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lundi 9 mars 2020

Despentes : «On se lève et on se barre», retour sur un uppercut

Par Sonya Faure Cécile Daumas et Simon Blin — 
Le départ de l’actrice Adèle Haenel de la cérémonie des césars du 28 février, à l’annonce de la remise du prix de la meilleure réalisation à Roman Polanski. Cet acte avait suscité le texte de Virginie Despentes.
Le départ de l’actrice Adèle Haenel de la cérémonie des césars du 28 février, à l’annonce de la remise du prix de la meilleure réalisation à Roman Polanski. Cet acte avait suscité le texte de Virginie Despentes. Photos Berzane Nasser. ABACA


Le texte de l’écrivaine paru dans «Libération» en soutien à Adèle Haenel, qui avait quitté la cérémonie des césars à l’annonce du prix attribué à Roman Polanski, a été largement lu, partagé et commenté. Retour sur le phénomène et une semaine de débats.

«Il y a quand même un problème à régler avec le désir de l’homme. Qui est au milieu de tout, qui est comme normal tout le temps. A un moment, il faudra que ça dégage. Oui, il y a une énorme colère.» 1998 : Virginie Despentes a 29 ans, cheveux auburn lâchés, aucun jeu de séduction. Elle parle de son dernier livre, les Jolies Choses (Grasset), sur le plateau télé de Bouillon de culture. Face à elle, Bernard Pivot. Autour d’elle, Philippe Sollers, sourire narquois, Michel Houellebecq, faussement absent. En bon père de famille émoustillé par la réputation de celle qui a écrit Baise-moi quelques années plus tôt, Pivot l’interroge sur le milieu du rock qu’elle fréquente. Alors, ce «monde de boîtes à partouzes et de sexe» ? «C’est un monde d’hommes, répond-elle, impavide. Un monde d’hommes et de profit.» Mais il y a des femmes, insiste Pivot, quel est leur rôle ? «En gros, de faire les putes», dit-elle sans un battement de cils. Les mots sont à peine articulés, énoncés à un niveau de décibels très bas. Elle ne parle jamais fort, même quand elle s’emporte.

Vingt ans après, l’impassible colère de Virginie Despentes est intacte. Contre ce monde «des puissants» qui vient de «célébrer» Roman Polanski aux césars, malgré de nombreuses accusations de viols. Contre ce pouvoir qui fait passer la réforme des retraites d’un autoritaire 49.3 après des semaines de manifestations. Dimanche 1er mars, 20 h 41 : «Désormais, on se lève et on se barre.» Publiée sur le site de Libération, la scansion rencontre l’émotion et la frustration accumulées au cours des deux jours passés. En quelques heures, 300 000 personnes lisent le texte et le font circuler sur les réseaux sociaux. Viralité exceptionnelle. Quatre jours plus tard, 1 700 000 personnes ont lu Despentes, le texte est traduit dans plusieurs pays à l’étranger. «Désormais, on se lève et on se barre» est devenu un slogan, entendu dans les manifestations des facs et des labos qui contestent la nouvelle loi sur la recherche. Il fleurit sur les murs de la ville ou sur Instagram.
Est-ce l’effet Despentes ? Une procureure cite King Kong Théorie, le manifeste féministe de l’écrivaine, dans son réquisitoire au cours d’un procès pour viol. Jeudi, les trois groupes de gauche parlementaires (PS, LFI, PCF) «se lèvent et se barrent» de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, lors de l’examen du projet de loi sur la réforme des retraites, dénonçant «une mascarade de débat». La tribune de Despentes est «un texte important», juge l’historienne Michelle Perrot, spécialiste de l’histoire des femmes et du monde ouvrier, même si elle n’en approuve pas tout le contenu. Pourquoi cette apostrophe aux puissants fait-elle événement ? Analyse à travers quatre phrases choc de sa tribune.

«C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde.»

Pour Virginie Despentes, c’est la plus belle image en quarante-cinq ans de césars : Adèle Haenel, «dos droit, nuque raidie de colère», quittant la salle Pleyel après l’annonce du prix de la meilleure réalisation décerné à Roman Polanski. «La honte !» crie l’actrice avant de disparaître, et sans avoir pu prendre la parole publiquement. Réduite au silence comme si #MeToo n’avait pas eu lieu. «Ils défendent leur monopole de la parole», accuse Adèle Haenel, le jour d’après sur Mediapart. Certains lui reprochent d’avoir quitté la salle, de ne pas s’être exprimée. Aveu de faiblesse, délit de fuite ? Virginie Despentes retourne le stigmate. «Vous les puissants, écrit-elle. Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres, tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse.»
Par les mots de l’écrivaine, le hashtag #Quitterlasalle, qui circulait jusque-là entre féministes dans la sphère restreinte de Twitter, fait bruyamment son entrée dans le débat public. Pour analyser le geste-manifeste d’Adèle Haenel, les philosophes Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc convoquent Exit, Voice and Loyalty, d’Albert Hirschman, dans une tribune publiée le 4 mars dans Libération . En 1970, l’économiste hétérodoxe américain définit dans cet ouvrage trois catégories d’attitudes politiques face à un système représentatif défaillant : sortir (exit), prendre la parole (voice) ou se conformer à l’ordre établi (loyalty). «Adèle Haenel, Céline Sciamma, Florence Foresti et toutes les personnes qui sont sorties de la salle ont montré que l’exit était bien le commencement de la voix», estiment les deux philosophes. «Une image annonciatrice des jours à venir», espère Virginie Despentes. Un acte politique et non nihiliste, la proposition d’un autre avenir. Tous ne l’ont pas lu ainsi.

