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A la clinique Saint-Vincent-de-Paul de Lille, en 2018. Photo Philippe Huguen. AFP
L'obligation du port du masque pour les femmes durant l’accouchement est dangereuse et le plus souvent inefficace. Des alternatives existent et il faut que nous apprenions à donner naissance au temps du Covid avec un minimum d’humanité.
Tribune. Imposer le port du masque aux femmes durant l’accouchement est une violence physique, une entrave, car la respiration est la clé de l’accouchement et de la gestion de la douleur. L’imposition du masque est également une violence symbolique voire politique, l’illustration d’une voix que l’on étouffe sur un tabou de notre société : les violences obstétricales et gynécologiques (VOG).
Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français recommande le port du masque à l’accouchement sans qu’il puisse être imposé. Or de nombreuses maternités françaises l’imposent. D’autres pays comme le Royaume-Uni, la Norvège, la Hollande, l’Autriche notamment, permettent aux femmes d’accoucher sans masque tandis que l’OMS bannit le masque lors de l’exercice physique. 11% des femmes se voient par ailleurs contraintes d’accoucher privées de la présence de leur conjoint·e (selon le rapport d’enquête menée auprès de 2 727 femmes ayant accouché pendant le confinement). Comment espérer dès lors que la naissance, dans ces conditions, soit autre chose pour les femmes qu’une douleur, une perte de soi et un éloignement de son enfant ?
Il nous faut apprendre à vivre et à donner naissance au temps du Covid, mais nous devons nous assurer de le faire avec un minimum d’humanité et de respect des droits. Pour cela, il suffirait d’abord d’écouter les témoignages des femmes et de leurs familles pour se convaincre de la réalité de cette violence, dénoncée par le président du Collège national des sages-femmes, Adrien Gantois. L’obligation du port du masque aurait de graves conséquences, selon l’enquête nationale précitée : hausse de l’utilisation des forceps, des déchirures périnéales, des fièvres, des injections d’ocytocine, des stress post-traumatiques ou des dépressions du post-partum. Il suffirait, ensuite, d’approvisionner suffisamment les maternités en matériel de protection contre le Covid (masques FFP2, lunettes, etc.). La sécurité des professionnel·le·s de santé serait ainsi garantie et les parturientes dispensées de porter un masque souvent inutile car inefficace, que ce soit à cause de la transpiration, du fait qu’il n’est pas toujours changé régulièrement ou de son décrochage systématique pendant les efforts expulsifs.
Enfin, il suffirait que le ministre de la Santé décide d’y mettre fin, clairement, et que le gouvernement sorte enfin du tiroir le rapport accablant mais aussi les propositions concrètes du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes paru en juin 2018 sur les VOG. Car, au-delà de l’imposition du masque, l’épidémie de Covid et la pression sur l’hôpital sont en train de transformer les salles d’accouchement en zones de non droit, abandonnant encore un peu plus de terrain aux violences obstétricales et gynécologiques faites aux femmes.
Chaque année, ce sont près de 800 000 femmes qui donnent naissance. La loi Kouchner de 2002 rappelle que le consentement doit être demandé aux patientes de manière systématique par les soignants avant d’effectuer tout examen ou acte médical. Toucher vaginal douloureux, non nécessaire ou sans consentement, épisiotomie ou position d’accouchement imposées, pressions sur l’allaitement, les déclenchements, propos sexistes sur le corps, le désir ou le non-désir d’enfant et cette ambiance de «contrôle technique» dans certaines consultations de gynécologie. Trop souvent, le bonheur de la nouvelle vie qui arrive plonge dans le silence, mais pas dans l’oubli, les violences et les actes ou propos sexistes faits aux femmes dans le cadre du suivi de leur grossesse, de leur parcours gynécologique ou de leur accouchement.
Il existe des indicateurs révélateurs de l’état des VOG dans un pays. La France détient par exemple un taux élevé d’épisiotomie avec 20% des accouchements concernés (allant jusqu’à 35% pour les primipares) contre 6% en Suède ou 5% au Danemark, et tandis que l’OMS estime que celle-ci n’est nécessaire que dans 10% des accouchements.
Pourtant, les femmes se taisent. Parce qu’il faut donner l’image d’une mère heureuse et ne pas gâcher la bonne nouvelle. Parce qu’il ne faut pas révéler à quel point elles, si puissantes en donnant la vie, se sont senties vulnérables, réduites à l’état d’objet, coupables de ne pas avoir su ou pu dire «non» ou juste «laissez-moi réfléchir», «discutons-en avec mon/ma conjoint·e», «quels sont les risques, pour moi, pour mon bébé ?», «Quels sont mes droits ?». Parce qu’elles dont sidérées par un pouvoir médical qui impressionne et ne laisse pas toujours le temps suffisant pour s’exprimer.
Le droit à disposer de son corps est la première des libertés individuelles et la première des conquêtes pour le mouvement de la libération des femmes. Il est l’un des fondements de notre Etat de droit et ce n’est pas parce qu’une femme pose les pieds dans les étriers qu’elle cesse d’être un sujet de droits et un individu doté de sensibilité. Aujourd’hui, la lutte contre les VOG n’est plus un sujet de femmes qui peut attendre. C’est une urgence sanitaire et une urgence démocratique : une question de droits, de libertés et osons le dire, d’humanité. Le mois dernier, j’ai déposé à l’Assemblée nationale une proposition de résolution invitant le gouvernement à se saisir des recommandations du Haut Conseil à l’égalité. Depuis des semaines, avec les professionnels de santé, nous alertons les ministres de la Santé et de l’Egalité femmes-hommes. En vain. Que faut-il donc pour que l’on entende enfin les cris de ces dizaines de milliers de femmes ? Ce gouvernement a, avec courage, libéré la parole et agit contre les violences faites aux femmes, au sein du couple, sur la voie publique, à l’école. Mais qu’en est-il des salles d’accouchement et des cabinets de gynécologie ? Il est temps d’entendre les voix des femmes et des professionnel·le·s : les droits et les libertés des femmes ne peuvent s’arrêter aux portes des salles de naissance.
Signataires :
Sonia Bisch, fondatrice du collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques (StopVOG) ; Chantal Birman, sage-femme ; Danièle Bousquet, ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, députée des Côtes-d’Armor de 1997 à 2012 ; Paul Cesbron, gynécologue-obstétricien, ancien praticien hospitalier et ancien chef de service de la maternité du centre hospitalier de Creil ; Francine Dauphin, sage-femme ; Ovidie, Réalisatrice, auteure du documentaire « Tu enfanteras dans la douleur »; Laurent Raguenes, gynécologue obstétricien.
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