ce qui se passe en termes de soins psychiatriques dans le département, avec pour mission «de veiller au respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes hospitalisées sous contrainte en milieu psychiatrique».
Dans ces commissions, on trouve des psychiatres, des représentants des usagers et, jusqu’en septembre 2019, un magistrat. Chaque année, elles doivent rendre un rapport d’activité.
L’Unafam a collecté 135 rapports provenant de 54 départements, concernant les années 2017, 2018, 2019. Celui de l’année 2020 n’est pas encore achevé pour cause de Covid. En tout, ce sont des moments de vie de plus de 50 000 patients qui ont été ainsi observés. «On peut dire que, presque partout, il y a des violations des droits des patients, des dysfonctionnements graves ou des incohérences problématiques», lâche, dépité, Michel Doucin, administrateur de l’Unafam qui a coordonné ce travail de collecte.
Libération a pu lire cette synthèse (1) en exclusivité. Pêle-mêle, voilà un échantillon de ces mille et un petits scandales, une liste infinie à la Prévert :
Il y a d’abord les locaux, souvent vétustes, souvent innommables, souvent indignes. En Seine-et-Marne, la commission a dressé les «points noirs» constatés ou signalés par les patients : «Insuffisance du chauffage, absence de serviettes de toilette, remplacées par des draps, portions de nourriture insuffisantes, qualité des repas médiocre, chambres à trois voire quatre lits, état dégradé de certaines pièces notamment des sanitaires, saleté des vitres, nettoyées trop rarement, impossibilité pour les patients d’être tranquilles dans leur chambre, difficultés d’accès aux espaces extérieurs pour les patients en fauteuil roulant, absence de sanitaires dans les chambres d’isolement.»
Il y a ces horloges qui n’existent pas. Savoir l’heure est pourtant essentiel quand le temps vous est retenu. Dans le Val-de-Marne, à l’hôpital Albert-Chenevier, «les chambres n’ont pas d’horloge visible, ce qui ôte au patient ses repères dans le temps». Dans l’Orne, concernant les chambres d’isolement, «il a été noté l’importance pour le patient de disposer d’un repère temporel clair, au même titre qu’un dispositif permettant à ce dernier d’appeler, au besoin, l’équipe soignante». Mais, depuis deux ans, rien ne se passe. Dans les Hauts-de-Seine, la commission «a observé que, si les horloges existent bien, elles ont presque toujours été placées dans les couloirs d’accès aux chambres de soins intensifs et ne sont dès lors visibles que pour des personnes en position debout se plaçant devant les fenêtres d’observation ménagées dans les portes. Ceci exclut toute lecture de l’heure pour une personne allongée sur son lit, en particulier si elle est placée sous contention mécanique. La commission a pourtant rappelé qu’il s’agit d’une obligation réglementaire fondée sur un principe thérapeutique, et qu’elle ne peut être ignorée». Mais qui s’en soucie ?
Il y a le temps qui coule. Des délais d’attente, sans fin, comme aux urgences. Au centre hospitalier du Forez (Loire), «le délai d’attente aux urgences est de quatre jours avec un taux d’occupation de 100 % depuis le début de l’année». Et cette remarque : «Le service des urgences n’est pas adapté pour accueillir durant trois ou quatre jours des patients psychiatriques.»
Il y a des hospitalisations qui n’en finissent pas. Dans l’Hérault, ce cas d’école : «Un patient a quitté l’établissement après avoir passé dix-neuf ans dans le secteur fermé, alors qu’il était en soins consentis. Il ne relevait pas d’une hospitalisation en psychiatrie, mais d’un accueil en établissement médico-social.» Toujours dans l’Hérault, «l’attention de la commission a été particulièrement attirée cette année sur la situation des patients dont la durée de séjour hospitalier dépasse cinq ans de présence effective sans rupture. Certains sont en soins sans consentement, mais d’autres ne le sont pas. Manifestement, ils sont en très grande difficulté pour exprimer une volonté, voire hors d’état de le faire. Leur situation échappe ainsi à tout contrôle, la fermeture de la chambre, le recours à la chambre d’isolement et à la contention leur étant par ailleurs imposés».
Il y a les papiers à remplir. Et les consignes à suivre qui ne sont pas suivies. «Dans les régions rurales, il est difficile de trouver un médecin extérieur à l’établissement pour établir le certificat d’admission [sous contrainte] dans les cas de «péril imminent» [pour les patients représentant un danger pour eux-mêmes ou pour les autres, ndlr].» Pour résoudre cette difficulté, l’hôpital de Nemours (Seine-et-Marne) envoie en ambulance un patient relevant d’une admission en «péril imminent» à l’hôpital de Fontainebleau, où il y a une permanence de SOS Médecins. Absurde. Beaucoup de commissions départementales dénoncent ainsi la pratique de «copiés-collés» des certificats médicaux standards. Tous pareils, sans lien avec le patient, comme une bureaucratie qui tourne toute seule.
Il y a ces certificats mensuels non remplis. Ils sont pourtant obligatoires pour les patients au long cours. «A l’hôpital de Jury [Moselle], la visite de l’établissement laisse transparaître de nombreuses carences ; la commission rappelle qu’il est indispensable que le patient soit examiné par le médecin psychiatre tous les mois.»