«La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant.»

C’est l’une des phrases du texte les plus reprises et partagées sur les réseaux sociaux. En tournant le dos à l’opposition hommes-femmes, Despentes dénaturalise la question des violences sexistes et sexuelles, établit un continuum entre la question féministe et la question sociale et politique. «Despentes dresse une théorie générale du pouvoir, qu’il soit masculin ou politique, analyse Laurent Jeanpierre, professeur de science politique. La mise en équivalence magistrale entre le sexisme et l’autoritarisme, ce n’est pas elle qui l’invente, c’est l’actualité qui l’apporte !»
Le même week-end, les césars récompensent Polanski et le gouvernement annonce recourir au 49.3. «C’est précisément cela, la fonction critique de l’écrivain : mettre en rapport des éléments que personne ne rapprochait encore.» En dénonçant tout à trac la violence sexiste, le passage en force de la majorité et les violences policières, en mettant des mots sur un sentiment de rage et d’impuissance partagé au-delà des cercles féministes, Despentes a fait écho à une colère bien plus large que le microcosme du cinéma. «Les mots de Despentes donnent corps au profond sentiment d’humiliation du mouvement de gauche, qui a subi une succession de défaites face au rouleau compresseur du pouvoir. On l’entend souvent : "Macron passe tout ce qu’il veut"», poursuit Laurent Jeanpierre.
Despentes fait converger toute «la mélancolie de gauche» dans ses composantes les plus variées (féministe, sociale, antiraciste…). La domination ne suffit plus aux puissants, écrit-elle : il faut encore qu’ils fassent taire toute critique. «Une sorte de domination au carré : c’est cela l’humiliation, dit encore Laurent Jeanpierre. C’est ainsi que se signale ce que certains appellent aujourd’hui le néolibéralisme autoritaire. L’exercice de sa puissance ne suffit plus au pouvoir, encore faut-il qu’il soit sans réplique, admiré, aimé.» C’est cette collaboration contrainte, que décrit Despentes, dans laquelle elle s’inclut et dans laquelle tant de lecteurs se sont reconnus, au-delà de la différence hommes-femmes : «Tant de silence, écrit-elle, tant de soumission, tant d’empressement dans la servitude. On se reconnaît. On a envie de crever. Parce qu’à la fin de l’exercice, on sait qu’on est tous les employés de ce grand merdier.»
Dans une tribune publiée le même jour, le philosophe Paul B. Preciado (par ailleurs chroniqueur à Libération) juge lui aussi que «le capitalisme hétéropatriarcal» n’est pas seulement une bataille d’hommes contre des femmes. Tous les hommes ne sont pas des prédateurs, précise-t-il, toutes les femmes ne sont pas féministes. Il ne s’agit pas non plus du combat d’une minorité, mais d’un enjeu qui concerne tous les individus. «Aucune industrie ne tolère les travailleurs dissidents. C’est une bataille pour le monopole de la souveraineté hétéropatriarcale et le contrôle des forces de production contre quiconque se montre dissident, qu’il soit homme, femme, trans, non binaire, racisé ou blanc.»
Mais à plaquer la question de la domination à tous les corps, à asséner des sentences comme «les puissants aiment les violeurs», Virginie Despentes dessinerait à trop gros traits des mécanismes de subordination bien plus subtils que «vous les puissants». «Beaucoup d’amalgames», estime l’historienne Michelle Perrot. «Confusionnisme», dénonce la juriste Morgane Tirel dans le Point«Sociologie de bazar», poursuit la directrice de la rédaction de Marianne, Natacha Polony, dans sa réponse à Virginie Despentes jugée «brillante» par Valeurs actuelles. On reproche à Despentes une vision campiste, binaire et surannée du monde social. «Virginie Despentes ressuscite une vieillerie des gauches, que les maoïstes agitaient à Bruay-en-Artois et les enragés contre Marie-Antoinette : la saleté des riches, laids en leur âme et leurs cœurs, qui violeraient le peuple comme ils violent les enfants», écrit l’éditorialiste Claude Askolovitch sur Slate.
Sa vision classe contre classe de la société gêne d’autant plus qu’elle est proférée depuis le camp du pouvoir. Ex-jurée Goncourt, auteure de best-sellers, comme Vernon Subutex qui a été adapté en série télé, l’écrivaine a les deux pieds du côté de ces «dominants» qu’elle vomit. «Virginie Despentes, autrice à succès, traduite dans le monde entier, gagnant plusieurs millions de droits d’auteur par an, se situe dans quelle catégorie ?» tacle l’humoriste Stéphane Guillon sur Twitter. Le procès est le même que celui intenté à Florence Foresti, à qui on reproche d’avoir été payée plus de 100 000 euros pour animer la cérémonie des césars et finalement «cracher dans la soupe». Mais Adèle Haenel avait très justement décrypté, dans son entretien vidéo avec Mediapart en novembre, que c’est précisément parce que des femmes se retrouvent en situation de pouvoir qu’elles peuvent enfin dénoncer les violences sexuelles, et surtout être entendues. Atteindre les sommets n’oblige pas à rentrer dans le rang.
Mais une autre tribune de l’écrivaine, parue dans les Inrockuptibles le 17 janvier 2015, juste après l’attentat de Charlie Hebdo, refait surface sur les réseaux sociaux. Despentes parle des frères Kouachi. «J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. J’ai aimé aussi leur désespoir.» Les phrases choquantes sont relayées par des anonymes et des personnalités médiatiques, comme Eric Naulleau. A toujours défendre «le dominé», et surtout à tenter de le comprendre dans ses pires agissements, Despentes serait définitivement discréditée. Dans sa tribune de l’époque, l’écrivaine écrit que sous l’effet de la sidération provoquée par le carnage à la rédaction de l’hebdo, elle a passé deux jours, dans une grande confusion, à «aimer tout le monde» : victimes, flics, Charlie et «les crétins» qui ne l’étaient pas. J’ai été «Charlie», dit-elle, mais aussi les «gars qui entrent avec leurs armes, ceux qui venaient de s’acheter une kalachnikov» et qui «avaient décidé de mourir debout plutôt que de vivre à genoux».
La tribune publiée dans les Inrocks veut être une analyse de la masculinité. Une «obsession», écrit Despentes. «Je crois que ce régime des armes et du droit de tuer reste ce qui définit la masculinité.» Et de conclure : «Quand et comment en finit-on avec votre merde de masculinité, qui ne se définit que sur la terreur que vous répandez ?» Reste que cinq ans plus tard, aux yeux notamment d’Isabelle Barbéris, maître de conférences en arts du spectacle, cette volonté de comprendre à tout prix «l’opprimé» est inadmissible et typique d’une gauche désorientée (lire page 5) : «La tendresse à l’égard des frères Kouachi est caractéristique d’une fascination exprimée par la gauche postmoderne pour le lumpenprolétariat. C’est une morale à géométrie variable selon que vous apparteniez ou non à un groupe fétichisé.»

«Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent.»

Dans la tribune «On se lève et on se barre», les mots de Despentes sont crus, les images qu’elle convoque sidérantes, dérangeantes parfois. Ses excès enthousiasment ou rebutent. «Quelques mots grossiers ou familiers, quelques images dégueulasses pour montrer qu’on choque le bourgeois», estime Natacha Polony. Un «texte boursouflé», fustige le philosophe médiatique Bernard-Henri Lévy dans les Echos. Esthétique de mauvais goût ou geste littéraire salutaire ? «Ce ton déraisonnable, cette veine pamphlétaire qui vient de l’anarchisme laissent voir une écriture qu’on ne lit plus depuis longtemps dans les journaux, analyse le chercheur Laurent Jeanpierre. Voir qu’une telle liberté a droit de cité dans la presse fait du bien à beaucoup de gens.»
L’apostrophe véhémente, la colère de Despentes rappellent combien la politique n’est pas qu’affaire de rationalité et échange d’arguments, mais aussi de styles et d’émotions. La société est en partie régie par les affects, comme le théorise le philosophe Frédéric Lordon, citant Spinoza dans ses livres et ses conférences. L’homme est un être de désir et de passions qui cohabite avec l’environnement social dans lequel il est plongé. Les idées politiques n’agissent que si elles sont accompagnées d’émotions, sans quoi elles laissent indifférent. «Le texte de Despentes est un coup de gueule où l’affect est au premier plan», juge le théoricien de la littérature Yves Citton (lire page 4). Et constitue un premier acte politique : hausser le ton, protester, rejeter l’éloge tempéré du compromis et du dialogue par un pouvoir qui manie l’euphémisme et n’écoute pas.
La longue confrontation autour de la réforme des retraites est le dernier exemple de ce dialogue politique qui n’a pas eu lieu face à un gouvernement qui n’a que le mot «négociation» à la bouche et finit la session par un 49.3. A cette violence symbolique, Despentes répond par une colère pamphlétaire, issue notamment de la théorie féministe. Dans Viril, son dernier spectacle rock-féministe avec Béatrice Dalle et Casey, elle lit notamment des textes de la poétesse afro-américaine Audre Lorde. La colère, disait Lorde, est chargée de messages et d’énergie, pour peu que l’on ne soit pas effrayé par sa charge subversive et son pouvoir destructeur. Correctement articulée, elle peut faire dérailler les rouages de l’ordre établi. Surtout quand elle est portée par la poésie ou la littérature.
Si le texte de Despentes a tant été partagé, a tant emporté, c’est sans doute aussi parce que l’écrivaine n’hésite pas à dire «je» pour s’adresser aux puissants : sa subjectivité assumée engage la conscience du lecteur. «Le texte est très riche en ce qui concerne le jeu des adresses», analyse Yves Citton. Despentes y évoque son propre viol : «On trimballe ce qu’on est et c’est tout. Venez m’expliquer comment je devrais m’y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire, bande de bouffons.» L’articulation entre un plan intime et politique, entre le biographique et l’analyse des dominations économiques, politiques et de genre, «c’est ce qui fait la force du texte, un ressort très puissant car il permet l’identification», note Laurent Jeanpierre.

