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L’intelligence artificielle dans la santé ouvre des perspectives inédites en matière de recherche et de prise en charge thérapeutique. Une révolution qui enthousiasme autant qu’elle inquiète, décryptée dans ce nouveau hors-série.
«Si nous sommes, d’ores et déjà, immergés dans le monde du transhumanisme "de progrès", la question est souvent celle de savoir si nous allons bientôt passer au transhumanisme "de rupture" […] et si, demain, à la médecine de réparation, nous allons substituer la médecine d’augmentation.»Posée en introduction au livre blanc Médecins et patients dans le monde des data , des algorithmes et de l’intelligence artificielle, publié en janvier par le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), l’interrogation résume le vertige qui nous saisit face à des avancées technologiques dont le rythme semble constamment s’accélérer, et à leurs impacts - déjà effectifs ou anticipés - dans le domaine, aussi sensible que fondamental, de la santé et du corps humain.
Car «la médecine du futur est déjà là», rappelle le Cnom : «Les premiers algorithmes informatisés d’aide au diagnostic sont validés, les chirurgiens pilotent des robots, tandis que leurs confrères anesthésistes testent l’impact de la réalité virtuelle sur l’anxiété des patients…»
Les progrès des analyses de big data et de l’intelligence artificielle (IA) ont ouvert des perspectives inédites en matière de recherche et de prise en charge thérapeutique. En avril, l’Agence américaine du médicament (FDA) a autorisé l’usage, en milieu médical, d’un logiciel capable de diagnostiquer, à partir de clichés d’yeux, une affection courante chez les patients atteints de diabète, la rétinopathie diabétique. En août, des chercheurs français ont expliqué, dans la revue The Lancet, comment ils entraînent une IA à déterminer, sur la base d’images scanner d’une tumeur cancéreuse, les chances de succès d’un traitement par immunothérapie. La révolution numérique de la santé, c’est d’abord celle du «médecin augmenté».
Cadre légal et garde-fous
L’heure est à la médecine «préventive», «prédictive» et «personnalisée» : une mutation qui soulève un enthousiasme légitime, et des inquiétudes qui le sont tout autant. Le cadre légal de la protection des données de santé, plus solide en Europe qu’ailleurs, est-il suffisant lorsque des informations d’apparence plus anodine peuvent, par croisement (le poids et la taille, par exemple) ou par accumulation (nos achats alimentaires), révéler beaucoup sur les individus ? Quels garde-fous mettre en place pour éviter une trop grande délégation aux machines, qui déposséderait patients et soignants ? Comment établir un rapport de forces face aux géants du numérique qui, forts de leurs avancées en matière d’IA, lorgnent ouvertement sur le secteur de la santé ? Comment éviter que la personnalisation du soin ne débouche sur une remise en cause de notre modèle solidaire de protection sociale, au détriment des populations les plus démunies ?
Tels sont quelques-uns des enjeux de l’heure ; d’autres commencent à pointer le bout de leur nez. Car désormais, la perspective de l’humain «augmenté» n’est plus seulement un fantasme d’écrivain de science-fiction… En Suède, certains «biohackers» s’implantent sous la peau des puces qui ne sont pour l’heure que des dispositifs passifs de stockage de données - comme il en existe dans nos cartes bancaires pour le paiement dit «sans contact» - mais qui pourraient un jour, imaginent-ils, lire en temps réel ce qui se produit dans nos corps. Et là-bas, comme dans la Silicon Valley, d’aucuns fantasment de combattre via les progrès technologiques non seulement la maladie, mais aussi le vieillissement et qui sait, la mort elle-même.
Repères éthiques ET philosophiques
Les réalités de la numérisation de la santé amorcent un basculement dont on peine encore à anticiper toutes les conséquences ; les rêves des partisans de la fusion homme-machine interrogent frontalement nos repères éthiques et philosophiques. Ces bouleversements, actuels et à venir, que nous avons exploré au fil des enquêtes, reportages et entretiens qui composent ce hors-série réclament la prise en main démocratique d’une question aussi vieille que le progrès technologique : celle du sens politique que nous entendons lui donner.
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