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jeudi 5 décembre 2019

« Les nouvelles mesures sur les violences conjugales ne remplaceront pas une réelle application des lois existantes »

Après l’annonce gouvernementale, le 25 novembre, de trente mesures pour lutter contre les violences faites aux femmes, la chercheuse Lynda Gaudemard dénonce, dans une tribune au « Monde », le « dysfonctionnement judiciaire » quant à la mise en œuvre des dispositions présentes dans le code pénal.

Publié le 5 décembre 2019

Manifestation contre les violences faites aux femmes, à l’appel du collectif féministe #NousToutes, à Paris, le 23 novembre.
Manifestation contre les violences faites aux femmes, à l’appel du collectif féministe #NousToutes, à Paris, le 23 novembre. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »
Tribune. Outil d’évaluation du danger, suspension automatique de l’autorité parentale pour le conjoint meurtrier, introduction de la notion d’emprise dans le code pénal : pas un jour ne passe sans que l’actualité n’évoque les nouvelles mesures du gouvernement destinées à réduire le nombre de victimes de violences conjugales.
N’en déplaise aux annonceurs de ces nouvelles mesures, des lois très similaires censées protéger les victimes (en grande majorité des femmes) d’un conjoint violent existent déjà dans notre code pénal. La principale cause du dysfonctionnement judiciaire rencontré en France est que les lois en matière de protection contre les violences conjugales ne sont pas ou très peu appliquées en raison d’une mauvaise évaluation de la situation.
Par exemple, l’emprise, animée par la volonté de soumettre l’autre en suscitant chez lui le sentiment de peur de façon cyclique, est la composante essentielle de la violence psychologique, telle que celle-ci a été étudiée par la psychiatre Marie-France Hirigoyen, notion qui figure déjà dans le code pénal. En effet, depuis la loi du 9 juillet 2010 visant à protéger les victimes de violences psychologiques, celles exercées par un conjoint ou un ex-conjoint peuvent faire l’objet d’une condamnation.

« Introduire la notion d’emprise dans notre code pénal n’améliorera ni la reconnaissance ni la prise en charge des violences conjugales, qui sont d’abord psychologiques »
Pourtant, la très grande majorité des plaintes pour violences psychologiques sont classées sans suite. Et pour cause. La victime doit apporter la preuve matérielle qu’elle est explicitement menacée de mort de façon répétée ; et, dans la majorité des cas, le conjoint violent, au profil souvent manipulateur, paranoïaque et « borderline », est suffisamment intelligent pour ne pas laisser de traces et inverser les rôles.
Introduire la notion d’emprise dans notre code pénal n’améliorera ni la reconnaissance ni la prise en charge des violences conjugales, qui sont d’abord psychologiques.
La nouvelle mesure prévoyant la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale dès la phase d’enquête, en cas d’homicide conjugal, est elle aussi insuffisante. Tous les spécialistes s’accordent sur le fait que la violence exercée contre l’un de ses parents est contraire à l’intérêt de l’enfant, qui la subira également, directement ou indirectement.
Or, selon cette nouvelle mesure, pour protéger un enfant, il faudra attendre que sa mère (comme c’est souvent le cas) décède sous les coups de son père ! De plus, le conjoint auteur de l’homicide conservera le plus souvent la jouissance de l’autorité parentale.
En effet, le droit français distingue la jouissance de l’autorité parentale de l’exercice de l’autorité parentale. L’auteur de l’homicide ne pourra pas prendre de décisions relatives à son enfant, mais il aura un droit de regard sur les choix concernant son éducation, son lieu de résidence, son suivi médical ou sa scolarité ; il pourra demander au juge un droit de visite et d’hébergement ; il aura également le droit de demander un transfert d’autorité parentale. Car le retrait de l’autorité parentale (notion qui a remplacé depuis 1996 en France celle de déchéance de l’autorité parentale) est une décision qui doit rester exceptionnelle, selon la jurisprudence issue d’un arrêt de la Cour de cassation en 2007.

D’autant plus inquiétant

Ainsi, dans une affaire récente, en France, un père a été condamné par une cour d’assises pour le viol de deux de ses trois enfants mineurs ; et malgré la demande de la mère, le père n’a pas été déchu de son autorité parentale (arrêt du 10 juillet 2013, cour d’appel d’Aix-en-Provence). Les nouvelles mesures du gouvernement n’empêcheront pas les tribunaux de prononcer ce type de décision.
« Les pères violents sont deux fois plus nombreux que les pères non violents à demander la garde exclusive de leur enfant et à solliciter des droits de visite très fréquents »
Le gouvernement a également annoncé la « possibilité » pour le juge de suspendre l’autorité parentale dès le dépôt de plainte. Mais l’article 373-2-11 du code pénal stipule que « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre » doivent être prises en considération par le juge lorsqu’il statue sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale. Les juges ont donc déjà la possibilité de statuer sur l’autorité parentale en cas de violence ; et cette nouvelle mesure ne les obligera pas à suspendre l’exercice de l’autorité parentale du conjoint violent.
Cela est d’autant plus inquiétant lorsqu’on sait que, dans les faits, les pères violents sont deux fois plus nombreux que les pères non violents à demander la garde exclusive de leur enfant et à solliciter des droits de visite très fréquents.
Des études, notamment celles de la chercheuse italienne Patrizia Romito [universitaire, spécialiste de la psychologie sociale], ont en effet montré qu’après la rupture, les violences conjugales perdurent, voire s’accentuent, surtout lorsqu’il y a des enfants. Ces études montrent que ces demandes de garde ont en réalité pour objectif de continuer à exercer une emprise sur leur ex-compagne.

Former les juges et auxiliaires de justice

Autres exemples : les ordonnances de protection existent déjà, mais leur délivrance est malheureusement rare en France. Quant à l’interdiction des médiations familiales en cas de violences conjugales, l’article 48 de la convention d’Istanbul (2011) du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique prévoit déjà l’exclusion de ce mode de résolution des conflits.
Cet article a été repris en France dans l’action 57 du cinquième plan (2017-2019) de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes. Cette mesure n’est donc pas nouvelle.
A l’inverse, l’interdiction du classement sans suite et l’obligation de poursuivre le mis en cause en cas de violences conjugales, la suspension immédiate de l’exercice de l’autorité parentale de droit dès le dépôt de plainte et le retrait de l’autorité parentale de droit en cas de crime commis à l’encontre de l’autre parent constitueraient des mesures fortes.
Mais l’adoption de nouvelles mesures n’endiguera pas le phénomène des violences conjugales si elle n’est pas accompagnée de circulaires renforçant leur application dans les tribunaux, de formations destinées aux juges et aux auxiliaires de justice permettant une meilleure évaluation de la situation.
Elle doit aussi être associée à une meilleure sensibilisation aux violences conjugales sous toutes leurs formes (physiques, psychologiques, sexuelles, économiques), incluant le harcèlement juridique et le désenfantement [le fait de couper volontairement tout contact entre un parent et son enfant].
Lynda Gaudemard est enseignante-chercheuse associée à l’Institut d’histoire de la philosophie, Aix-Marseille Université.

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