Traducteur de Freud en arabe et élève de Lacan, il est mort le 8 novembre, à l’âge de 99 ans. Cet érudit appartient à la troisième génération psychanalytique française qui a porté une attention constante à l’expérience clinique.
Lacanien orthodoxe, travailleur infatigable, lettré, généreux, aimant la gastronomie, le plaisir de vivre et les femmes, grand lecteur de Freud et de Hegel, traducteur en arabe de L’Interprétation du rêve et de La Phénoménologie de l’esprit, Moustapha Safouan est mort le 8 novembre, à l’âge de 99 ans, à Paris. Il était né à Alexandrie, le 17 mai 1921 dans une famille de militants communistes proches du cercle d’Henri Curiel. Son père, qui enseignait la rhétorique et combattait l’analphabétisme, fut le premier secrétaire du premier syndicat ouvrier égyptien et fit de la prison pour ses idées.
Elevé selon des principes rationalistes, Safouan rêvait dès son adolescence de se rendre à Cambridge. Aussi poursuivit-il des études de philosophie tout en étudiant le grec, le latin, le français, l’anglais et l’arabe classique. C’est en 1940 qu’il découvre l’œuvre freudienne, à travers l’enseignement de Moustapha Ziwar, membre de la Société psychanalytique de Paris (SPP) et professeur à l’université, lequel lui conseille de se rendre, non pas en Angleterre, mais en France pour se former à la psychanalyse.
Elève fidèle de Lacan
Analysé par Marc Schlumberger entre 1946 et 1949, il rencontre bientôt Jacques Lacan qui deviendra son maître à penser et dont il sera l’un des élèves les plus fidèles. Il restera freudien tout en étant attaché à la lettre lacanienne – au structuralisme et à la logique du signifiant – ce qui le conduira d’ailleurs à considérer la psychanalyse comme un corpus immuable pouvant être commenté à l’infini, en dehors du contexte dans lequel elle a vu le jour. Paradoxe étonnant pour un homme qui, dans ses engagements, s’intéressait aux différences culturelles. Il formera de nombreux élèves au sein de l’Ecole freudienne de Paris (EFP), tant à Strasbourg avec Lucien Israël, son compagnon en lacanisme, qu’à Marseille en collaboration avec Jenny Aubry, sa grande amie.
Il faudrait que les peuples du monde arabo-islamique aient accès à une traduction du Coran dans une langue vernaculaire et non pas sacralisée
Connu et respecté dans le monde anglophone et latino-américain, et célèbre dans le monde arabe – où les freudiens sont rares –, Safouan est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la théorie, la doctrine et la clinique psychanalytique, publiés pour la plupart aux éditions du Seuil sous la responsabilité de son ami François Wahl : Etudes sur l’Œdipe (1974), La Sexualité féminine (1976), L’Inconscient et son scribe (1982).
Dans son ouvrage Pourquoi le monde arabe n’est pas libre. Politique de l’écriture et terrorisme religieux (Denoël, 2008), traduit de l’anglais, il tente d’expliquer que pour sortir de la désespérance dans laquelle se trouvent les peuples du monde arabo-islamique, il faudrait qu’ils aient accès à une traduction du Coran dans une langue vernaculaire et non pas sacralisée.
« Par une imposture rarement égalée dans l’histoire politique de l’humanité, souligne-t-il, on s’est servi de l’ambiguïté de l’expression “successeur du Prophète” pour revendiquer le pouvoir absolu et mettre la religion sous la férule de l’Etat. Le résultat est un mode de gouvernement qui repose d’une façon intrinsèque, et non pas par accident, sur la corruption, la répression et la censure incarnée dans ladite politique de l’écriture. Tant que l’Etat réussit dans l’accomplissement de ses tâches, le régime théocratique paraît conforme à l’ordre des choses. Son échec ne donne pas lieu à une révolution mais à un terrorisme qui conteste sa légitimité même. De fait, les terroristes de notre époque appuient leur contestation sur un dogme meurtrier dont ils s’autorisent pour s’ériger en juges en matière de foi religieuse, s’octroyant ainsi un savoir que le Coran réserve expressément à Dieu. »
Transformation de la famille
Sur le plan clinique, son orthodoxie le conduisit à critiquer les transformations de la famille et notamment le mariage homosexuel et les procréations médicalement assistées. Il n’hésitait pas à affirmer que, dans la société occidentale, la psychanalyse risquait de disparaître au même titre que le complexe d’Œdipe dont il faisait le pivot inamovible de la pensée freudienne.
A la fin de sa vie, pessimiste et amer, il croyait dur comme fer que le père était en voie de disparition, réduit à un « objet partiel » ou à un « sperme » du fait de la « négation de l’union sexuelle » comme moyen de reproduction des êtres humains. Il redoutait le déclin de l’ordre familial et l’abolition du désir sexuel au profit d’une approche purement biologique de la sexualité humaine (intervention au colloque Espace analytique, 2017).
Reste que, par son enseignement, par la sympathie qu’il suscitait et par sa position politique très ferme contre l’islamisme radical, il aura acquis une aura particulière dans le monde psychanalytique international. Un vrai lacanien.
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