TRIBUNE
Guillaume Mathelier, élu local, et Alain Policar, chercheur en sciences politiques, proposent dans une tribune au « Monde » de verser le revenu d’existence dès la naissance, dont l’épargne formerait à 18 ans une dotation en capital pour rétablir « l’égalité des dotations initiales »
Tribune. Depuis quelques années, le débat sur le revenu d’existence, revenu de base ou revenu universel, s’est installé dans le paysage politique et philosophique. L’idée fait son chemin sans encore faire l’unanimité. L’un des arguments principaux est qu’un tel revenu inconditionnel serait non seulement une réponse possible à la raréfaction de l’emploi, mais sortirait également les sources de revenus de la seule sphère salariale.
En ce sens, il ne serait en rien antinomique au travail (contrairement à ce qu’affirment ses adversaires), mais il permettrait d’assurer des ressources en dehors de l’emploi salarié. Il deviendrait un socle inaliénable, un droit lié à la naissance, qui répondrait à la question essentielle de la dignité des êtres humains, de manière universelle et inconditionnelle.
Cependant, des propositions « sœurs » se retrouvent parfois dans le débat et sont souvent mises en concurrence avec l’idée de revenu d’existence. Nous pourrions résumer ces propositions par le terme de « dotation en capital ». Les chercheurs américains Bruce Ackerman et Anne Alstott ont proposé de donner à 21 ans une dotation universelle de 80 000 dollars avec des mécanismes d’accompagnement pour que cet argent puisse être utilisé de manière éclairée et responsable.
Rééquilibrer le rapport entre capital et travail
A l’heure où la jeunesse a besoin de retrouver un horizon dans les multiples crises qui touchent notre société, il est temps de se poser les bonnes questions pour penser différemment la justice sociale. Une proposition de loi est actuellement en discussion et en coconstruction avec les citoyens sur la plate-forme Parlement et citoyens. Cette proposition de loi « d’aide à l’émancipation des jeunes, fondée sur l’attribution d’un revenu de base et d’une dotation universelle dès 18 ans » nous donne l’occasion de faire le point et d’avancer notre proposition philosophique : combiner revenu d’existence et capital d’émancipation.
La proximité avec le revenu d’existence est en partie assumée par le fait que l’individu bénéficiaire pourrait tout à fait utiliser sa dotation en capital pour la transformer à sa guise en revenu mensuel plutôt que de l’injecter dans la consommation ou l’investissement pour un projet (création d’entreprise, voyages, formation, etc.).
Le sociologue américain Erik Olin Wright (1947-2019) a posé la question de savoir quel dispositif entre revenu d’existence et dotation en capital (« dotation d’enjeu ») était le mieux à même de répondre à l’autonomie des individus. Cette analyse donnait sa faveur au revenu d’existence, notamment en raison de sa périodicité. Le revenu d’existence apparaîtrait, selon Wright, davantage en mesure de rééquilibrer le rapport entre capital et travail.
Emancipation de l’individu
L’économiste Coralie Perez a dressé, quant à elle, un panorama des « dotations en capital pour les jeunes », où elle tente de prendre en considération les expériences comme le Child Trust Fund au Royaume-Uni, ou les comptes individuels de formation qu’elle range dans cette catégorie des dotations en capital.
Mais avant de se poser la question du mécanisme distributif, il est nécessaire de connaître le principe qui guidera philosophiquement la politique publique. Le revenu d’existence répond parfaitement à l’impératif de la dignité humaine. En revanche, les dotations en capital répondent à notre sens à un autre objectif philosophique et politique : l’émancipation de l’individu.
Dès lors, nous proposons de combiner la force des deux mécanismes en un seul, dit « d’égalité des dotations initiales ». Il donnerait dès la naissance des droits socio-économiques à l’individu qui, dans un premier temps, « capitaliserait » chaque mois une part de revenu d’existence sur un compte public personnel et qui, dans un deuxième temps, après délivrance de ce capital d’émancipation (accumulé par conséquent de 0 à 18 ans), donnerait droit à un revenu d’existence mensuel qui permettrait simplement d’assurer la dignité de l’individu au-delà de sa dépendance à la sphère salariale.
Un droit universel, sans contrepartie et individuel
Compris comme un droit à « résonance constitutionnelle », ce mécanisme d’égalité des dotations initiales se veut résolument universel, sans contrepartie, inconditionnel et individuel : il serait un droit de naissance inaliénable comme peuvent l’être par exemple les libertés constitutionnelles.
Par sa seule régularité, le revenu d’existence répondrait certes aux besoins quotidiens et immédiats de chacun. Mais par sa « force de frappe » de départ, un capital d’émancipation donnerait une impulsion essentielle à la construction et à la réalisation d’un projet de vie qui permettrait de mener une existence bien vécue. Une telle dotation délivrerait un capital pour entamer son projet de vie sans l’appui ni la dépendance du secteur bancaire.
L’anticipation psychologique de son versement libérerait les parents de l’horizon de financement des projets – parfois vécu comme impossible – de leurs enfants. Sa visée serait émancipatrice et complémentaire du revenu d’existence, lequel ne serait délivré qu’à partir de 18 ans.
Le montant de la dotation détermine la volonté publique d’assurer l’émancipation des individus. En effet, un montant de 5 000 euros par exemple apparaît moins émancipateur qu’une somme de 64 800 euros, comme nous la préconisons, dont le jeune disposerait dès ses 18 ans − suivant une hypothèse réaliste d’un revenu d’existence de 300 euros par mois capitalisé sur dix-huit ans. Un montant plus faible pourrait certes être facilitateur pour entrer dans la vie d’adulte, mais ne réussirait pas à créer les conditions réelles du démarrage d’un projet émancipateur.
Combiner un revenu d’existence et un capital d’émancipation permettrait aux jeunes d’obtenir les moyens financiers de départ vers l’âge adulte. Ces deux dispositifs ouvriraient la voie à une nouvelle forme de justice sociale véritablement transformatrice (et non seulement réparatrice) des rapports socioéconomiques.
Guillaume Mathelier est l’auteur de L’Egalité des dotations initiales. Vers une nouvelle justice sociale (Georg, 2020).
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