Economiste, mère d’un jeune schizophrène, cette femme engagée préside un collectif qui veut faire changer le regard sur cette maladie stigmatisée.
« A chaque fois que l’on veut parler de schizophrénie, il faut toujours commencer par déconstruire les idées reçues. Et comme l’attention des gens est limitée, on s’arrête à ce niveau, sans finalement jamais expliquer ce que c’est », soupire Fabienne Blain. Venant de la présidente du collectif Schizophrénies, qui s’est donné pour mission de faire avancer ce sujet sur tous les fronts, le constat pourrait inquiéter. Mais à prendre le temps de l’écouter, on est vite rassuré. Sous des dehors réservés, cette économiste, 55 ans, fait montre d’une détermination sans faille.
Au programme de ce jeune collectif, qui rassemble sept associations : informer, améliorer les prises en charge, médicales et autres, des patients, l’accompagnement social, l’insertion professionnelle ; mais aussi changer la représentation de cette affection psychiatrique, trop souvent perçue, à tort, comme un dédoublement de personnalité, l’emblème de la folie violente.
« La santé mentale, c’est systémique, il faut agir sur tous les volets », martèle Fabienne Blain, en reconnaissant que la tâche est titanesque, tant la schizophrénie condense les préjugés et les difficultés. Sans compter le contexte actuel de crise des hôpitaux. « On n’a rien pour nous, si ce n’est la fréquence de ces maladies du cerveau, qui touchent 1 % de la population, soit plus de 600 000 personnes en France », résume-t-elle, non sans humour. Elle en est convaincue, les progrès dans ce domaine profiteront à bien d’autres pathologies.
Ses modèles ? Ce qu’ont accompli les associations de patients sur l’autisme et le VIH. « J’admire énormément la façon dont Aides et Act Up ont réussi à créer de l’empathie pour des populations considérées au départ comme assez marginales : les gays, les toxicomanes… J’ai envie de reprendre l’idée de Daniel Defert, président fondateur d’Aides, pour qui le malade est un réformateur social », assure-t-elle. Pour réformer, Mme Blain et son collectif mènent un travail de fond avec des professionnels et des institutionnels, réalisent leurs propres enquêtes médico-économiques. Ils ont aussi lancé un ambitieux site Internet. D’autres pistes sont envisagées : actions « coup de poing », partenariats avec des entreprises privées…
Changement de nom de la maladie
« Fabienne est une incomparable apporteuse d’idées, il faudrait une armée de gens comme elle pour changer les choses », souligne l’économiste Marie-Hélène Duprat, qui s’interroge sur le coût personnel de l’engagement total, mais bénévole, de sa meilleure amie.
L’un des sujets forts du moment est celui du changement de nom de la maladie, à l’instar du Japon, qui a opté en 2002, à l’initiative d’associations, pour le terme « troubles de l’intégration ». Ce 23 janvier, Fabienne Blain et d’autres membres du collectif sont conviés à une première réunion avec le CCOMS (Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale), pour lancer concrètement une réflexion nationale sur l’évolution de la terminologie, et organiser un colloque.
Un nouveau nom pour une nouvelle identité, moins stigmatisante ? « Ce n’est pas une solution miracle, mais si l’on veut faire évoluer l’image, il faut en passer par là », assure Mme Blain. Selon elle, reprendre chaque homme politique, journaliste, citoyen, qui emploie ce mot en faisant des contresens est lassant. « En principe, en médecine, poser un diagnostic permet d’ouvrir la discussion, d’envisager l’accompagnement thérapeutique. Là c’est l’inverse, c’est un tel couperet que cela entrave les relations médecin-malade et tout le reste, poursuit-elle. Beaucoup des personnes concernées reconnaissent qu’elles ont des troubles mais n’adhèrent pas au mot “schizophrénie”. Et d’ailleurs, celles qui vont bien évitent de s’exposer en en parlant. »
C’est le cas de son fils, 29 ans aujourd’hui. Quand ses troubles ont commencé, il y a une dizaine d’années, Fabienne Blain avait déjà lâché sa carrière d’économiste dans le secteur bancaire pour créer une petite société de jeux éducatifs, Amulette, afin d’être plus présente auprès de ses quatre enfants. Elle dirige toujours son entreprise, tout en travaillant ponctuellement comme consultante pour des études économiques.
