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mardi 30 mars 2021

« Le bonheur a résisté au Covid-19, même si le virus nourrit un pessimisme momentané »


CHRONIQUE

Une étude internationale commandée par l’ONU montre une remarquable résilience des sociétés face à la crise sanitaire, mais la France apparaît en retrait, raconte dans sa chronique notre journaliste Jean-Michel Bezat.

Chronique. Peut-on être heureux au temps du Covid-19 ? La question semble cynique à l’heure où le coronavirus poursuit ses ravages à travers le monde après avoir déjà tué officiellement 2,8 millions de personnes. Elle se pose pourtant depuis que le bonheur est un objet d’étude pour les économistes, et que le bien-être est devenu un élément pour évaluer le succès ou l’échec d’une politique. L’interrogation a aussi le mérite de sortir d’un débat polarisé depuis un an sur deux préoccupations : les dégâts de la pandémie sur la santé publique et l’activité économique.

Au fond, que ressentent les hommes et les femmes dans un contexte aussi anxiogène qu’inédit pour eux ? La chasse au bonheur est une quête difficile, l’approche du concept de bonheur tout autant. Les Nations unies, qui lui consacrent, le 20 mars, une « Journée internationale », n’ont pas renoncé à apporter chaque année une réponse globale avec la publication du World Happiness Report. Réalisé avec l’institut Gallup dans 149 pays (95 cette année pour cause de Covid-19), en croisant le sentiment de bonheur avec d’autres facteurs (richesse, solidarités, liberté…), ce rapport offre un tableau unique, sinon parfait.

La question posée est simple : où vous situez-vous sur une échelle de 0 à 10 ? La réponse est inattendue : le bonheur a résisté au Covid-19, même si le virus nourrit un pessimisme momentané. « De façon surprenante, il n’y a pas eu en moyenne de déclin du bien-être dans l’évaluation que les gens font de leur propre vie », constate l’économiste John Helliwell, un des responsables de l’enquête. Si l’on compare l’annus horribilispassée à la période 2017-2019, la note moyenne passe même de 5,81 à 5,85 sur 10. Une « remarquable résilience », résument les experts, dont l’étude ne couvre cependant pas la troisième vague de la pandémie.

Bouleversements du mode de vie

Comment l’expliquer ? Le bonheur est un sentiment profond, parfois insensible à certains bouleversements du mode de vie. Quand les gens peuvent se projeter à long terme, leur résilience est plus forte, diagnostique le rapport. Ils ont aussi constaté une relative égalité face à un virus qui frappe puissants et misérables. Enfin, la gestion de la pandémie a joué, analyse Jeffrey Sachs, économiste à l’université Columbia (New York) et coauteur de l’enquête : en Occident, les dirigeants ont évité de désespérer des citoyens méfiants à leur égard et cherché un équilibre précaire entre mobilisation sanitaire et préoccupations sociales – illustré par la stratégie risquée d’Emmanuel Macron. Le contraire des choix imposés d’une main de fer aux Chinois… dont le sentiment de bien-être a progressé.

Le constat des années précédentes n’a pas changé, le bonheur est dans le Nord. Scandinavie, avec la Finlande en tête, Pays-Bas, Luxembourg, Suisse et Autriche se partagent les dix premières places du palmarès onusien (de 7,2 à 7,9 sur 10), la Nouvelle-Zélande étant le seul pays non européen à y figurer ; l’Afghanistan (2,5) et le Zimbabwe (3,1) occupent les dernières. Autre fait marquant en cette année de Covid-19 : les personnes âgées ont gagné en bonheur. Elles ont certes payé le prix sanitaire au début de la pandémie, mais elles ont été plus protégées que les jeunes, qui payent le plus lourd tribut social face à la crise.

Une économie prospère génère du bien-être ; des acteurs économiques heureux assurent en retour son dynamisme. Il n’en est pas de meilleure illustration que la social-démocratie du nord de l’Europe, où les revenus sont élevés, les inégalités contenues, l’Etat-providence généreux, les libertés assurées et la corruption marginale. Est-ce suffisant ? Cette sécurité donne confiance (« trust ») aux citoyens, un état d’esprit qui s’est révélé primordial dans la guerre sanitaire, soulignent les Nations unies. La confiance entre les citoyens et dans les institutions politiques est un ingrédient essentiel au bonheur.

Excédent de « méfiance »

Ce qui ramène à l’exception de la France. Elle figure à une honorable 21e place (6,7 sur 10). Mais ses citoyens souffrent d’un « déficit de bonheur », rappelle l’économiste Claudia Senik, qui a codirigé, avec Mathieu Perona, Bien-être en France. Ce qui compte (Observatoire du Bien-être, Cepremap, 2020). Et d’un excédent de « méfiance » envers leurs congénères et les institutions. Dans l’enquête Cevipof-Cepremap sur l’effet du Covid-19, intégrée à l’ouvrage, c’est le mot qu’ils citent le plus pour décrire leur état d’esprit, quand les Britanniques et les Allemands évoquent d’abord leur « sérénité ».

Les Français se vivent et se racontent ainsi depuis la fin des années 1970. Un décrochage progressif s’est alors opéré entre un sentiment de bien-être subjectif assez résistant et un pessimisme croissant pour l’avenir et les prochaines générations. Idées sombres et défiance plongent bien sûr leurs racines dans des éléments autres que l’économie : système scolaire, comparaison avec autrui… Elles n’en apparaissent pas moins paradoxales dans un pays qui redistribue 31 % de la richesse créée.

Les Français attendent la manne de l’Etat-providence et la sécurité de l’Etat régalien. Le sentiment que l’un et l’autre ont failli à leurs missions les pousse à se réfugier dans la sphère privée et à accorder une importance démesurée à l’argent. Il fait leur bonheur plus qu’ailleurs en Europe. Cette exception a de quoi inquiéter dans un pays qui va finir par épuiser les ressources de sa politique du « quoi qu’il en coûte ». Ni l’Etat ni la majorité des entreprises n’ont les moyens de leur payer ce bonheur.

L’avenir est-il si sombre ? Après la saignée de la guerre 1914-1918 suivie de la grippe espagnole, l’Europe et l’Amérique avaient vécu une décennie marquée par la reconstruction, la seconde révolution industrielle et une joie de vivre retrouvée. A un siècle de distance, des économistes envisagent – une fois le Covid-19 éradiqué – un retour des Années folles, faites de croissance, de technologies au service des hommes, d’un peu d’insouciance. On peut toujours en accepter l’augure.


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