Un certain type d’humour a tendance à présenter les femmes comme stupides, agressives ou à les réduire à un objet sexuel, selon le Haut Conseil à l’égalité.
« Savez-vous ce que disent les blondes après l’amour ? Au suivant ! » Voilà le genre de contenus de haute volée que l’on trouve sur le site Blague info, l’une des premières occurrences qui apparaît dans Google à la recherche du mot « blague », relève le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) dans un premier état des lieux du sexisme en France, rendu public jeudi 17 janvier. Ce travail, destiné à nourrir la réflexion des pouvoirs publics, était prévu par la loi Egalité et citoyenneté de janvier 2017.
Outre une présentation classique de nombreuses études et de chiffres pour rendre compte de cette « idéologie fondée sur la conviction de l’infériorité des femmes par rapport aux hommes », le HCE a souhaité, pour cette première édition, sensibiliser sur le « sexisme du quotidien ». Deux manifestations « perçues comme banales », l’humour et les injures, « qui mettent en tension la lutte contre le sexisme et la liberté d’expression, et qui bénéficient d’une grande tolérance sociale », ont été observées.
Le champ d’étude pour le premier volet : Blague info donc, mais aussi les vidéos extrêmement populaires sur YouTube de deux stars de la plate-forme, Cyprien et Norman, ainsi que les chroniques humoristiques des matinales des radios recueillant le plus d’audience (Europe 1, France Inter et RTL), écoutées pendant un mois.
1,2 million de femmes victimes
Quel que soit le média analysé, les résultats sont édifiants. Les femmes sont volontiers présentées comme stupides, naïves, agressives ou réduites à un objet sexuel. « Au moins un ressort sexiste est utilisé par plus de la moitié des contenus humoristiques étudiés », résume le rapport. Dans le détail, 71 % des chroniques radio mobilisent de tels biais (France Inter tirant nettement son épingle du jeu), ainsi que cinq des six vidéos les plus populaires des deux youtubeurs et un tiers des « blagues du jour » de Blague info.
En ce qui concerne les injures, le travail effectué par le HCE repose notamment sur une exploitation, par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), des enquêtes intitulées « Cadre de vie et sécurité », réalisées avec l’Insee. Il en ressort qu’en 2017 1,2 million de femmes (soit une femme sur vingt) disaient avoir été victimes d’injures sexistes.
Dans 70 % des cas, elles ne connaissaient pas l’auteur, et 66 % de ces invectives ont eu lieu dans l’espace public, précise le rapport de l’ONDRP. Une lueur d’espoir dans ce bilan peu reluisant : les jeunes femmes, qui sont particulièrement la cible d’injures à caractère sexiste, font preuve d’une moindre tolérance à l’égard de ces comportements.
« Continuum entre remarques sexistes et violences »
Se moquer des femmes ou les insulter en utilisant des termes directement liés à la condition féminine (dans le trio de tête : « salope », « pute » et « connasse »), est-ce vraiment si grave ? interrogeront peut-être d’ardents défenseurs de la liberté d’expression. La réponse du HCE est sans équivoque. « Non seulement ce n’est pas acceptable, mais c’est illégal », relève sa présidente, Danielle Bousquet, en rappelant que l’injure à caractère sexiste est une infraction théoriquement passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Pourtant, seules 6 % des femmes victimes se déplacent dans un commissariat, et 3 % au final déposent une plainte, selon l’ONDRP. En 2017, quatre condamnations pour injures sexistes ont été prononcées. Or, « il existe un continuum entre les remarques sexistes et les violences. On sait que les injures sexistes entretiennent la culture des violences faites aux femmes, dénonce MmeBousquet. Et les effets que ces comportements entraînent n’ont rien d’anodin ».Dévalorisation, autocensure, baisse de l’estime de soi, liste ainsi le rapport.
Pour ne plus être confrontées à ces situations, les femmes développent des stratégies d’évitement variées, qui peuvent aller jusqu’à provoquer leur invisibilisation dans l’espace public. Idem sur les réseaux sociaux, qui peuvent être des lieux d’expression d’une grande violence, en particulier contre les femmes.
« Il faut que le sexisme soit intégré dans la future loi contre la haine sur Internet » prévue en 2019, défend d’ailleurs Mme Bousquet. Une vingtaine de recommandations sont en outre émises dans cet état des lieux. Parmi elles figurent la mise en œuvre d’une véritable campagne de sensibilisation à destination du grand public ainsi que le lancement d’une enquête annuelle auprès des Françaises et des Français permettant d’identifier les fondements du sexisme et la multiplicité de ses expressions, afin de mieux lutter contre le phénomène.
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