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mercredi 23 janvier 2019

Syndrome du bébé secoué : « Ce qui importe n’est pas tant la moralité des experts que la qualité scientifique de leur travail »

Le docteur Jean Marty et Rémi Pellet, professeur de droit et spécialiste de la santé, estiment, dans une tribune au « Monde », que des réformes sont nécessaires, notamment dans les expertises médicales. Ils souhaitent les rendre totalement anonymes, selon le principe des articles proposés pour les publications dans les revues scientifiques.
Par Jean Marty et Rémi Pellet Publié le 23 janvier 2019
« Les expertises seraient certainement améliorées si leurs auteurs savaient qu’elles peuvent faire l’objet d’une lecture scientifique critique »
« Les expertises seraient certainement améliorées si leurs auteurs savaient qu’elles peuvent faire l’objet d’une lecture scientifique critique » Jacques Loic / Photononstop
Tribune Un grand-père prévient son fils et sa belle-fille que leur bébé, dont il a la garde, vient de vomir. Le médecin de famille diagnostique une gastro ; même scénario plusieurs semaines après. Les parents amènent le bébé à l’hôpital. Le syndrome du bébé secoué (SBS) est diagnostiqué. Le grand-père est mis en examen sur la base d’une expertise qui conclut que les vomissements sont nécessairement concomitants aux secouements du bébé. Deux ans plus tard, un nouvel expert conclut que le SBS n’est pas la seule hypothèse à envisager.
Les mouvements spontanés du bébé ont pu créer l’hématome qui a provoqué les vomissements, lesquels peuvent se répéter plusieurs jours après le traumatisme, tant que l’hématome n’est pas résorbé. L’enfant s’est développé de façon parfaitement normale, la mise en examen du grand-père est levée. Il y a plus de dix ans, Le Monde avait rendu compte de « l’affaire Hayum », du nom d’un obstétricien qui avait été condamné pénalement et civilement sur la base de quatre expertises successives émanant d’experts près la Cour de cassation, lesquels avaient estimé que la pathologie cérébrale dont souffrait l’enfant résultait d’une césarienne trop tardive. Or une expertise ultérieure a démontré qu’il s’agissait d’une anomalie congénitale, hypothèse que les premiers experts auprès de la Cour de cassation n’avaient pas du tout envisagée. Vingt ans de procédure, aucune réparation pour le médecin.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics et les juridictions poussent à la « moralisation des expertises » mais ce néo-puritanisme passe à côté du problème le plus grave : des experts d’une probité irréprochable peuvent rendre un jour ou l’autre des expertises ineptes dont les conséquences sont catastrophiques. Ce qui importe n’est pas tant la moralité des experts que la qualité scientifique de leur travail.

Des incertitudes majeures

Les erreurs d’expertise persistent parce qu’elles ont plusieurs causes qui peuvent parfois se cumuler : l’expert n’est plus un véritable praticien de la médecine ; il accepte une mission pour laquelle il n’est pas compétent ; il n’ose pas contredire l’avis qu’une « autorité éminente » a donné au début de l’affaire ; son jugement est faussé par des préjugés (par exemple, lorsqu’il doit se prononcer sur les actes d’un de ses confrères du public ou du privé) ou par « l’effet tunnel » : il ne suit qu’une hypothèse, l’approfondissement de ses investigations l’empêche de se souvenir ou de prendre conscience qu’une autre orientation était possible.
Dans certaines spécialités médicales, les incertitudes sont majeures : par exemple, en obstétrique, concernant la lecture du rythme cardiaque fœtal (RCF), il a été établi que les lecteurs experts sont en désaccord entre eux dans 60 à 70 % des cas ! Or, dans les contentieux, l’interprétation du RCF par les experts joue un rôle souvent décisif dans la détermination des responsabilités.

Qualité de l’expertise

Des réformes sont donc nécessaires. En nous inspirant des procédures de déclaration des « événements indésirables graves associés à des soins » (EIGS), nous préconisons d’ouvrir aux parties à un procès la possibilité de solliciter du juge qu’il enjoigne à l’expert de transmettre son rapport ou projet de rapport à la Haute Autorité de santé (HAS), qui composerait des instances constituées de praticiens sélectionnés pour leur compétence.
Ceux-ci vérifieraient la rigueur du raisonnement scientifique et en particulier le bien-fondé des données sur lesquelles l’expert judiciaire s’est appuyé (dont le niveau de preuve de ses arguments selon les classements de la HAS). Les expertises médicales transmises seraient totalement anonymisées. C’est comme cela que procèdent les revues scientifiques lorsqu’elles soumettent les articles qu’elles envisagent de publier à des lecteurs qui ignorent ainsi tout des auteurs des textes.
La HAS fixerait les méthodes de travail des groupes pour l’adoption de leurs avis (par exemple, vote et définition d’une majorité de quatre voix dans un groupe de cinq). Grâce à l’anonymisation des dossiers, les spécialistes des groupes HAS ne seraient pas influencés par l’identité des parties et de l’expert.
Un avis ne s’imposerait bien sûr pas au juge mais l’éclairerait sur la qualité de l’expertise. Cette procédure aurait sans doute un effet préventif : les expertises seraient certainement améliorées si leurs auteurs savaient qu’elles peuvent faire l’objet d’une lecture scientifique critique. Ce travail pourrait servir aussi à l’élaboration par la HAS de recommandations de bonnes pratiques, pour réduire les risques d’erreurs médicales.
Jean Marty (Gynécologue-obstétricien, trésorier de Gynerisq, organisme agréé par la HAS) etRémi Pellet (Professeur des Universités, Sorbonne Paris Cité, faculté de droit Paris Descartes et Sciences Po. Il est spécialiste de droit financier public, de la santé et de la protection sociale)

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