Dans le quartier très animé de Şişli à Istanbul, se trouve l’hôpital français La Paix (Fransız Lape Hastanesi), premier hôpital psychiatrique de l’empire ottoman.
Deux groupes de religieuses de la communauté des Filles de la Charité, fondée en 1633 par Saint-Vincent de Paul et Sainte Louise de Marillac, quittent Marseille le 21 novembre 1839. L’un part pour Istanbul avec pour objectif premier d’ouvrir une école sur les rives du Bosphore, l’autre pour Izmir afin d’enseigner à des jeunes filles pauvres et s’occuper de personnes malades et dans le besoin. Avec leur impressionnante cornette blanche de l’époque recouvrant les cheveux, elles feront d’ailleurs sensation à leur arrivée dans le port de Smyrne !
1853, la guerre de Crimée éclate ! Le 20 septembre 1854, une force alliée composée de 30 000 Français, 21 000 Britanniques et 60 000 soldats ottomans se rend sur place, rejointe au printemps suivant par 140 000 soldats également issus de la force alliée.
Pendant cette période de conflits qui dure jusqu’en 1856, les soeurs de la Charité vont apporter leur aide en soignant les soldats blessés, tant à Istanbul qu’au front, et sans aucune discrimination de nationalité. En plus des religieuses d’Istanbul, 255 autres membres de la communauté sont envoyés par la France et dont 33 vont d’ailleurs perdre la vie, après avoir contracté typhus ou choléra. 25 autres sœurs viennent aussi en renfort d’Italie, et 15 d’Irlande.
En guise de remerciements pour les valeureux services rendus, l’Etat ottoman souhaite leur octroyer une distinction honorifique qu’elles n’acceptent pas… Avec le soutien et à la requête de l’Ambassade de France, elles obtiennent le 19 avril 1857 du sultan Abdülmecit un terrain situé à Şişli, alors situé à l’extérieur de la ville. Le sultan ajoute un don d’environ 50 000 Francs afin que la construction de l’hôpital qu’elles souhaitent ériger puisse commencer.
Cet établissement, d’abord destiné à accueillir et soigner pauvres, personnes âgées et orphelins, conformément à la mission première de la communauté des Filles de la Charité, ouvre ses portes fin 1858 avec 12 patients… Les malades mentaux y sont admis à partir de 1862, quelles que soient leur nationalité et leur religion.
En 1873 avec le soutien de l'ambassade de France débute la construction du premier bâtiment distinct destiné à la psychiatrie et pouvant accueillir 30 femmes. Il entre en service en 1875.
En 1877, à l'initiative de Cemile Sultane, sœur du sultan Abdülhamid, et du médecin italien Luigi Mongeri, fondateur de la psychiatrie moderne dans l'Empire ottoman et du premier texte juridique dans le domaine de la santé mentale, est mise en place la structure de la prise en charge psychiatrique à l'hôpital La Paix. Mongeri y sera médecin en chef jusqu’à sa mort en 1882.
En 1902, le sultan Abdülhamid, compatissant pour les déshérités et les malades, et à la demande de Mr Constans, ambassadeur de France de l’époque, apporte aussi sa pierre à l’édifice. Il donne un autre bout de terrain à l’hôpital, et fait édifier le mur de clôture à ses frais.
A cette époque, l’hôpital dispose aussi d’une école professionnelle de menuiserie, de forge et de couture. Les activités de La Paix sont en fait scindées en deux : d’un côté, en faveur des jeunes (orphelinat, école, apprentissage, classes de jour pour les filles) et de l’autre une oeuvre charitable (hôpital pour malades et infirmes, hôpital psychiatrique pour adultes et personnes âgées).
La Paix figure sur la liste des écoles, hôpitaux et institutions religieuses officiellement reconnus par l’accord franco-turc du 18 décembre 1918 et affiliés à l’ambassade de France en Turquie.
De nos jours, l’hôpital La Paix comprend 8 bâtiments : psychiatrie adulte, psychogériatrie, psychiatrie infantile et pour adolescents, unité pour les addictions (avec notamment une licence Amatem pour la toxicomanie), psychologie, neurologie, anesthésie, médecine interne, rééducation physique, nutrition et diététique sont autant de services offerts à présent par l’établissement.
L’aspect charitable n’est jamais oublié au quotidien, que ce soit en faveur de réfugiés ou de bénéficiaires d’associations, notamment d’aide aux femmes subissant des violences.
Une équipe médicale renforcée travaille depuis 2019 sur la prise en charge des pertes d’autonomie, des troubles de mémoire et de démence des personnes âgées.
De nombreux stagiaires en psychologie viennent régulièrement effectuer une période pratique et ainsi enrichir leurs connaissances en la matière.
Trois sœurs de la communauté des Filles de la Charité vivent sur place et, malgré leur âge quelque peu avancé, apportent leur contribution pour le bien-être des malades, en particulier ceux du service de psychogériatrie en leur rendant visite et en s’occupant d’eux.
Deux livres pour aller plus loin :
. Lape Hastanesi - La Paix Hospital, de Rinaldo Marmara, Éditions Kültür A.S. de la mairie d’Istanbul (bilingue turc-anglais).
. Hirondelle d’Allah - Une cornette en mission au pays des sultans, de Brigitte Glutz-Ruedin, Éditions Saint-Augustin.