Par Pauline Moullot 12 novembre 2020
Selon Florence Sordes, de l'université de Toulouse, «c’est clair que le confinement a provoqué une détresse psychologique». Science Photo Library. Getty Images
Les femmes, les jeunes et les personnes en situation précaire sont les plus à risque en termes de détresse psychologique.
Question posée par Therry le 30/10/2020
Bonjour,
La solitude, le manque de lien social ou encore l’accumulation de tâches professionnelles et personnelles sont des facteurs de risque pesant sur la santé mentale pendant le confinement. Alors que la France s’est reconfinée, vous nous demandez quelles sont les conséquences psychologiques de ces restrictions sanitaires, et si des études sont menées sur le sujet.
Plusieurs recherches ont été menées pendant le premier confinement, et certaines se poursuivent aujourd’hui. S’il est encore trop tôt pour avoir tous les résultats détaillés, de premières tendances se dégagent d’ores et déjà. Leurs résultats préliminaires sont quasiment les mêmes. Les personnes les plus à risque sont les femmes, les jeunes et les personnes connaissant une situation économique difficile. Comme l’expliquait le psychiatre Nicolas Franck, qui mène une étude sur le sujet au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, à Libération il y a quelques jours, «tous les Français souffrent, mais les plus fragiles d’entre eux ont besoin d’aide». Etat des lieux des recherches sur le sujet.
Amélioration des indicateurs au déconfinement
Après deux semaines de confinement, le 23 mars, Santé publique France (SPF) a lancé l’enquête CoviPrev, «afin de suivre l’évolution des comportements (gestes barrières, confinement, consommation d’alcool et de tabac, alimentation et activité physique) et de la santé mentale (bien-être, troubles)». Des questionnaires ont été envoyés à 2 000 résidents en France âgés de plus de 18 ans. La fréquence de ces vagues d’enquête, hebdomadaires en début de confinement, puis mensuel depuis l’été, est de nouveau en train d’accélérer : l’objectif, lancer «au moins une vague par mois».
Plusieurs indicateurs sont étudiés : la satisfaction de vie actuelle, la projection positive, dans le futur, l’anxiété, les problèmes de sommeil, la dépression, la consommation de médicaments psychotropes et le climat de violences ou de graves disputes sur les quinze derniers jours. Pour les quatre premiers indicateurs, on peut effectuer des comparaisons avec la période pré-confinement grâce aux résultats du baromètre de santé publique France de 2017 qui utilisait les mêmes échelles.
On constate ainsi que, globalement, après avoir subi une forte dégradation en début de confinement, les indicateurs se sont améliorés au fil du temps. A deux exceptions près, les problèmes de sommeil qui ont continué d’augmenter depuis le début du confinement et la consommation de médicaments psychotropes. Mais ce dernier indicateur ne peut pas être comparé avec la période datant d’avant le confinement, et devrait donc plutôt être étudié grâce à l’étude de pharmaco-épidémiologie Epi-Phare réalisée par la CNAM et l’ANSM.
Des premiers résultats issus de la dernière vague d’enquête Coviprev (menée le 19-21 octobre) figurent aussi dans les deux derniers bulletins épidémiologiques publiés par SPF. On y constate que le pourcentage de personnes connaissant des symptômes d’anxiété est de nouveau en forte augmentation, à une époque où le couvre-feu était déjà en vigueur dans la région Ile-de-France et huit métropoles, mais le confinement pas encore annoncé.
«Il va falloir consolider ces premiers résultats avec d’autres évolutions pour confirmer les tendances», précise à CheckNews Enguerrand du Roscoat, responsable de l’unité santé mentale à Santé publique France. «Sur l’anxiété, on était revenus à des indicateurs plus raisonnables depuis le déconfinement, même s’ils restent à un niveau supérieur à d’habitude. Pour la satisfaction de vie et les troubles dépressifs, l’amélioration au déconfinement montre que le confinement en lui-même est un facteur de risque pour la santé mentale».
Troubles anxieux persistants chez les plus précaires
Des analyses plus fines de chaque indicateur selon les profils socio-démographiques et les conditions de vie permettent de voir qui sont les personnes ayant le plus de symptômes anxieux, dépressifs ou de problèmes de sommeil. «Les personnes connaissant le plus de symptômes dépressifs ce sont les femmes et les jeunes, ce que l’on observe également hors épidémie, les personnes qui ont des antécédents de troubles psychotiques, et ceux qui se déclarent en difficulté financière. Chez ces derniers, il n’y a aucune diminution des troubles anxieux depuis la fin du confinement», résume Enguerrand du Roscoat. En effet, 31,1% des personnes déclarant une situation financière très difficile sont anxieuses selon l’échelle HAD utilisée pour dépister les troubles anxieux ou dépressifs. Une proportion similaire à celle du déconfinement (13-15 mai).
«Il était important de mesurer ces indicateurs dès le début du confinement pour suivre les déterminants pouvant avoir un impact à court terme sur le système de santé. Il fallait aussi voir quelle était la proportion de la population concernée par ces risques pour développer des systèmes de prévention», mis en place avec le secteur associatif dès le confinement, par exemple grâce à des plateformes d’écoute, relève l’expert de SPF. Des mesures toutefois insuffisantes, selon Nicolas Franck. «Une campagne d’information, un plan coordonné à l’échelle nationale serait nécessaire. Au lieu de cela, on s’en remet aux initiatives locales, au bon vouloir des psychiatres, sans canevas administratif national. En clair, la population ne bénéficiera pas d’un accompagnement plus spécifique que d’habitude. Or une partie des gens ne demandent pas d’aide», déplore-t-il dans Libération.
