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lundi 21 janvier 2019

Autisme, schizophrénie, addiction : le cervelet mis en cause

Deux études révèlent l’importance, dans certaines maladies mentales, de l’altération d’un circuit reliant ce centre nerveux au « système de récompense » du cerveau.
Par Florence Rosier Publié le 22 janvier 2019
Vous pensiez qu’au XXIe siècle, le réseau des autoroutes et des nationales de l’encéphale était tout tracé, dûment cartographié ? Eh bien non. On y déterre encore de nouvelles voies. Celle que vient de mettre au jour une équipe du Collège de médecine Albert Einstein, à New York (Etats-Unis), n’est pourtant pas un chemin de traverse. En cas de dysfonction, elle semble jouer un rôle crucial dans des troubles comme l’autisme, la schizophrénie ou l’addiction.

Comme le révèle la revue Science du 18 janvier, les chercheurs ont débusqué cette voie dans une région très explorée : le cervelet. Logé à la base du cerveau, en arrière du tronc cérébral chez l’homme, ce « mini-cerveau » (du latin cerebellum, « petit cerveau ») est surtout connu pour assurer la coordination des mouvements et le maintien de l’équilibre et de la posture. Son jeu, cependant, s’avère bien plus complexe : de façon subtile, il participe aussi à des fonctions cognitives, notamment dans le langage.

Implication de la dopamine

Chez la souris, montre l’équipe new-yorkaise, le cervelet se projette directement (à travers une seule connexion) vers une petite zone primitive de l’encéphale, l’aire tegmentale ventrale (ATV). Or cette aire appartient au fameux « système de récompense ». Certains de ses neurones, en effet, produisent la dopamine, ce messager qui motive nos comportements en créant une sensation de plaisir. Cette aire est aussi impliquée dans l’addiction. D’autres de ses neurones, en effet, portent à leur surface des récepteurs « opiacés ». Et ceux-ci fixent deux cibles : les endorphines, ces « molécules du bonheur » produites naturellement par le corps, mais aussi l’héroïne ou la morphine.
Revenons à notre cervelet. Il y a trente ans, « les premières études de neuro-imagerie fonctionnelle révélaient, chez l’homme, une surprenante réponse du cervelet lors de tâches cognitives », raconte Randy Buckner dans Neuron. Une observation d’abord controversée, car bousculant un dogme. Mais il fallut s’y faire : le cervelet s’active bien lors de tâches non motrices, ont montré les études ultérieures.
« En 1998, le spécialiste mondial du sujet, Jeremy Schmahmann, de l’Ecole médicale de Harvard, a révélé l’importance du cervelet dans le traitement des fonctions exécutives [planification, flexibilité mentale…]. Ce, notamment dans les comportements qui sont renforcés par une récompense », indique Michel Thiebaut de Schotten, chercheur en neuro-imagerie à l’ICM (CNRS, Sorbonne Université, hôpital de la Pitié-Salpêtrière), à Paris.
On a aussi beaucoup appris des patients souffrant de lésions du cervelet – à la suite d’un accident vasculaire cérébral, d’un abus d’alcool, d’un traumatisme, d’une tumeur, d’une infection… « Le tableau clinique de ces patients est souvent dominé par des troubles moteurs. Mais des altérations du langage peuvent aussi se manifester. Chez certains, nous observons également une baisse de la mémoire, une altération des fonctions exécutives… », décrit le professeur Christian Lüscher, neurologue et spécialiste des mécanismes cellulaires de la récompense et de l’addiction à l’université de Genève (Suisse).

Comportements anormaux

Fin décembre 2018, son groupe a fait une découverte originale, publiée dans la revue Nature. Les chercheurs ont donné à des souris la possibilité d’autostimuler cette aire (l’ATV) par « optogénétique » : les animaux pouvaient presser un levier déclenchant le laser qui activait cette région. Résultat : certains animaux ont manifesté un comportement compulsif, pressant de façon répétée le levier qui au final, leur délivrait de la dopamine – une forme de « drogue ». Mais seuls les animaux les plus vulnérables à l’addiction agissaient ainsi. Pourquoi ? Parce que, dans un circuit bien identifié de leur cerveau, certaines connexions étaient naturellement plus fortes.
Dans le nouveau travail relaté dans Science, l’équipe de Kamran Khodakhah a aussi eu recours à l’optogénétique. Rappelons que cette technique de pointe permet d’activer ou d’inhiber à volonté certains neurones bien ciblés, in vivo. Le principe : par génie génétique, certains neurones sont rendus sélectivement sensibles à une lumière (bleue, jaune, rouge…). En allumant ensuite une fibre laser, on les manipule à loisir.
Résultats : chez la souris, « l’activation optogénétique de cette voie [du cervelet à l’ATV] est perçue comme une récompense ». De plus, cette voie est suractivée quand les animaux explorent une pièce où se trouve un congénère. Enfin, cette activation est nécessaire pour que les animaux montrent une préférence sociale – ils explorent alors davantage les compartiments où se trouve une autre souris.
Ce travail renforce l’idée que la dysfonction de ce circuit contribue au développement de l’autisme, de la schizophrénie et de l’addiction, autant de troubles où le système de récompense peut être altéré. « Des souris transgéniques qui ont des protéines associées à l’autisme, mutées uniquement dans des cellules du cervelet, montrent des comportements anormaux évoquant cette maladie », relève Christian Lüscher. Chez l’homme, quelques études suggèrent aussi une altération des connexions du cervelet chez des patients autistes. Mais elles demandent confirmation.
Au-delà de cette découverte, le cervelet réserve un pur motif d’ébahissement. Ou plutôt, son absence. Car on connaît aujourd’hui dans le monde dix personnes qui vivent en étant totalement dépourvues de cervelet ! Avec des conséquences fonctionnelles variées mais parfois étonnamment modérées, en regard de cette lacune massive - le cervelet, c’est 10% du volume de l’encéphale humain, mais près de la moitié de ses neurones. En 2014, la révélation du cas d’une jeune femme chinoise a ainsi créé la stupeur. A l’âge de 24 ans, elle consulte pour des vertiges et nausées récurrentes : on découvre alors, fortuitement, son absence complète de cervelet. Fait stupéfiant, cette femme avait quand même fini par apprendre - vers l’âge de 6 ou 7 ans - à marcher et parler à peu près correctement. Est-ce son cortex moteur qui a compensé la défection du cervelet ? La plasticité de notre cerveau, on le sait, dépasse parfois toute prédiction.

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