Publié le 13 mars 2020
TRIBUNE
Auriane Guilbaud
Maîtresse de conférences en science politique à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris-VIII et chercheuse au Cresppa-LabToP /CNRS, UMR 7
Tribune. Les financements d’urgence annoncés, tant au niveau national qu’à celui de l’Union européenne (UE), pour faire face à l’épidémie de coronavirus s’expliquent par l’immédiateté de la crise sanitaire, mais pourront-ils pallier des années de sous-investissement massif dans l’hôpital public et la recherche ? Pour contrer une épidémie, il faut des institutions résilientes, dotées des moyens pour réagir rapidement et absorber un surcroît de travail, et dans lesquelles les populations ont confiance. Cela nécessite des investissements de long terme, aux niveaux national et international.
Les épidémies sont des moments éprouvants pour les sociétés, confrontées à la perception d’un danger imminent, où la survie individuelle et collective devient un impératif absolu. Elles soulèvent de multiples questions éthiques : qui soigner en priorité ? Jusqu’à quel point peut-on restreindre la liberté individuelle de se déplacer ? Elles révèlent des inégalités et réactivent des tensions sociales : y aura-t-il un accès aux soins de qualité sur tout le territoire ? Sera-t-on protégé en cas d’absence au travail ? Enfin, parce qu’elles déstabilisent l’ordre politique et social établi, elles sont des moments privilégiés d’intervention gouvernementale.
Outre des financements débloqués en urgence, l’accent est mis sur des mesures barrières et la prophylaxie individuelle (le lavage soigneux et répété des mains, ne pas sortir quand on est malade…). Ces mesures sont bien sûr nécessaires, et il faut encourager à les respecter. Mais cet appel à la responsabilité individuelle nécessite un soutien institutionnel pour pouvoir être effectif et justifié. Si certaines mesures peuvent être prises en urgence, comme les indemnités journalières versées par l’Assurance-maladie en cas d’isolement lié au coronavirus, d’autres nécessitent un investissement en amont – combien d’écoles et d’autres lieux publics ont des toilettes dans un état tellement déplorable qu’il est impossible de s’y laver les mains correctement ?
Nécessité d’investissements pérennes
La capacité à réagir rapidement pour endiguer une épidémie est cruciale, comme l’ont rappelé les précédentes épidémies du XXIe siècle (SARS, grippe aviaire H1N1, Zika, Ebola…). Des mesures d’urgence ne pourront être efficaces rapidement que si des infrastructures permanentes sont en place, et donc financées en amont et à long terme. Il n’est pas possible d’embaucher des milliers de soignants ou de chercheurs supplémentaires en un claquement de doigts. La recherche d’un traitement contre les virus de la famille des coronavirus prend du temps et nécessite des investissements pérennes.
Le désengagement financier des pouvoirs publics une fois terminée l’épidémie de SARS (causé par un coronavirus) de 2003 a considérablement ralenti le développement d’un traitement comme le rappelait, dans une interview, Bruno Canard (Le Monde du 4 mars 2020). Par contraste, il existe toute une infrastructure issue de décennies de recherche depuis les années 1940 pour permettre de produire un vaccin contre les nouveaux virus grippaux en quelques mois.
Cette importance des financements permanents, qui ne soient pas soumis au court-termisme des appels à projets, n’est malheureusement toujours pas comprise par le gouvernement, dont le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) fait l’objet, en partie pour ces raisons, d’une forte contestation de la part de la communauté universitaire et scientifique. A l’échelle internationale, il est également nécessaire d’assurer l’autonomie financière de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de lui permettre de remplir son rôle de coordination et de veille sanitaire.
Etablir une véritable confiance
Ces investissements de long terme sont d’autant plus nécessaires qu’ils permettent le développement de la confiance des populations dans les institutions, indispensable en cas d’épidémie. Si vous devez rester chez vous parce que vous pensez être atteint du coronavirus et attendre que le SAMU vienne vous chercher, mieux vaut avoir confiance dans le système, en sachant qu’il est bien financé.
La confiance est également nécessaire pour que la réponse aux questions éthiques qui peuvent surgir se fasse de la manière la plus apaisée possible. Mais la confiance, qui est au cœur des relations sociales, ne se décrète pas. Elle se construit, patiemment, par un engagement global (dans le système de santé, la recherche, mais également l’éducation, la lutte contre les inégalités territoriales, etc.), par l’écoute et le dialogue. A cet égard, les mobilisations en cours en France, sur la réforme des retraites, l’hôpital public ou la recherche, méritent mieux qu’un passage en force à coup de 49.3.
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