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lundi 21 janvier 2019

Bruno Falissard : « Une très forte compétition peut écraser certains ados »

Dans ses consultations familiales, le pédopsychiatre pousse les parents à faire confiance à leurs enfants, qui sont naturellement doués pour s’adapter. Une recommandation d’autant plus valable que la plateforme Parcoursup ouvre mardi. Il témoigne pour les conférences O21 du « Monde ».
Propos recueillis par Laure Belot Publié le 21 janvier 2019
Des lycéens découvrent leurs résultats au baccalauréat, à Strasbourg, en 2012.
Des lycéens découvrent leurs résultats au baccalauréat, à Strasbourg, en 2012. FREDERICK FLORIN / AFP
Lycéens, étudiants, professeurs, parents, jeunes diplômés... « Le Monde » vous donne rendez-vous en 2019 à Saint-Etienne, Marseille, Nancy, Paris et Nantes pour de nouvelles éditions des événements O21/S’orienter au XXIsiècle. Des conférences et des rencontres inspirantes pour penser son avenir et trouver sa voie. Plus d’informations ici.
Bruno Falissard est pédopsychiatre, professeur de santé publique à la faculté de médecine de l’université Paris-XI et directeur de l’unité Inserm 1178 à la Maison de Solenn, à Paris. Il est, depuis 2014, président de l’International Association for Child and Adolescent Psychiatry and Allied Professions (Iacapap) et membre de l’Académie de médecine.

Sentez-vous la pression monter sur la jeune génération pour trouver son orientation ?

De façon évidente, on observe plus de pression, à la fois de la société et des parents, concernant la réussite scolaire. La première explication est la peur du chômage. Nous voulons tous que nos enfants aient un métier et assez d’argent pour vivre et éviter la misère.

Et comme nous vivons dans un monde de compétition, la pression est mise dès l’école, ce qui n’est pas forcément une bonne idée. Une très forte compétition peut nourrir certains enfants et adolescents, et les pousser à devenir plus fort. Mais chez d’autres, elle va les écraser et provoquer l’effet inverse.

Jusqu’où peuvent aller ces effets négatifs ?

Au Japon, des centaines de milliers de jeunes présentent un trouble appelé « hikikomori » : ils restent dans leur chambre et n’en sortent que pour aller acheter à manger à un distributeur, ils n’ont plus de contacts avec leur famille et n’échangent avec leurs copains que par le biais des réseaux sociaux et des jeux vidéo en ligne. Ils peuvent rester isolés ainsi des années. Le problème est si considérable que les ministères de l’éducation nationale et de la santé de l’Archipel ont lancé des études et des prises en charge spéciales.

En France, comment se manifestent les effets de cette compétition permanente ?

Nous voyons des jeunes qui restent chez eux tout en ne sachant d’ailleurs pas trop pourquoi. Le plus souvent, il leur est trop difficile de construire le personnage de quelqu’un de fort, et ils préfèrent se recroqueviller sur eux-mêmes. C’est leur façon de rejeter la compétition. La consommation de cannabis, en plus, peut les amener à perdre encore plus pied.
Il faut appeler un chat un chat. Cette attitude vient en partie de la pression scolaire. Un jeune va à l’école pour apprendre, pour se former et, bien sûr, avoir un métier. Mais il y va aussi, avant tout, pour devenir quelqu’un. Il faut rappeler que l’école ne doit pas générer de peur, c’est un lieu où l’on peut se construire.

Que faire pour aider les jeunes à gérer cette pression… et les parents à ne pas trop en mettre ?

D’abord, en débattre tous ensemble. La réussite scolaire, c’est important. En tant qu’adultes, nous en sommes tous d’accord. Mais le mieux est l’ennemi du bien. Avoir de bonnes notes est important, mais il n’est pas indispensable d’avoir 15 ou 17 sur 20 dans toutes les matières. On peut ne pas être très bon dans toutes les disciplines, mais chacun a un endroit où il excelle. Il est capital, pour un jeune, de pouvoir cultiver ce jardin personnel et foncer pour devenir très fort. Peu importe la matière, cela peut être le sport, les mathématiques, la lecture, le dessin, les relations avec les autres… C’est comme cela qu’il pourra trouver sa voie.

Depuis deux ans, lors des conférences O21, une même question jaillit du jeune public : « Pouvez-vous m’aider à gérer mes parents ? » Cela vous étonne-t-il ?

Non. Je le constate aussi en consultation. Traditionnellement, dans les familles, c’était les parents qui disaient aux enfants comment ils devaient gérer leur vie. Aujourd’hui, les choses sont un peu différentes, car les enfants et adolescents sont plus matures qu’avant.
Puisque mes consultations sont toujours en famille – en général, il y a les deux parents, un enfant, parfois un frère ou une sœur –, je demande aux enfants et aux adolescents : « Comment trouves-tu tes parents ? » Ils sont un peu choqués, au départ. Normalement, on ne doit pas parler de ce genre de chose. Puis, ils formulent souvent des remarques extrêmement pertinentes. Je suggère donc aux parents, à l’occasion d’un repas, de ne pas hésiter à lancer sous forme d’une plaisanterie : « On parle souvent de vous mais vous savez, peut-être que vous avez des choses à nous dire. » Nous avons tous à apprendre de nos enfants.

