Des maternités se disent débordées par des femmes ayant accouché il y a peu et dormant dans leurs couloirs. Et la naissance de bébés dans la rue est un phénomène en augmentation.
Une dizaine de jeunes mères sans abri et leurs enfants refoulés d’un hôpital parisien où ils étaient venus chercher refuge… La scène, qui s’est déroulée mercredi 27 novembre, à l’hôpital Trousseau, dans le 12e arrondissement, est révélatrice d’une crise sans précédent.
Un nombre croissant de jeunes femmes venues de pays en guerre et d’Afrique subsaharienne, très souvent enceintes ou mères de jeunes enfants, se retrouvent à la rue en Ile-de-France et dans quelques grandes métropoles, en raison de la totale saturation des dispositifs d’hébergement d’urgence.
Mercredi soir, à Trousseau, l’annonce de l’ouverture de soixante places gérées par le 115 a ainsi provoqué un « appel d’air », suscitant l’arrivée de nombreuses familles. « Une fois la capacité maximale du centre d’accueil atteinte, l’hôpital a été contraint de placer des vigiles devant le hall de l’hôpital en interdisant ainsi l’accès en raison des risques posés pour les patients hospitalisés », explique-t-on à l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP), dans la mesure où le hall d’un hôpital n’a « pas les conditions requises pour être un lieu d’hébergement ».
« 700 enfants à la rue »
Les associations de lutte contre la précarité alertent sur l’importance du phénomène cet hiver. « Nous estimons à 146 le nombre de bébés nés dans la rue cette année, alors qu’ils n’étaient que 100 en 2018 et 49 en 2017. La progression est fulgurante », témoigne Gilles Petit-Gats, directeur de la Coordination de l’accueil des familles demandeuses d’asile, gérée par le Centre d’action sociale protestant.
« Depuis quelques semaines, on a de plus en plus de mamans qui dorment dehors avec leurs bébés, des assistantes sociales nous demandent des nacelles pour que les bébés puissent dormir dans la rue », raconte Samra Seddik, sage-femme et présidente d’Un petit bagage d’amour, une association d’aide aux femmes enceintes dans la grande précarité.
Pour Bruno Morel, directeur d’Emmaüs Solidarité, « il y aurait aujourd’hui, en Ile-de-France, 700 enfants à la rue. Ils y resteraient entre deux et cinq mois, parfois plus ». Lui aussi a constaté le triplement des flux d’arrivées à son accueil de jour destiné aux familles et aux enfants, dans le 15e arrondissement de Paris : « 75 % des 2 000 personnes que nous accueillons chaque mois passent la nuit dehors, dans les gares, les halls, sous tente, dans le métro, dans les hôpitaux ; 15 % ont un toit pour une ou quelques nuits et seuls 10 % un hébergement pérenne. »
Chaque nuit, près d’une centaine de femmes ayant accouché trouvent ainsi refuge dans les treize maternités de l’AP-HP. Certaines sont « mises à l’abri » dans des lits d’hospitalisation, comme à Robert-Debré (Paris 19e), où elles occupent un quart des lits de la maternité, tandis que d’autres se retrouvent tolérées dans un bout de couloir, généralement à même le sol. « On leur permet de rester mais elles n’ont aucun statut : elles ne sont ni hospitalisées ni hébergées », explique-t-on à la direction du groupe hospitalier où cette situation est jugée « insupportable » pour les femmes et leurs bébés, mais aussi pour les soignants et le personnel hospitalier.
Situation « sordide »
Ces femmes restent en moyenne trente et un jours dans les locaux de l’AP-HP, certaines d’entre elles étant là depuis plus de soixante-dix ou quatre-vingts jours. A la Pitié-Salpêtrière, Sophie Le Goff, médecin à la permanence d’accès aux soins, décrit ainsi la situation « sordide » d’une jeune femme « qui a accouché en août par césarienne et dort actuellement dans un couloir au rez-de-chaussée de la maternité avec d’autres mamans et bébés, à même le sol, avec deux draps ». Pour se nourrir, elle « n’a accès à aucun repas sauf, le soir, aux restes des plateaux des patientes hospitalisées ».
« Toutes les maternités de Seine-Saint-Denis sont confrontées au manque de place d’hébergement pour les jeunes accouchées, explique Pauline Geindreau, responsable du pôle mise à l’abri et hébergement d’Interlogement 93, qui gère le 115. Elles font tous les efforts possibles pour les garder trois ou quatre semaines, mais ont aussi besoin de lits pour les arrivantes. » Depuis le 1er novembre, un nouveau centre de 150 places a bien été ouvert à Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne), mais il est déjà saturé.
Tous les séjours à la rue s’accompagnent de tragédies : la sous-nutrition des enfants, les maladies, les viols de femmes, même enceintes et parfois en présence de leurs enfants. « Chaque jour, je m’attends à un nouveau drame, confie Gilles Petit-Gats, comme cette femme qui, après six semaines de rue, a accouché de jumeaux dont l’un n’a pas survécu, faute de lui trouver un toit. »
Les pouvoirs publics semblent avoir pris la mesure de l’urgence : le ministre du logement, Julien Denormandie, a, jeudi 28 novembre, convoqué une réunion de crise avec les associations et le préfet de région Michel Cadot. Les crédits des nuits hôtelières pour 2019, déjà consommés fin octobre, vont bénéficier d’une rallonge.
Mobilisation
« Mais le problème n’est pas financier, il est de trouver des locaux, rappelle M. Petit-Gats. Le gouvernement va lancer un appel aux grandes entreprises, aux administrations, aux institutions comme les hôpitaux, pour trouver des lieux temporaires. »
Toutes les institutions conjuguent leurs efforts face à la crise. Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris, chargée de la lutte contre l’exclusion, confirme : « La Ville a proposé à l’Etat plus de 1 000 places, dans les bâtiments municipaux, pour les familles avec enfants. Ces lieux ouvriront au fur et à mesure de leur aménagement. L’un d’eux, dans le 3e arrondissement, sera particulièrement consacré aux femmes sortant de maternité », précise-t-elle.
De son côté, l’AP-HP a, le 1er juillet, mis à disposition 174 places pour les femmes qui viennent d’accoucher, dans l’ancien hôpital La Rochefoucauld (14e arrondissement). Lui aussi, depuis le 20 août, affiche complet. Et fin mars, il est prévu qu’il ferme ses portes.
C’est en Ile-de-France que le problème est le plus aigu, mais il préoccupe aussi les métropoles de Lyon, Bordeaux et Toulouse. « A Lyon, une sélection impitoyable est opérée entre toutes les demandes d’hébergement à tel point que les enfants d’un an ou plus ne sont pas prioritaires, sauf s’ils sont malades ! », s’indigne Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité.
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