par Garance Fragne publié le 28 mars 2021
Dans le sillage du «body positive», de plus en plus de femmes affichent leur crâne glabre sur les réseaux sociaux. Une manière d’aider celles qui en souffrent à dédramatiser, d’encourager la sororité et l’acceptation de soi.
«Instagram a été ma bouée de sauvetage, si je ne m’étais pas exprimée, j’aurais sombré», assure Pauline Chiron. A 19 ans, l’étudiante en design et architecture à Rennes souffre d’une pelade. Elle a perdu tous ses cheveux à l’âge de 13 ans. En mai 2019, la jeune femme crée son compte Instagram @paulinealopecia pour «briser le tabou» autour de l’alopécie. «Tu sais. Je n’ai pas toujours été cette Pauline souriante», écrit-elle. Et pour cause : au lycée, sans représentation féminine qui lui ressemble ni soutien, elle est aussi victime d’un lourd harcèlement scolaire. «On me traitait de crâne d’œuf, de cancéreuse et de contagieuse», souffle-t-elle.
En classe et avec sa famille, le sujet est tabou. Petit à petit, la jeune femme se renferme sur elle-même : «J’étais là sans être là.» Mais prendre la parole sur Instagram a «donné du sens» à sa vie, l’a aidée à «se sentir utile», dit-elle. Comme elle, c’est l’absence d’aide et de modèle qui a poussé Amélie Foulatier, 27 ans, traductrice et autrice établie à Paris, à créer elle aussi son compte Instagram dédié à l’alopécie, en 2019. Elle aussi atteinte d’une pelade, elle y publie ce qu’elle aurait aimé lire adolescente : «J’essaye d’installer un espace d’entraide et de solidarité. Jeune, je pensais qu’une femme sans cheveux n’en était pas une», analyse-t-elle.Fatiguées par les diktats de la beauté, de nombreuses femmes, qu’elles soient actrices, mères au foyer ou étudiantes affichent sur Instagram ce que la société juge disgracieux. La démarche de Pauline, Amélie et les autres s’inscrit dans la droite lignée du «body positive», mouvement qui prône l’acceptation de tous les corps. A ce jour, plus de 1,4 million de publications ont été postées sous le hashtag #alopecia. «Voir des femmes qui s’assument le crâne rasé et des corps qui revendiquent le body positive nous inspire», affirme Emeline.
La perte des cheveux, «une grande blessure»
La jeune femme de 35 ans, qui souffre d’une alopécie androgénique (perte de cheveux qui concerne l’ensemble du dessus du crâne), compare la perte de ses cheveux à «une grande blessure». Souvent attribuée aux hommes, l’alopécie concerne pourtant «12 millions de personnes» précise le dermatologue Pierre Bouhanna, cofondateur d’un centre spécialisé dans le cuir chevelu, à Paris. «Hommes comme femmes sont touchés. J’observe lors de mes consultations une certaine parité, et des âges qui varient de 18 à 80 ans», indique le médecin.
«Les médias en parlent peu», regrette Emeline, qui a gardé secrète sa chute de cheveux pendant dix-sept ans, en dissimulant son crâne sous des perruques. Résultat : «Même mon père ne le savait pas.» Puis, désireuse d’aider les autres et surtout les femmes dans la même situation qu’elle, elle suit une formation de coach. C’est l’année dernière qu’elle a décidé d’aller plus loin en créant un compte Instagram dédié à la perte de cheveux, @alopecia_sorority, ainsi qu’un podcast, Love is in the Hair, dans lequel elle aborde notamment l’intimité et la sexualité. Emeline choisit d’abord de conserver l’anonymat. Mais au bout d’un mois, elle réalise qu’elle«ne peut plus mentir». Après une séance de coaching en développement personnel, Emeline se souvient avoir eu un «déclic énorme» : «Je ne pouvais pas aider des femmes, si moi-même je n’admettais pas publiquement mon alopécie», dit-elle.
«La seule option était de raconter mon histoire»
Robyn Germyn a 29 ans. Chanteuse, actrice et mannequin américaine, elle est atteinte de la thyroïdite de Hashimoto, une maladie auto-immune dont l’un des symptômes est la perte de cheveux. Elle aussi a longtemps souffert et caché sa maladie. «Avant de publier ma première photo chauve sur Instagram en 2016, j’étais très triste. J’ai passé plusieurs mois sans dire à personne que je perdais mes cheveux. Puis, un jour, je me suis réveillée, et j’ai eu l’impression que la seule option était de raconter mon histoire.» En perruque, avec un chapeau ou sans rien : l’influenceuse américaine est désormais déterminée à sensibiliser les internautes sur la perte de cheveux : «Les réseaux sociaux me permettent de dire ce que j’ai sur le cœur et d’échanger avec d’autres personnes atteintes d’alopécie.»
A 21 ans, Ilona Bellanova est en rémission après avoir été touchée par la maladie de Hodgkin, une forme de cancer du système lymphatique. Diplômée d’une licence de japonais à Strasbourg (Bas-Rhin), la jeune femme, actuellement en année sabbatique, a commencé une chimiothérapie en mai. Deux mois plus tard, elle perd ses cheveux «par touffes» : «J’ai rapidement demandé à une amie de ma mère, coiffeuse, de venir chez moi et de me tondre»,explique-t-elle. Puis, elle porte des turbans à franges pour «avoir un semblant de cheveux». L’été dernier, la jeune femme décide de «ne plus avoir honte» et publie des photos et des vidéos sur Instagram et TikTok. «J’ai eu 50 000 vues en deux jours», s’étonne-t-elle. Mais les réseaux sociaux ne lui font pas toujours du bien : «Je regardais des vidéos de personnes qui retombaient malades. J’avais peur que ça m’arrive aussi», dit-elle.
Jane, 17 ans, a également eu recours à TikTok pour s’accepter et «être moins superficielle». Lycéenne à Montauban (Tarn-et-Garonne), elle a profité du premier confinement pour se dévoiler sur le réseau social : «Je ne voyais plus personne, l’isolement m’a donné assez confiance en moi pour me lancer. Pas de lycée le lendemain, donc pas de regard des autres sur moi.» Se montrer telle qu’elle est l’a libérée d’un poids : «Je ne me cache plus, je m’en fous d’avoir des jolis cheveux.»
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