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jeudi 5 décembre 2019

« La protection des femmes exige une coopération entre la justice et les services de psychiatrie »

Il faut une « vraie démarche thérapeutique » avec les auteurs de violences adressés par la justice aux services psychiatriques, inexistente à ce jour, s’insurge, dans une tribune au « Monde », le psychiatre Pierre Murry.

Publié le 5 décembre 2019

Tribune. « Les femmes maltraitées ont quelques raisons d’avoir peur. » C’est la phrase insistante que nous, psychiatres des hôpitaux, échangeons parfois entre nous. Nous sommes confrontés chaque semaine à des personnes, sortant de prison ou pas, adressées en consultation pour des « obligations de soins » dans les centres médico-psychologiques (CMP), au sein de la psychiatrie du service public. Elles nous sont envoyées par des juges, sans aucune information sans documents écrits, sans appel téléphonique, sans autre lien d’aucune sorte.
Le seul élément en notre possession est la même phrase stéréotypée, prononcée par la personne : « C’est le juge qui m’envoie. » Puis, très vite, l’interlocuteur précise : « Il me faut l’attestation »… Ainsi, nous assistons depuis des années à cet afflux de personnes sous le coup de condamnations par la justice, adressées de cette manière à la psychiatrie publique par des juges, le plus souvent par l’intermédiaire du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), cela sans aucune concertation ni coordination.

Des consultations « assez kafkaïennes »

Exemple caricatural récent : c’est par la lecture des journaux locaux que nous avons appris la condamnation d’un homme à plusieurs années de prison pour avoir agressé sexuellement plusieurs femmes, puis sa libération après quelques semaines. Cet homme nous avait été adressé en consultation un an auparavant sans aucune indication médicale ni judiciaire, sans troubles psychiatriques évidents, lui-même étant dans l’ignorance de l’objet de la démarche.

Par ailleurs, le peu d’informations que nous obtenons de ces personnes nous indique que les raisons de ces démarches pseudo-thérapeutiques dites « obligations de soins » sont très fréquemment des passages à l’acte violents dans le cadre conjugal ou dans leur entourage. Ces consultations sont donc assez kafkaïennes, personne ne connaissant, en fin de compte, l’objet d’une telle démarche imposée par la justice à des services peu adaptés et souvent eux-mêmes en grande difficulté, comme la plupart des services de psychiatrie.
« Des personnes condamnées viennent en psychiatrie rencontrer des psychiatres ignorant tout de leur cas, pathologique ou pas »
Les personnes concernées ont une vague idée de la psychiatrie, mais ne pensent pas avoir de troubles spécifiques. Elles sont généralement dans le déni de la violence et, de toute façon, elles nous en disent le moins possible. Situation étrange, où tous les protagonistes sont dans l’ignorance des éléments les plus déterminants, où des personnes condamnées viennent en psychiatrie rencontrer des spécialistes ignorant tout de leur cas, pathologique ou pas.
Enfin, et ce n’est pas le point le moins important : dans la grande majorité des cas, il est impossible de joindre les services de la justice pour avoir une quelconque information et encore moins pour signaler une dangerosité éventuelle. Ainsi, ce fut le cas d’un homme, véritablement paranoïaque, très violent envers sa femme, récidiviste, pour lequel il nous a fallu des semaines pour réussir à joindre le service compétent.
Cette réalité que nous subissons chaque semaine en tant que membres de services de psychiatrie est évidemment une source d’angoisse inimaginable pour les victimes le plus souvent confrontées encore et toujours à leurs agresseurs, ces derniers venant chercher tranquillement leur attestation au centre médico-psychologique, preuve ultime d’un « suivi psychologique » censé prévenir de nouvelles violences…

Prendre conscience des comportements pathologiques

Il faut donc espérer que les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement, dont la création de centres spécialisés dotés de personnels formés, permettront une réelle avancée dans la prévention de la violence, sur le fond d’une meilleure coopération entre justice et psychiatrie. Dans le cas où des soins seront nécessaires, ils devront ne pas se limiter à l’obtention d’une attestation comme cela se passe aujourd’hui trop souvent. Ces soins devront être structurés dans la perspective d’une véritable démarche thérapeutique dans un cadre institutionnel strict, ayant pour objectif premier une prise de conscience des comportements pathologiques.
Nous constatons chaque jour la nécessité d’une prise de conscience par la société, à tous les niveaux, des violences psychologiques et physiques, pouvant aller jusqu’au meurtre, subies par de nombreuses femmes. C’est seulement au prix d’une nécessaire coopération réelle, et non purement formelle, entre la justice et les services de psychiatrie que pourra être combattue la violence, qu’elle vise les femmes en particulier ou les personnes en général.
Pierre Murry est psychiatre des hôpitaux, ancien expert près des tribunaux.

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