Il y a ces préfets qui refusent systématiquement toute permission de sortie. Dans le Maine-et-Loire, «il est observé un allongement de la durée des mesures du fait de l’exigence quasi systématique par la préfecture d’un deuxième avis sur les demandes de levées de mesures et pour certains passages en programme de soins».
Il y a ce taux qui n’a pas de raison d’être : 37 % des patients qui sont hospitalisés sans leur consentement sont aussitôt mis en isolement. Pourquoi ?
Il y a l’arbitraire. Là on isole, là non. Au centre hospitalier de Dieppe (Seine-Maritime), «les heures de début et de fin d’isolement ne sont pas renseignées, les motifs de mise en isolement ne correspondent pas à des indications thérapeutiques». Dans les Hauts-de-Seine, «à Antony et Issy-les-Moulineaux, il n’était pas clair que les décisions de mise en chambre d’isolement ou de contention prises par un interne ou par un infirmier devaient toujours être confirmées dans l’heure par la visite d’un médecin auprès du patient». Dans la Loire, «il est souvent constaté que l’usage de la contention et de l’isolement est différent selon les équipes soignantes». Au centre hospitalier d’Allonnes (Sarthe), «lors de la visite d’une chambre d’isolement, on relève que le patient est en chambre d’isolement la nuit mais libre la journée, ce qui est contraire à la loi». A Dieppe, «lors d’une admission, les patients sont systématiquement placés en «chambre d’apaisement», terme qui n’existe pas au regard de la loi et qui correspond donc à un placement en chambre d’isolement. Les membres de la commission constatent que, pour des raisons de sécurité, il y a de plus en plus d’unités fermées». Plus généralement, les comparaisons entre établissements d’un même département pointent des pratiques aux antipodes : «En comparant les pratiques des deux pôles de psychiatrie de Melun et Provins [en Seine-et-Marne, ndlr], le nombre moyen de placements en isolement par patient distinct est près de quatre fois plus faible à Provins qu’à Melun.» Pourquoi ? «A Melun, chaque patient est mis en moyenne près de cinq fois en isolement.» Pourquoi ? «La commission constate une pratique d’isolement globalement importante dans les différents établissements psychiatriques des Hauts-de-Seine, qui peut, pour certains patients, s’étendre à plusieurs mois.» Au Havre (Seine-Maritime), «il a été constaté l’utilisation de chambres d’isolement ouvertes pour pallier l’absence de chambres classiques». C’est le cas dans un grand nombre d’établissements.
Il y a ces droits que l’on ne respecte pas. Un non-respect global. «D’une manière générale, la lecture des dossiers de patients a permis de constater que très peu de récépissés sont signés par les patients eux-mêmes. Trop souvent, ces documents sont signés par un membre de l’équipe soignante, ce qui constituerait «une solution de facilité», pointe l’Unafam dans son rapport de synthèse. Dans l’Hérault, la commission constate «l’accès inhomogène persistant dans les différents services au portable, à Internet et à la télévision sur la base de critères pas toujours accessibles aux patients et à leurs proches. La liberté de circulation des patients vers leur chambre est aléatoire d’une unité à l’autre et sur la base de critères, là encore, inhomogènes». S’agissant des droits des patients, l’Unafam note en conclusion «que les entorses les plus évidentes concernent la liberté d’aller et venir et l’usage du téléphone. Les restrictions à la liberté d’aller et venir comportent des degrés divers. A Meaux [Seine-et-Marne], les portes des services sont fermées en permanence, ce qui oblige les soignants à des allers-retours pour ouvrir la porte aux patients ayant le droit de circuler. Il en va de même à Jossigny. A Provins, le bâtiment, qui abrite un seul service, est fermé. A Nemours, les portes des services sont généralement ouvertes, mais en contrepartie des patients sont maintenus enfermés dans leurs chambres».
Il y a ces mineurs hospitalisés avec les adultes. En Loire-Atlantique, «la situation est critique. La plupart des mineurs, eux, sont considérés en soins libres, ils sont pourtant très fréquemment placés en chambre d’isolement, pour leur propre protection, argumentent les soignants». De plus, «un nombre important de mineurs est de nationalité étrangère et cela pose, de même que pour les adultes étrangers, des problèmes d’accès à leurs droits».
Il y a enfin ces malades qui demandent à voir les membres de la commission. «De façon quasi unanime, les patients rencontrés contestent le bien-fondé de la mesure de l’hospitalisation. Les autres sujets évoqués sont une demande de changement de psychiatre, le mécontentement d’être à trois patients dans la chambre, une demande de transfert en chambre individuelle, le souhait de récupérer des documents de son dossier médical, la nécessité de soins somatiques et de pédicurie, les effets secondaires du traitement, les autorisations de sorties pour pouvoir s’occuper d’animaux au domicile». Etc.
«Ce n’est pas grand-chose, mais cela changerait leur vie», lâche l’administrateur Doucin. Et d’ajouter : «Tous ces rapports sont faits sur papier officiel, avec l’en-tête de l’agence régionale de santé. Il est fait état, parfois, de traitements inhumains. Ce n’est pas rien, et… il ne se passe rien.»
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