La maison d'arrêt de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, en avril 2017. Photo Denis Allard. REA
Réunis le temps d’une après-midi dans leur maison d’arrêt, une vingtaine de détenus et cinq intervenants ont discuté réussite, détermination et réseaux d’entraide face aux difficultés de travailler dehors.
Mercredi, des chaises rouges et beiges furent installées au gymnase de la maison d’arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis) - un millier de prisonniers, des photos d’archives d’une visite de François Hollande dans un couloir et trois chèvres broutant à l’entrée. Une vingtaine d’hommes incarcérés se sont assis en demi-cercle, face à cinq intervenants (une militante associative, un entrepreneur, une experte-comptable, un vidéaste, un détenu membre d’un collectif) venus parler d’une thématique aux frontières de la philosophie : la réussite quand, a priori, on part de très loin. Jolie rencontre - quatre-vingt-dix minutes - de trajectoires, d’histoires et de personnages.
Oweis, chef d’entreprise
Il sous-traite les livraisons pour des boîtes prestigieuses de restauration, celles qui font la joie d’estomacs bourgeois. Au départ, il se lance avec un mini-budget. Le trentenaire, issu d’un quartier populaire, commence en engageant des banlieusards possédant déjà leur propre bécane. Son bras droit possède un casier judiciaire, il promet que la détermination supplante de loin tous les antécédents. Son conseil est le suivant : scruter dans son propre terroir ce qu’il est possible de faire fleurir, sans penser à titiller les pontes du CAC 40. Juste à s’émanciper - la débrouille est une compétence en soi. Oweis, cuir de motard sur une chemise blanche, raconte ainsi l’histoire de ces gars qui ont démarché des fast-foods type kebabs bien embêtés par la législation hostile aux sacs plastiques. Ils ont alors créé une boîte proposant des petits sachets en carton. Qui, assure-t-il, se porte bien.
Un détenu, bandana, barbe, un magazine dans les mains
Il s’est présenté au détour d’une phrase, vers la fin,comme si de rien n’était : prof de collèges, passé par les conventions Sciences-Po ouvertes aux classes populaires - que diable fabrique-t-il ici ? Il est sceptique : les réussites présentées aux banlieusards sont «indépendantes du système». Dit autrement : elles dépendent du talent - sport, rap, entrepreneuriat - et de ce qui s’y apparente. A l’argument «les ex-détenus manquent d’ambition à leur sortie et optent pour des boulots sans véritable avenir», il répond de sa voix douce que le pragmatisme écrase tout. Le taulard sort avec un stigmate gros comme ça, tout en devant payer ses factures, subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. Sans oublier que l’enfermement a parfois partiellement congelé son cerveau, dont une partie peut définitivement rester en cellule.
Inès Seddiki, fondatrice d’une association
Elle coorganise l’événement avec un collectif de détenus, «Unis pour la paix». Il y a trois ans, elle crée son asso, Ghett’Up, qui travaille, notamment en organisant des rencontres «after work», à pouponner la fierté banlieusarde : femmes et hommes des quartiers populaires ont largement de quoi se rendre désirables. Il suffit de prendre confiance comme dans un relooking, de s’inspirer de ceux qui pètent les barrières et d’offrir un réseau - des portes auxquelles taper - aux talents les plus esseulés.
La jeune femme, 28 ans, grandit entre Sarcelles, Saint-Denis et Stains. Aux invités, elle évoque ses six mois perdus par manque de sous. Elle fait fille au pair pour payer son école de commerce et son employeuse est une mégère à moitié cintrée. Elle serre les dents. Prend deux années de retard sur son cursus. Ça passe. Elle décroche un bac + 5, un travail au Parlement européen et fonde une asso aux contours de LinkedIn des grands ensembles.
P., détenu, membre du «Collectif pour la paix»
Taille moyenne, musclé sec, assis aux côtés des gens libres en qualité d’intervenant. Son épouse a acheté tartes et gâteaux chez un grand pâtissier qu’elle a fait passer à Ghett’Up pour les distribuer aux détenus.
P., barbe très légère, est membre du collectif «Unis pour la paix», qui combat la radicalisation entre les murs. Lui voudrait faire de l’humanitaire en sortant - pas besoin d’aller loin, il y a de quoi faire à Paris, jure-t-il. Il décrit avec tendresse sa peine de voir des gamins des quartiers populaires gâcher leur talent à jamais. Un détenu, long, petits yeux et barbe fournie, a tiqué sur «humanitaire» et l’a alpagué de loin : «J’ai besoin de cigarettes, j’en n’ai plus dans ma cellule…» Un autre confessait en comité restreint qu’à la place d’un patron, il n’embaucherait pas d’ex-taulards. Trop compliqué, alors pourquoi se lancer là-dedans ?
Une femme, membre d’une fondation dédiée à l’éducation
La quadra, peut-être un peu plus, vient d’un village de 150 habitants et insiste : là-bas, on sait aussi ce qu’est le stigmate. A Inès Seddiki, qui se souvenait tout haut de sa photo de classe et des trop rares ex-camarades en réussite, elle répond avec ses doigts : «Nous sommes deux aussi» à s’en être tirés avec brio. Sa fondation envoie des volontaires dans les quartiers populaires pour aider et suivre jusqu’aux études supérieures des gamins aux portes du décrochage scolaire. Elle dit : «Un jour, j’aimerais que des jeunes des quartiers aillent aider des petits Blancs.» Un détenu en veste jaune et bleu demande : «Mais eux, est-ce qu’ils veulent qu’on vienne les aider ?»
Un détenu, tout fin, en survêtement gris
Il nous interroge à la fin : «Tu me donnes combien ?» 35, à tout casser. «J’ai 47 ans.»Une femme toxicomane et deux enfants placés depuis qu’il est en taule. Il joue de poisse : il monte des dossiers pour des formations qui tombent tous à l’eau.«Je sors en automne… Je me sens bête de me plaindre. Tu as des types qui t’écoutent et qui sont là pour dix ans.» Il se gratte la tête : comment va-t-il rembourser les traites de sa maison à sa sortie ?
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