Qu’elle évoque le parcours de son fils ou les carences du système, son discours est construit, étayé, mais sa rage reste intacte. « Certains s’indignent des conditions d’abattage des animaux dans les abattoirs, et c’est bien légitime. Moi, c’est la façon dont nos jeunes sont massacrés qui me révolte davantage, en tant que parent, et comme citoyenne », justifie cette femme active de longue date dans diverses associations caritatives.
Le premier déclic de son engagement pour la schizophrénie est brutal, en 2012. Dans une phase de crise, son fils, 22 ans à l’époque, s’est défenestré du troisième étage. Il est hospitalisé d’urgence, polytraumatisé. La famille est sous le choc mais ce qui fait bondir Fabienne Blain, ce sont deux mots que prononce une infirmière en transmettant le dossier à une collègue : « décompensation schizo ».
Fatalisme des soignants
« Le diagnostic de schizophrénie avait déjà été évoqué mais ce que j’ai perçu là, c’était le fatalisme des soignants, qui se sentaient à peine concernés devant un tel passage à l’acte. Pourtant si c’était prévisible, c’était évitable », analyse-t-elle.
Tout en réorganisant leur vie pour soutenir leur enfant dans sa longue rééducation, Mme Blain et son mari lisent tout ce qu’ils trouvent sur cette maladie ; découvrent Profamille, un programme de psychoéducation destiné aux proches de patients. Pendant deux ans, ils suivent assidûment cette formation, prennent conscience que ce qu’ils vivent« n’est pas un manque de chance mais une situation très banale ».
Pour Fabienne Blain, qui avait grandi avec le service public chevillé au corps (« dans ma famille, on est chercheur ou fonctionnaire », souligne cette ancienne de Sciences Po), faire prendre en charge son fils dans le système des centres médico-psychologiques et des hôpitaux publics de la capitale avait été une évidence. Elle dit en avoir été dégoûtée au fil des années, à force d’affronter inertie, arrogance, manque de compétence, culpabilisation… Elle a toujours en tête des propos ahurissants tenus par des soignants. « Evidemment que ce n’est pas une schizophrénie, il est sympathique, votre fils », lui a lancé un des premiers psychiatres consultés. « L’hôpital n’est pas un chenil », lui a répondu un autre, à qui elle demandait conseil pour organiser un été où son fils allait très mal. Deux exemples parmi bien d’autres. « On a connu les deux extrêmes : des médecins psychanalysants, tellement prêts à accueillir la folie que la prise en charge thérapeutique n’est pas leur priorité ; de l’autre des partisans du tout-biologique, qui négligent la souffrance et l’accompagnement psycho-social de ces troubles », souligne-t-elle.
En 2014, avec 13 autres parents rencontrés à Profamille, elle crée une association, Promesses. « L’un des principaux objectifs était de mettre en avant toutes les approches validées qui ne nous avaient jamais été proposées par les équipes médicales : la formation des proches et plus généralement tous les soins de réhabilitation (éducation thérapeutique, remédiation cognitive…) qui aident les patients au quotidien », liste Fabienne Blain. Le collectif Schizophrénies mise toujours sur le développement de ces stratégies, pour que l’hospitalisation reste l’exception. « Pourquoi, même dans une ville comme Paris, n’y a-t-il aucune équipe de psys qui se déplace en urgence au domicile des patients ?, s’insurge Mme Blain. C’est bien le signe du désintérêt des politiques pour la santé mentale, malgré une succession impressionnante de missions et de rapports convergents depuis trente ans. »
« Fabienne est quelqu’un de très déterminé, qui est capable de dire à la personne en face d’elle “je ne peux pas laisser dire cela”, quelle qu’elle soit, souligne Bénédicte Chenu, qui travaille avec elle depuis leur rencontre à Profamille. Mais ce qui me touche le plus, c’est sa capacité à être là pour nos enfants, et à donner du cœur aux chiffres. »
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