L’Aide sociale à l’enfance est à bout de souffle et peine à remplir sa mission de protection, déclare, dans une tribune au « Monde », Lyes Louffok, ancien enfant placé et membre du Conseil national de la protection de l’enfance.
Tribune. Il se lève en France un vent d’indignation sur le sort que la République réserve aux plus faibles : les bébés, les enfants et les adolescents dont elle a la charge car leurs familles sont défaillantes ou maltraitantes. Près de 300 000 mineurs, soit plus que toute la population de Nantes, sont pris en charge au titre de la protection de l’enfance.
La lumière se fait enfin sur les difficultés de placement et sur des institutions parfois corrompues, où la sécurité et le bien-être des enfants sont secondaires. Violences, agressions sexuelles, insécurité, humiliations, défauts de soins et autres manques sont hélas récurrents dans le cadre d’une Aide sociale à l’enfance à bout de souffle.
Celle-ci sauve des vies, mais elle doit faire plus que cela. La France fabrique des générations d’enfants victimes plusieurs fois, à l’instar de ces enfants subissant des violences sexuelles dans les foyers et obligés de cohabiter avec leurs agresseurs, ou de ceux qui sont violentés dans leur famille d’accueil. Face à cette honte nationale, nous avons la responsabilité d’agir et des solutions existent, dont certaines ont déjà fait leurs preuves.
Ce n’est pas une fatalité d’ajouter de la maltraitance à la maltraitance. Ce n’est pas une fatalité de fabriquer des sans-domicile-fixe. Rappelons à ce sujet que selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), un SDF sur quatre est passé par l’Aide sociale à l’enfance. Cinq chantiers prioritaires, s’ils sont portés par un consensus, par les politiques, par les Français (qui pensent souvent, de bonne foi mais à tort, que la mission de protection de l’enfance est convenablement assurée), peuvent améliorer durablement la situation de ces enfants.
« Nuage administratif » et défaut de coordination
En premier lieu, la création d’une instance nationale de mise à l’abri d’urgence est nécessaire : une agence spécifique, dotée d’une compétence nationale et capable de mettre les enfants à l’abri en moins de vingt-quatre heures.
Il faut actuellement entre deux semaines et plusieurs mois, parfois plus d’un an et demi, pour placer un enfant dont on sait qu’il est victime de violences intrafamiliales. Personne n’a oublié le calvaire de la petite Marina, 8 ans, tuée en 2009 par des parents tortionnaires. Elle serait bien vivante si les divers signalements avaient abouti. Aujourd’hui, les compétences en ce domaine reviennent à chaque département. Elles s’exercent dans un « nuage administratif » où les disparités régionales, le manque de coordination et de structures adaptées sont souvent mises en cause.
Deuxièmement, il importe de multiplier drastiquement les contrôles des familles d’accueil et des foyers. Une fois un mineur placé, les recours face à une famille d’accueil maltraitante, à des éducateurs ou à d’autres enfants placés sont quasi inexistants. Les victimes ne parlent pas, ne se plaignent pas ou peu. Leur parole n’est pas entendue.
Récemment, une jeune fille battue dans un foyer s’est réfugiée dans un commissariat qui a appelé les éducateurs maltraitants. Un numéro d’urgence anonyme et gratuit, des écoutants habitués à recueillir la parole des enfants sont nécessaires. Il faut également établir d’urgence un fichier national des agréments des familles habilitées. En effet, une famille d’accueil maltraitante qui a perdu son habilitation peut aujourd’hui recevoir un agrément dans un autre département et se voir confier de nouveaux enfants.
Troisièmement, il faut créer un ordre des professionnels de l’enfance. La réalité des travailleurs sociaux est variée et complexe. Des gens extraordinaires côtoient des personnes mal formées, voire pas formées, inaptes et parfois maltraitantes. Les méthodes de recrutement doivent être plus strictes, en particulier sur le contrôle des casiers judiciaires et les évaluations psychiatriques. Il faut hausser le niveau de formation des professionnels et augmenter les contrôles sur leurs lieux de travail, tout au long de leur carrière.
La loi de 2016 insuffisamment appliquée
Quatrièmement, il faut cesser d’abandonner dans la nature les enfants placés devenus adultes. A 18 ans révolus, ils sont souvent jetés à la rue. Sans orientation, sans formation, sans métier, et même sans toit, puisque 40 % d’entre eux deviennent sans domicile fixe. Le dispositif « contrat jeune majeur » qui permettait de maintenir un suivi par des professionnels et de financer un début d’installation des jeunes adultes jusqu’à leurs 21 ans est en voie d’amenuisement.
Cette mesure essentielle doit être réinstaurée et systématisée si l’on ne veut pas que des années d’investissement de l’Etat dans la protection de ces mineurs viennent finalement nourrir la misère, la drogue et la prostitution. Rappelons à ce propos que 30 % des mineurs délinquants sont d’anciens enfants placés.
Enfin, il faut préparer l’avenir et pallier la pénurie de familles d’accueil. Celles-ci vieillissent et ne se renouvellent pas à un rythme suffisant. Où iront demain les enfants, en particulier les plus jeunes, qui seront en danger dans leur famille ? Ce chantier-là ne pourra pas être traité précipitamment. Il exige de rompre avec la vision passéiste selon laquelle le parent accueillant ne peut cumuler cette fonction avec un autre emploi. On ne rappellera jamais assez à quel point une famille d’accueil bienveillante répare un enfant et lui prépare un avenir.
La déresponsabilisation administrative et le fatalisme ont mis de côté l’intérêt de l’enfant. Améliorer la situation des enfants placés est possible : ces mesures sont tangibles, tout comme celles de la loi relative à la protection de l’enfance de 2016, portée par Laurence Rossignol, qui est aujourd’hui très insuffisamment appliquée. C’est l’honneur de la France de ne pas abandonner 300 000 enfants à leur sort et à la triste idée qu’elle se fait de son avenir.
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