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mardi 30 mars 2021

L’art, une bouffée d’oxygène bienvenue dans les Ehpad

Par   Publié le 26 mars 2021

Danse, musique, théâtre, arts plastiques… Les initiatives se multiplient pour offrir aux personnes âgées des moments d’évasion.

Rayonnante, Malou, 99 ans, crève l’écran. Mercredi 24 février, à l’Ehpad La Cerisaie, à Chambéry, en Savoie, elle raconte, via Zoom, son premier travail, celui de tisseuse de toile de parachute, à Lyon. Elle avait 16 ans. Précise, elle montre la façon dont elle activait quatre métiers à la fois. Bras qui actionnent la machine de haut en bas, mains qui glissent de droite à gauche en rythme avec la navette, ses mouvements sont nets. Ils sont observés et repris en direct, sous la houlette du chorégraphe Alexandre Roccoli, par des jeunes gens masqués installés sur le plateau de l’Espace Malraux, à Chambéry.

Cette transmission est l’un des ateliers intergénérationnels proposés autour de la mémoire du corps par Alexandre Roccoli. Il est programmé dans une dizaine d’Ehpad, en lien avec des institutions comme l’Espace Malraux ou le Musée des beaux-arts, à Lyon. « Ces actions nourrissent mes spectacles et permettent à ces personnes de retrouver un imaginaire du corps, souligne-t-il. Reconstituer avec elles un passé que l’on oublie, en particulier celui de la classe ouvrière, à travers des gestes comme tisser ou nourrir les animaux à la ferme, est fondamental. La danse est un art majeur qui doit repriser ces mouvements anciens dans le corps des autres. »D’un Ehpad à l’autre, Alexandre Roccoli réalise aussi un Web documentaire, cosigné avec Catherine Vilpoux.

Parce que cette pandémie intensifie la solitude des seniors en Ehpad, de nombreux artistes imaginent des dispositifs. La danseuse Lou Cantor cherche à « faire émerger les souvenirs de danses d’hier » avec des femmes de la Maison de famille, à Puteaux. La pianiste Madeleine Cazenave va offrir, entre le 7 et le 9 avril, un concert sur un piano-remorque devant une maison de retraite, à Vitré (Ille-et-Vilaine)… La danse, la musique, mais aussi le cirque, le théâtre taillent des brèches dans les murailles.

Le thème du soin

Et les bienfaits circulent dans tous les sens. « Les personnes en fin de vie m’ont appris qu’un micromouvement peut devenir un grand geste car on s’augmente les uns les autres », glisse le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing qui prépare le spectacle Forme(s) de vie, avec deux résidents de La Maison, à Gardanne (Bouches-du-Rhône). « La vieillesse est le meilleur endroit pour comprendre mon métier de porteur-acrobate, affirme l’artiste de cirque Alexandre Frey. Depuis 2006, dans le cadre de mon projet « Grand-Mère », je porte des femmes à bras-le-corps ou sur mon dos. A travers cette action qui parle de soin, de confiance, elles retrouvent en décollant du sol des sensations qu’elles n’avaient plus et ne s’attendaient pas à revivre. »

Le thème du soin revient régulièrement dans la conversation. « C’est un sujet particulièrement intéressant dans cette période de transition, affirme Marie-Pia Bureau, directrice de l’Espace Malraux. Pendant le premier confinement, nous avons fait le constat, avec les artistes associés comme Phia Ménard ou Fanny de Chaillé, que la société est en mal de rituels, ne sait plus quoi faire de ses vieux, ni comment enterrer ses morts. Pour soi-disant les protéger, elle les isole et les cache. » Dans la foulée, Marie-Pia Bureau élabore le programme Les artistes dans les Ehpad. « En cherchant aussi à faire évoluer la fonction du théâtre qui ne peut plus être seulement un lieu de représentation », précise-t-elle.

Clotilde Rogez, directrice d’EHPAD : « Nous voulons montrer la vieillesse autrement 
qu’en termes de dépendance et de vulnérabilité »

Dans ce désir de métamorphose des structures culturelles, des relations se tissent avec l’Ehpad des Blés d’or, à Saint-Baldoph, près de Chambéry. En août 2020, un film y est réalisé par le metteur en scène Mohamed El Khatib et Valérie Mréjen, sur le thème du désir lorsqu’on a plus de 75 ans. « Et c’est la directrice de l’Ehpad, Clotilde Rogez, qui est venue me voir pour donner une suite, se souvient El Khatib. J’ai eu l’idée d’installer un centre d’art permanent dans l’Ehpad. » « Il s’agit de faire venir la culture à l’intérieur de la maison pour montrer qu’elle est aussi un lieu de vie et d’envie, insiste Clotilde Rogez. Nous voulons montrer la vieillesse autrement qu’en termes de dépendance et de vulnérabilité. » 

