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lundi 29 mars 2021

Reportage A la Goutte-d’or, des parents ont sifflé la fin des rixes

par Benjamin Delille   publié le 29 mars 2021

En 2016, un groupe de parents de ce quartier populaire du XVIIIe arrondissement de Paris a mis fin aux rixes qui opposaient leurs enfants à ceux du XIXe. Un exemple qu’ils veulent inspirant.

Cela se passe dans un petit local, au milieu d’une rue de la Goutte-d’or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Entre une école polyvalente et la bibliothèque, tout au bout. Tous les premiers mercredis du mois depuis plus de vingt ans, le «Groupe parole parents» de l’association des Enfants de la Goutte-d’or (EGDO) s’y retrouve. Des parents de ce quartier populaire y discutent de l’éducation de leurs enfants, de la vie de leur quartier. Ils viennent rarement les mains vides, désireux de partager des spécialités de leur patelin d’origine, que ce soit en France ou, souvent, à l’étranger. Ils commentent l’actualité. Discutent de leur rapport au monde aussi.

Ces dernières semaines, ils ont tendu l’oreille lorsque, plusieurs fois, il a été question de rixes sanglantes en Ile-de-France. Un problème qu’ils ont bien connu. En 2016, les gamins du XVIIIe retrouvent régulièrement ceux du XIXe pour en découdre. Ils ont entre 12 et 16 ans, s’arment de barres de fer, parfois de couteaux, avant de se retrouver sur le pont Riquet. Il survole les lignes de chemins de fer de la gare de l’Est qui font office de frontière entre les deux arrondissements. Alertée par la coordinatrice sociale du XVIIIe, Lydie Quentin, directrice de l’association des Enfants de la Goutte d’or, l’invite à en parler au groupe. «Leur réaction a été immédiate», se souvient aujourd’hui celle qui anime à chaque fois ces réunions.

«Arrêtez la bagarre !»

Les parents décident alors de rencontrer leurs alter ego du XIXe. Il faut faire quelque chose. «Cela ne concernait pas forcément mes enfants, mais il s’agissait de tous nos enfants, il fallait les protéger»,se rappelle Houda Ben Omrane, une mère du groupe. Tout s’enchaîne rapidement, une rencontre est organisée et on décide de manifester. «On s’est très vite réparti les rôles pour en parler à tout le monde dans le quartier, détaille Houda. Untel en parlera à l’imam qu’il connaît bien, unetelle aux commerçants, le mot a vite tourné. Même les grands frères et les grandes sœurs s’y sont mis.»

Quelques jours plus tard, ils investissent le pont Riquet. Le slogan, presque enfantin, est on ne peut plus simple, histoire de marquer les esprits : «Arrêtez la bagarre !» La première manifestation réunit plusieurs dizaines de personnes, la seconde dépasse la centaine, rassemble même des élus. Ça ne s’arrête pas là : des repas s’organisent, des pastilles vidéos sont enregistrées puis diffusées sur les réseaux sociaux, on rédige même une petite bande dessinée. «Ils ont investi l’espace habituellement occupé par leurs enfants, dans la rue et sur Internet», analyse a posteriori Isabelle Erangah-Ipendo, une psychologue clinicienne qui appuie Lydie Quentin pour animer les réunions. «Les mamans sont allées chercher les papas, et ensemble ils ont montré aux enfants qu’ils tenaient à eux, qu’ils ne pouvaient pas les laisser se battre», enchaîne la directrice d’EDGO.

Elle avoue qu’au début, elle n’y croyait pas. Et pourtant : «Petit à petit, les rixes se sont calmées, il y a eu une trêve qui s’est mise en place entre les gamins.» Même les professionnels du secteur n’en reviennent pas. «On avait déjà mis en place tous nos leviers classiques sans succès, témoigne l’une d’entre eux. Et là, ces parents nous ont épatés. On n’a rien fait d’autre que les soutenir dans leur démarche et ils ont su régler le problème.» A tel point qu’ils seront plus tard invités à raconter leur expérience devant un parterre de chercheurs lors d’un colloque organisé en Seine-Saint-Denis. «C’était assez incroyable, il y avait ces mamans qui parlaient sans gêne face à des hyperdiplômés qui prenaient des notes, se rappelle Sylvie Rubet, maman présente ce jour-là. C’était comme si cette fois-ci, on leur faisait la leçon.»

Thérapie collective

«Ces vingt ans de discussions au sein du groupe, ça leur a donné la confiance pour s’exprimer et prendre des initiatives», analyse Lydie Quentin qui a aussi accompagné les parents dans la réalisation d’un documentaire et d’un livre pour marquer l’anniversaire du groupe. «On se parle, on se soulage, on se compare pour mieux s’aider», témoigne Houda Ben Omrane, dont les cinq enfants ont entre 8 et 19 ans. Presque une thérapie collective. «On l’a créé parce qu’on s’est rendu compte que de nombreux parents du quartier, notamment d’origine étrangère, avaient besoin d’échanger, raconte la directrice d’EGDO. Ils avaient cette sensation que les parents “franco-français” s’en sortaient mieux pour éduquer leurs enfants, comme s’ils ne se posaient pas les mêmes questions qu’eux, alors que ce sont des questions universelles.»

«Ce sont surtout des femmes, mais il y a quelques papas qui viennent de temps en temps», précise Sylvie Rubet. Elle est entrée dans le groupe peu après sa création, en 1999. Presque au même moment qu’Amar Slimani, le père de famille le plus habitué de ces réunions. «Mon fils a 35 ans aujourd’hui, précise cet octogénaire à qui l’on donnerait bien dix ans de moins. On est entrés pour nos enfants, on reste pour ceux des autres.» Ils offrent désormais une oreille à l’écoute des inquiétudes, des angoisses parfois de certaines mères qui doivent faire face aux imprévisibles mutations de leurs adolescents.

Donner une autre image

«Ce qu’on a fait avec les rixes, ça montre aussi que les parents ne sont pas aussi irresponsables qu’on le laisse l’entendre», argumente Sylvie. Pendant les émeutes de 2005, ils avaient aussi réussi à calmer les ardeurs de certains jeunes de la Goutte-d’or, alors que les voitures brûlaient par dizaines dans d’autres quartiers d’Ile-de-France pour protester contre la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois. «On a notre part de responsabilité quand même», tempère Houda. Leur allant vient surtout casser cette image de parents incapables de réagir face à des enfants qui sombrent dans la violence. Cette ritournelle qui revient à chaque drame, enflammée par les réseaux sociaux qui sont devenus un terreau nouveau pour les rixes. «Il faut faire participer les acteurs locaux», résume Lydie Quentin. De quoi questionner la stratégie de certains élus qui réclament des moyens drastiques, des policiers en nombre, pour intervenir rapidement, punir les fauteurs de troubles. Ce qui, de fait, permet d’étouffer le scandale jusqu’à la prochaine bagarre.

L’exemple des parents de la Goutte-d’or renvoie aussi une autre image de leur quartier. Une zone bien délimitée entre le boulevard Barbès et les voies de la gare du Nord, le boulevard de la Chapelle côté sud. Une sorte de village, où tout le monde se connaît, où les enfants reviennent irrémédiablement. Ils regrettent qu’au-dehors, la Goutte-d’or rime avec ses problèmes, ses mineurs isolés ou ses trafics en tout genre. Ils regrettent ce regard, plein de méfiance et parfois de mépris, là où eux voient un trésor de souvenirs, malgré les difficultés. «Ces gamins ne comprennent pas la mort, il faut leur expliquer, souligne Sylvie Rubet. On aimerait juste que notre exemple ait quelque chose d’inspirant.»


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