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mercredi 23 janvier 2019

«Personne n’a d’amis roms, je me suis demandé pourquoi»

Par Marie Piquemal — 
Dessin Jérôme Dubois. Dernier ouvrage paru en août 2018: Bien Normal, éditions Cornélius.
Dessin Jérôme Dubois. Dernier ouvrage paru en août 2018: Bien Normal, éditions Cornélius.

Corinne est professeure de français. Eliza et ses deux enfants sont roms. Tous les quatre sont devenus amis il y a quelques années. Récit en BD.

«Eliza faisait la manche près de chez moi, à la sortie du métro. Je la croisais chaque matin. J’étais bouleversée, comme on l’est tous quand on voit des gens dormir dans la rue, dans le froid.» A l’époque, Corinne, 40 ans, est monteuse à la télé. «Mon travail me laissait du temps libre, je me suis rapprochée d’une association, je voulais agir d’une manière ou d’une autre.» Elle se retrouve à faire des maraudes auprès des sans-abri du quartier, dans le XIXe arrondissement à Paris. Elle se souvient du premier échange avec Eliza, 35 ans, venue de Roumanie, et ses deux enfants, Petro et Deniza. La petite n’était encore qu’un bébé à l’époque. Elle a 7 ans aujourd’hui. «Petro devait avoir 3 ou 4 ans. Il s’est avancé vers moi et m’a sorti : tu veux être ma copine ?» L’histoire a commencé comme ça.

«Autre chose»

Au début, Eliza, ne parlait pas bien français, mais le courant est vite passé. «On communiquait avec les mains, les gestes. On y arrivait bien. Ça a tout de suite été différent d’avec les autres familles. C’est difficile à expliquer, mais on est rapidement sorti de la relation où je lui apportais juste de l’aide. C’était autre chose.» Elle insiste, parce que c’est important : «Ce n’est pas une relation paternaliste, du tout. C’est vraiment une relation d’amitié.»
A dire vrai, ce projet de raconter cette histoire en bulles dans ce Libé spécial Angoulême la stresse plus qu’autre chose, de peur des raccourcis et des clichés qui collent aux chevilles des Roms. «D’ailleurs, le terme "rom" est toujours employé dans un sens péjoratif. Ceux qui réussissent et sortent de la rue, en France, on ne les appelle plus des Roms, on dit "Tziganes" ou "Manouches", considérés comme respectables.» Attablée dans un café du XIXe arrondissement, Corinne, devenue prof de français entre-temps, entremêle ses mains. Sa voix fluette tranche avec les mots qu’elle emploie. «J’ai une colère, vous ne pouvez pas imaginer. Je ressens une telle rage de voir comment on maltraite les Roms en France. Comment peut-on laisser des enfants dormir dehors, dans le froid ? Comment ose-t-on ?»

«Si courageuse»

Elle décrit ces scènes presque difficiles à croire. «Un jour, je retirais de l’argent au distributeur avec Petro et Deniza. Le temps de faire le code, je me retourne, des policiers étaient en train de passer les menottes à Petro. Il devait avoir 6 ou 7 ans ! Le policier m’explique : "Ils étaient en train de vous pister pour vous voler l’argent, madame."» Il y a aussi ces contrôles d’identité qui se répètent, ces fouilles systématiques dans les magasins. Et, à chaque fois, le calme à toute épreuve d’Eliza, «si courageuse et si désireuse d’être un jour respectée comme monsieur et madame Tout-le-Monde». Aujourd’hui, elle a trouvé du travail et va emménager dans un appartement.
Elle raconte enfin leurs discussions jusqu’à pas d’heure, la fiesta du nouvel an passé, les cafés le dimanche matin après le marché.«Tout ce qu’il y a de plus classique, en fait.» Elle hausse les épaules et rétorque avant qu’on ne le formule : «Cela paraît une histoire extraordinaire, pas vrai ? Comme si c’était inconcevable d’avoir des amis roms.»



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