Ces premiers résultats sont corroborés par des études menées par des universitaires. Ainsi, l’Institut fédératif d’études et de recherches interdisciplinaires santé société a lancé le projet Epidemic pour analyser la crise du Covid sous trois angles, dont un volet psychologique dirigé par Florence Sordes, maîtresse de conférences en psychologie de la santé à l’université de Toulouse. «Notre recherche s’est d’abord déroulée en trois temps. On a récolté des données pendant le confinement, puis au déconfinement, et on devait en récolter de nouveau trois ou quatre mois après. C’est-à-dire au moment où certains couvre-feux étaient annoncés. On va donc finalement relancer un questionnaire fin novembre-début décembre», indique la chercheuse. Près de 4 600 volontaires ont répondu à la première salve de questions, puis le nombre de répondants s’est stabilisé à 2 000. Seuls les résultats récoltés pendant le confinement ont pour l’instant été analysés.
Détresse psychologique sévère chez 20% des répondants
«C’est clair que le confinement a provoqué une détresse psychologique. Environ 20% des répondants font état d’une détresse importante», c’est-à-dire qu’ils ont connu des syndromes d’anxiété, dépressifs, des troubles cognitifs et de l’irritabilité. «Ce sont davantage des femmes, des jeunes et des personnes précaires qui sont touchées. Alors que les retraités l’ont été à un degré moindre.»
C’est aussi ce que déclarait Nicolas Franck à Libération fin octobre : «La détérioration du bien-être mental des Français a été générale. Toutefois pour certaines catégories sociales, elle a été massive. C’est vrai pour les personnes confinées seules, à commencer par les jeunes, les personnes sans emploi, et celles qui avaient un handicap ou un trouble psychique antérieur. Selon moi, les premières victimes ont été les étudiants.»
A partir de ces profils, la chercheuse émet des hypothèses : «Celles qui ont le plus de détresse sont celles qui ont le plus de difficultés à comprendre la situation. Quand on les compare avec ceux qui ont bien vécu le confinement, décidant d’en faire un moment agréable, on voit que moins les gens s’approprient la situation, lui donnent du sens plus ils sont en difficultés. Il y a clairement un lien entre les difficultés sociales et psychologiques». D’ailleurs, Florence Sordes remarque que «ce sont des situations que l’on retrouve au quotidien, chez les personnes malades ou qui recherchent un emploi, des situations d’incertitude, où elles ne peuvent pas se projeter».
Puisque ces études sont issues de questionnaires déclaratifs, ce biais doit être pris en compte. Ainsi, analysant la surreprésentation des femmes dans les personnes les plus sujettes à la détresse psychologique, les chercheurs pointent le fait qu’elles évoquent qu’elles sont plus enclines à partager leurs émotions. Mais le fait que leur surreprésentation soit comparable à ce que l’on observe hors épidémie, et le fait que la charge familiale (faire l’école à la maison, s’occuper de la famille, tout en télétravaillant) ait plus souvent affecté ces dernières, tendent à gommer ces limites. Sans compter le fait que toutes les études citées ont la même conclusion.
Résultats similaires sur les cohortes
Une autre limite subsiste à ces enquêtes, puisque l’on ne compare pas les répondants par cohortes. C’est ce que fait l’étude Tempo (Trajectoires épidémiologues en population) de l’Inserm, qui suit des cohortes de Français depuis 1991. «On a envoyé sept questionnaires entre mars et mai à environ 700 personnes suivies depuis des années», détaille Maria Melchior, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Inserm spécialiste de la santé mentale. Et les résultats sont conformes aux études précédentes : «Les femmes, les personnes qui ont des revenus faibles et celles qui se sentent seules» sont les plus touchées par les symptômes anxieux ou dépressifs. On constate là encore que les changements professionnels et de niveaux de revenus affectent la population. Encore une fois, ce sont des facteurs de risque déjà connus en dehors de période de confinement. Par ailleurs, la cohorte nous apprend que «les personnes qui ont déjà rapporté des symptômes antérieurs d’anxiété et de dépression ont une probabilité multipliée par six d’en développer pendant le confinement».
A partir de là, peut-on prédire les répercussions de ce reconfinement ? Pas forcément, selon les chercheurs car la situation est assez différente. «Ceux qui n’avaient pas de ressources et étaient déjà en détresse risquent de se retrouver en difficulté, mais est-ce que les autres vont le vivre correctement ? Ce n’est pas si sûr car ce confinement est particulier à cause de sa souplesse. Cela provoque une incertitude et plus la personne est incertaine, plus elle est démunie», note Florence Sordes qui se refuse toutefois à établir des pronostics précis. Nicolas Franck confirmait dans Libé : «Pour avoir un sentiment de maîtrise, il faut pouvoir se projeter au-delà de l’événement», notant que certaines leçons ont été tirées du premier confinement par l’exécutif (notamment en annonçant directement un confinement d’un mois au lieu de deux semaines prolongées à trois reprises). Enseignements aussi tirés par la population : «Il y a des acquis du premier confinement, par exemple des personnes qui ont décidé de ne pas rester seules», prend pour exemple Florence Sordes.
Au vu de ces résultats, les chercheurs pointent un risque qui doit continuer d’être étudié : l’impact de ces mesures sur la santé mentale des enfants et adolescents. Plusieurs études évoquent aussi le sujet, que CheckNews abordera dans un second article.
Cordialement
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