Un « Théâtromaton »

Dès le 31 mars – le fait que les seniors soient vaccinés facilite les démarches –, le centre d’art LBO (Les Blés d’or) met son programme sur les rails avec l’arrivée du réalisateur Alain Cavalier. Une collection d’œuvres plastiques se constitue ; une sculpture va être créée avec le club de tricot par le plasticien Jérémy Gobé… Mais encore, une galerie des dons rassemblera des objets fétiches de chaque résident. « L’enjeu est esthétique, social et politique, poursuit El Khatib. L’art ne doit pas se limiter à une sortie culturelle mais devenir quotidien. Il faut aussi remettre les Ehpad, qui sont négligés, dans le circuit de la vie normale. »

Ce militantisme auréole les initiatives multiples qui jaillissent actuellement. A la Comédie de Valence, Marc Lainé, directeur et scénographe, et Stephan Zimmerli, architecte, musicien et dessinateur, ont construit le « Théâtromaton ». Destinée aux « publics empêchés » de la Drôme et de l’Ardèche, dont ceux des Ehpad, cette boîte noire transportable proche d’un photomaton s’installe partout. Sur un écran, des films, conçus spécialement par des artistes, sont projetés. « Il s’agit de retrouver le rituel du théâtre, de faire le noir, le silence, explique Marc Lainé. On laisse le réel dehors pour plonger dans une bulle inspirante. » 

En mode high-tech, l’Opéra national de Paris finalise un projet d’envergure. Sur une proposition de la Fondation Crédit Agricole solidarité développement et de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap), quarante casques de réalité virtuelle adaptés pour le 3e âge vont être distribués dans quarante établissements de la région Centre-Val de Loire. « Cette démarche est inédite pour nous, commente Pascal Riu, directeur adjoint de l’AROP (Association pour le rayonnement de l’Opéra de Paris). Nous voulons nous ouvrir à tous les publics, en particulier à ceux qui sont isolés. » Au menu : opéras, ballets, mais aussi créations filmiques spécifiques pour la collection « Ame d’artiste » avec, entre autres, la première danseuse Hannah O’Neill.

« Une volonté d’ouverture »

Si les spectacles et actions en direct sont complexes à mettre en place, l’Opéra national de Paris a néanmoins lancé l’opération par un concert à la maison de retraite Ferrari, à Clamart (Hauts-de-Seine). Vendredi 5 mars, Thibault Vieux (premier violon), Cyril Ghestem (violon), Etienne Tavitian (alto) et Aurélien Sabouret (violoncelle) y ont interprété le Quatuor n° 14, opus 131, de Ludwig van Beethoven. « On a peu d’activité en ce moment et il m’a paru naturel de donner ce concert car le public nous manque, dit Thibault Vieux. J’ai déjà joué dans des prisons et des hôpitaux mais c’était ma première fois dans ce cadre. C’était très émouvant. Nous étions dans la chapelle, à la lumière du jour et il y avait une belle qualité d’écoute. » « Le lieu était magnifique, ajoute Etienne Tavitian. Nous n’avons pas expérimenté l’acoustique mais ça sonnait bien. J’avais peur d’être trop ému car mon père est mort en mars dernier en Ehpad, mais tout s’est bien passé et j’aurais aimé qu’il soit là. »

Ces moments extraordinaires ne peuvent se concrétiser qu’en dialogue serré avec les Ehpad. Aussi submergées soient-elles par la pandémie, de nombreuses structures se mobilisent. « Il y a une réelle volonté d’ouverture culturelle, confie Schérazade Goara, directrice par intérim des Ehpad d’Essone Le Manoir, à Montgeron et Le File-Etoupe, à Montlhéry. C’est une bouffée d’oxygène pour les résidents mais aussi pour les soignants qui ont une sorte de culpabilité après les décès dus au Covid» Un projet est en cours avec le Théâtre de la Colline, à Paris, qui propose des lectures par téléphone, dans le cadre d’Au creux de l’oreille – Acte II« Nous avons d’ailleurs fait passer aux comédiens des noms d’auteurs cités par nos résidents », précise-t-elle en évoquant Rimbaud et La Fontaine.

Préférences littéraires mais aussi problèmes d’attention, d’audition…, autant de paramètres pour ciseler ces séances au plus près de ces auditeurs particuliers. « Les textes seront parfois lus en visio et la durée varie entre dix et vingt minutes, dit Sophie Garnier, responsable des relations publiques à la Colline. Dix acteurs participent à l’aventure. « Cet échange vocal, qui passe par une présentation de chacun, est une nouvelle façon de faire mon métier, détaille le comédien Victor de Oliveira. Il faut recréer des liens en particulier avec ceux qui ne sortent plus pour que l’art et la beauté restent présents partout. »


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