Quelles aptitudes les jeunes vont devoir particulièrement développer alors qu’une grande partie des métiers de demain n’existent pas encore ?

Les jeunes s’adaptent à cette situation. Ce sont les adultes qui ont peur qu’ils ne s’adaptent pas ! Les jeunes vivent avec le monde quand ils ont 6 ans, 7 ans, 12 ans ou 15 ans… Ils sont dans ce changement. L’humain s’adapte, en particulier quand il est un enfant. Il suffit donc que les jeunes suivent sans complexe le mouvement et que nous, les adultes, n’ayons pas trop peur de ce mouvement.

On conseille aux jeunes d’« apprendre à se connaître ». Est-ce possible à 16 ou 18 ans ? Quelles pistes préconisez-vous pour y parvenir ?

Se connaître n’est pas facile. La bonne nouvelle, c’est que tout le monde essaie, et nous sommes donc tous logés à la même enseigne.
Des milliers de pages de philosophie ont déjà été écrites sur le sujet, et une première piste serait d’en lire certaines. Montaigne, par exemple, se pose les mêmes questions que nous, et ses réponses sont applicables au XXIe siècle. Il les formule très simplement, d’autant plus que ses écrits ont été traduits en français moderne.
Une autre piste, pour eux, est de s’en ouvrir à quelqu’un en qui ils ont confiance. Se mettre au calme avec cette personne et lui dire qu’ils se posent des questions. Il faut, en revanche, faire attention de ne pas parler de choses intimes avec n’importe qui. Même avec de bons copains, ce n’est pas forcément facile. La clé est la confiance.

Vous évoquez le calme d’une discussion. Conseillez-vous à cette génération hyperconnectée de prendre le temps pour trouver sa voie ?

C’est une banalité de le dire mais, aujourd’hui, tout va très vite. On échange très vite, on a toutes les informations en temps réel. Cela peut donner une impression de fuite en avant, par certains aspects assez agréable. Mais il est aussi utile de se poser, de discuter avec des gens en les regardant dans les yeux, sans consulter son téléphone en même temps.
Chacun peut faire le test : arrêtez-vous de faire quoi que ce soit pendant quinze secondes. Quinze secondes, ça ne paraît pas grand-chose mais vous verrez que c’est extraordinairement long. Vous constaterez que la vie devient très dense et cela vous permettra de comprendre et de réfléchir beaucoup plus vite que si vous étiez dans l’urgence en permanence. Le fait que la vie aille vite, c’est sympathique, on ne s’ennuie pas. Mais, parfois, l’ennui permet aussi d’avancer.

Une partie des jeunes espèrent « changer le monde ». Faut-il se lancer de grands défis pour se réaliser dans la vie ?

Beaucoup de jeunes que je vois veulent s’engager dans quelque chose de profondément altruiste et faire que le monde avec un grand M change avec un grand C. C’est très positif.
Il faut cependant être raisonnable. Tout le monde ne peut pas organiser sa vie autour de défis considérables qui vont changer l’humanité. Il s’agit, pour chacun, de se poser des questions intimes. Quels seraient mes défis à moi ? Quelles sont les valeurs que je veux développer dans ma vie ? Pour quels objectifs ? Cela se résume souvent à trouver quelqu’un avec qui on veut passer sa vie, trouver un métier qui est faisable et dans lequel on va pouvoir se construire. C’est déjà un grand défi que de réussir cela.

Vous êtes diplômé d’une école prestigieuse, Polytechnique, puis avez bifurqué pour devenir pédopsychiatre. Avez-vous dû, vous aussi, gérer la pression de vos parents ?

La question de la pression familiale existe encore plus aujourd’hui que quand j’étais étudiant. En fait, je vivais dans une famille modeste et j’avais naturellement peu d’ambition pour devenir quelqu’un avec un grand métier et des responsabilités.
Un jour, un professeur de mathématiques a dit à mes parents que j’étais très fort en maths. Ils ne le savaient pas, et moi non plus d’ailleurs. Et cela a changé ma vie. Je suis devenu ingénieur, mais je me suis rendu compte que je ne voulais pas faire ce métier.
J’étais majeur, je me suis un peu fâché avec mes parents mais je leur ai dit : « Voilà, j’ai fait le job, j’ai un diplôme, maintenant je fais ce que je veux. » Je voulais être au contact, au plus près des gens dans leur vie. J’avais rencontré, au service militaire, de jeunes médecins qui m’avaient parlé de leur métier. J’ai choisi de devenir psychiatre pour enfants.

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