«On a appris comment ça se porte, la robe de soirée. A la guerrière.»

«Soyez rassurés, les puissants, les boss, les chefs, les gros bonnets : ça fait mal…» Dès l’apostrophe, les centaines de milliers de personnes qui ont lu King Kong Théorie ont immédiatement pensé au manifeste publié par l’écrivaine en 2006 : «J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf…» Un féminisme brut et sans séduction qui s’approprie aussi des pans de la virilité («Ce sont mes qualités viriles qui font de moi autre chose qu’un cas social parmi les autres», écrit-elle dans King Kong Théorie) et intègre tout le monde : hétéro, lesbienne, trans, non-binaire. Virginie Despentes parle de toutes et pour toutes. Alors que le milieu féministe militant est traversé par divers courants théoriques, et donc de nombreuses divisions, elle réussit le tour de force, avec «On se lève et on se barre», de rassembler, de la militante abolitionniste Caroline De Haas à la réalisatrice afro-féministe Amandine Gay. Et aussi des jeunes femmes non militantes, «pas des obsédées de la lutte contre le patriarcat», comme le remarque même Natacha Polony.
Cette nouvelle génération, qui a porté #MeToo dans le débat public comme dans sa vie privée, a fait de la question du corps le nouvel enjeu de son engagement. Elles veulent «reprendre le contrôle sur [leurs] corps intimes pour les arracher à la réification à laquelle ils ont été réduits et qui les condamnait à n’être que des outils procréateurs et /ou des objets sexuels», analyse la philosophe et politiste Camille Froidevaux-Metterie dans son dernier livre, Seins, en quête d’une libération (Anamosa). Et ce contrôle passe par un mot, «consentement», que la cérémonie des césars, à leurs yeux, a largement piétiné. «La France a complètement raté le coche de #MeToo», regrettait Adèle Haenel dans le New York Times, le 25 février. Traduit en Despentes, ça donne : «Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans ton cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss.» Impossible soumission au XXIe siècle.
Virginie Despentes incarne cependant un féminisme radical, non victimaire, prosexe, libertaire, qui est loin de faire l’unanimité. Depuis Baise-moi, publié en 1994, elle a toujours défendu, sous l’influence de la théorie queer qui remet en cause le système sexe-genre, la liberté des corps jusqu’à celle de se prostituer. Ne plus faire des femmes des victimes de la domination sexuelle masculine, mais des individus autonomes dans leur sexualité, du travail sexuel au cinéma porno (notamment lesbien). Pour Virginie Despentes, la féminité - «cette putasserie, cet art de la servilité» - pose problème, mais plus encore la masculinité, dans son affirmation par la soumission, la violence. En 1998, face à Pivot, elle disait déjà : «Moi, je veux le pouvoir maintenant, en tant que femme, et en tant que personne qui n’est pas née dans les bons quartiersJe veux une mixité du pouvoir, maintenant, sexuelle et sociale.»
D’où son adresse vingt ans plus tard aux «puissants». Pour Despentes, comme elle l’écrit dans King Kong Théorie, le féminisme n’est pas un «réaménagement des consignes marketing», qui se contenterait de quelques augmentations de salaires données de-ci de-là, «pas une vague de promotion de la fellation ou de l’échangisme» mais bien «une révolution»«Une vision du monde.» «Un choix.» Une question de partage du pouvoir. On reste ou on se casse.

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