Souvent banalisées, car mal quantifiées, ce type de violence entre mineurs est une réalité. « Le Monde » a suivi, pendant plusieurs semaines, un groupe de parole.
Au CHU de Montpellier (Hérault), une équipe de psychologues et de psychiatres prend en charge des auteurs de violences à un âge où la sexualité devrait plutôt s’apparenter à la découverte du plaisir qu’à la violence.
Un après-midi d’hiver, une vidéo projetée montre deux jeunes femmes dans une salle de musée. Malgré la présence d’un vigile, elles n’hésitent pas à caresser avec insistance une sculpture. « Laisse-toi faire, ça va te plaire », osent-elles proposer au vigile face à ses remontrances. « Qu’est-ce que ça sous-entend ? », demande Magali Teillard, psychologue, après avoir éteint la vidéo. « Parfois, une fille dit non et le mec lui dit : “Je sais que tu aimes ça” », tente Timothé, bras croisés, jambes tendues, écouteurs pendus aux oreilles. « On peut penser que si une fille dit non, c’est pour minauder. Mais non, c’est non. Vous savez pourquoi vous êtes là, je n’ai pas envie de vous revoir », avertit la psychologue.Trouver des comportements alternatifs à leur violence
Face à elle, trois jeunes. Agés de 17 à 20 ans, ils sont accusés d’avoir commis un viol ou une agression sexuelle. Suivis depuis quelques mois ou plusieurs années par les professionnels du Centre ressource pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs), situé au sein du CHU de Montpellier, ils ont accepté de participer à un groupe de parole. Pendant onze séances étalées sur cinq mois, ils vont parler sexisme, consentement, emprise mentale, empathie, maîtrise de soi pour prendre conscience de la gravité de leurs actes. Par le biais de vidéos YouTube, de publicités sexistes, d’articles de presse, ils vont évoquer leur rapport à la séduction et leurs idées reçues, sans être jugés, dans l’espoir de trouver des comportements alternatifs à leur violence.
« L’objectif n’est pas qu’ils sortent de ce groupe en se disant qu’ils sont des monstres », Magali Teillard
Une seule règle, aucun cas individuel n’est abordé. « C’est très difficile pour eux de parler de choses personnelles, en même temps, c’est bon signe car cela montre qu’ils ont honte de ce qu’ils ont fait, estime Magali Teillard, qui coordonne les groupes de parole lancés il y a deux ans. L’objectif n’est pas qu’ils sortent de ce groupe en se disant qu’ils sont des monstres, mais qu’ils bougent mentalement. »Surtout, qu’ils puissent répondre à la question qui leur sera posée lors de la dernière séance : « Est-ce que, désormais, vous percevez votre acte différemment ? »
« Ces jeunes et d’autres manquent de confiance avec le sexe, qui les attire, analyse la psychologue. Ils se réfugient derrière les écrans et arrivent à séduire sur Internet, mais ils n’y parviennent pas dans la réalité. Alors, ils se tournent vers des enfants ou vers des personnes de leur âge en ayant des comportements inadaptés. C’est souvent leur maladresse qui les conduit au passage à l’acte. » C’est pourquoi la psychologue affirme qu’avec « un peu de recul et de maturité, dans la majorité des cas, ces jeunes parviendront, à l’âge adulte, à avoir une sexualité normale ».
Décortiquer la notion de consentement
Pablo (tous les prénoms ont été modifiés), 20 ans, est suivi depuis cinq ans par le Criavs. Il en avait 14 lorsqu’il s’en est pris sexuellement à six garçons âgés d’une dizaine d’années. Poursuivi pour agression sexuelle, il attend toujours son procès. « Pour moi, au début, c’était normal de faire ça, c’était la découverte de la jeunesse, dit-il, assis dans un couloir de l’hôpital. Au début, c’était impossible pour moi de participer au groupe de parole, mais quand j’ai compris qu’on n’allait pas forcément parler de nos histoires personnelles, je me suis dit pourquoi pas. »Prendre part à ces discussions collectives lui a permis de comprendre qu’il n’était pas « tout seul à avoir ces problèmes », et n’a désormais plus honte d’aborder les faits. « Avant, même dire “je suis accusé d’agression sexuelle”, je n’y arrivais pas. Le groupe m’a libéré ». Il n’a, en revanche, « toujours pas compris » les raisons de son passage à l’acte.
Ce jour-là, après avoir décortiqué la notion de consentement pendant plus d’une heure, Magali Teillard et la psychiatre Céline Baïs diffusent une dernière vidéo. « Imaginez qu’au lieu de vouloir un rapport sexuel, vous vouliez offrir du thé », explique la voix du narrateur :
« Hey, ça te dirait une tasse de thé ? Si la personne vous répond : “Ouais, j’ai grave envie d’une tasse de thé, merci !”, alors, ça veut dire qu’elle veut une tasse de thé. Si la personne vous répond : “Euh, j’sais pas, p’t’être mais j’suis pas vraiment sûre”, alors vous pouvez lui préparer une tasse de thé ou non mais soyez bien conscient qu’elle n’en voudra peut-être pas… »
« C’est illogique de faire quelque chose que l’autre n’aime pas », Timothé
« Ça a tout résumé, lance Pablo, teint pâle et crâne à moitié rasé. Si une personne dit oui, cinq minutes après, elle peut dire non, faut pas la forcer. » Avant de participer au groupe de parole, le jeune homme pensait qu’une agression sexuelle s’accompagnait forcément de violences physiques, et que l’absence de non valait forcément un oui. C’est pourquoi, il a longtemps pensé que les enfants auxquels il s’en est pris étaient consentants. Aujourd’hui, il réalise qu’ils ont « peut-être dit oui parce qu’ils avaient peur de [lui] ».
Il y a deux ans, Timothé a agressé sexuellement sa petite sœur, âgée de 8 ans au moment des faits. C’est son éducatrice qui lui a proposé de participer au groupe. « Je le fais surtout pour ma sœur, pour lui apporter des réponses. » Si, « pour l’instant », il n’a trouvé aucune piste, il sait toutefois qu’elle était « trop petite »pour émettre un avis. « C’est illogique de faire quelque chose que l’autre n’aime pas », dit-il le regard perdu.
Pour que les discussions de groupe portent leurs fruits, encore faut-il que les jeunes y participent. Ce qui n’est pas toujours le cas. Sur les six jeunes ayant donné leur accord, moins de la moitié était présente aux quatre séances auxquelles Le Monde a assisté. « Quand ils accumulent trop d’absences, on leur dit que ça ne sert à rien de continuer [avec leur groupe], mais qu’ils ont gagné le droit de revenir [à la prochaine session] », indique Magali Teillard.
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