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samedi 27 avril 2019

La lente reconnaissance du SAF : de l’Ancien Testament au 19e siècle

Publié le 24/04/2019

The Canadian Journal of Psychiatry propose un « bref historique de la reconnaissance du lien entre l’alcoolisation d’une femme enceinte et son incidence sur l’enfant issu d’une grossesse « alcoolisée. »

La première mention écrite sur cette relation insidieuse semble remonter au Livre des Juges, dans la Bible (Ancien Testament) avec ce conseil donné à une femme enceinte (Juges 13 : 3-4) : « Tu enfanteras un fils. Maintenant prends bien garde, ne bois ni vin ni liqueur forte, et ne mange rien d’impur. »

Également suspecté dans les Problemata d’Aristote[1], ce lien dangereux est envisagé à nouveau dans les siècles suivants, notamment par Robert Burton en 1621, dans The Anatomy of Melancholy (L’Anatomie de la mélancolie)[2]. Et, en 1973, des historiens de la médecine ont remis en mémoire une antique injonction carthaginoise interdisant « la consommation d’alcool pendant la nuit de noces, pour éviter la conception d’un enfant déficient. »

En fait, dans des œuvres littéraires ou artistiques, plusieurs précurseurs auraient déjà envisagé cette possible conséquence délétère de l’alcoolisation maternelle sur l’enfant, par exemple le peintre William Hogarth (1697–1764) auquel le College of Physicians de Londres attribuait en 1725 le mérite d’avoir « identifié l’influence négative de la consommation d’alcool sur la progéniture. » Autres exemples de telles prémonitions : chez Charles Dickens en 1836, dans son roman The Posthumous Papers of the Pickwick Club (Les Aventures de Monsieur Pickwick, également à l’origine de la description littéraire du « syndrome de Pickwick »)[3], et chez Aldous Huxley imaginant en 1932, dans Brave New World (Le Meilleur des mondes) les effets nocifs de l’alcool sur l’embryon humain.

D’autre part, certaines expérimentations au début du XXème siècle démontrent « les dégâts physiques sur des animaux nés de mères exposées à l’alcool. » Malgré ces indices concordants, le concept de Syndrome d’Alcoolisation Fœtale (SAF) tarde à s’imposer, en partie à cause d’une « mauvaise interprétation » des travaux précoces sur ce thème, compris davantage dans une « perspective eugénique », plutôt que dans « un contexte toxicologique. »

L’alcool passe alors plus comme une sorte de « révélateur darwinien » pour « l’élimination de fœtus fragiles » que comme un véritable agent étiologique de troubles fœtaux, voire tératogène, par sa toxicité propre. Soutenue notamment par les adversaires de l’avortement, une distinction s’impose longtemps entre le contexte biologique de la mère et celui de l’enfant, censé protégé de l’alcool par la barrière placentaire, malgré la démonstration du contraire dès 1900, avec la découverte par Maurice Nicloux de la porosité du placenta à l’alcool[4] !

À ce contexte prolongé de méprise médicale où la barrière placentaire passe abusivement pour une preuve de « l’autonomie intra-utérine » du fœtus, on peut ajouter que le poids politique et sociologique des producteurs de boissons alcoolisées contribue à une méconnaissance persistante des ravages de l’alcool à la génération suivante, celle qui risque pourtant de « trinquer sans avoir bu » elle-même...

(À suivre demain sur JIM.fr)

[4] M. Nicloux : Recherches expérimentales sur l’élimination de l’alcool dans l’organisme. Détermination d’un alcoolisme congénital. Thèse de Médecine, Paris. 1900. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k876407v

Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCES
Jonsson E : Fetal Alcohol Spectrum Disorder (FASD): a policy perspective. Canadian J. Psy; 2019 ; 64 (3) : 161–163.
Brown JM et coll. : A brief history of awareness of the link between alcohol and Fetal Alcohol Spectrum Disorder. Canadian J. Psy ; 2019 ; 64 (3) : 164–168.

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