Fréquemment à l’origine de diabète et de troubles lipidiques, ces traitements que prennent de 0,8 à 2,7 % des Français devraient faire l’objet de contrôles biologiques réguliers. Or moins de 3 % des patients ont un suivi optimal, selon une enquête menée à partir de données de l’Assurance-maladie.
C’est un constat catastrophique qui devrait alerter les patients et leurs familles, interpeller les médecins prescripteurs et les autorités sanitaires. Moins de 3 % des personnes prenant des antipsychotiques ont une surveillance biologique conforme aux recommandations, et 15 % n’ont aucun suivi, selon une enquête du docteur Marine Le Pierres pour sa thèse de psychiatrie, soutenue le 11 octobre à l’université de Nantes.
Ce travail, qui n’a pas encore fait l’objet d’une publication scientifique, a été réalisé à partir des bases de données de l’Assurance-maladie des Pays de la Loire, sur une population de près de 20 000 individus. « Ces carences dans la surveillance sont une perte de chance pour des patients qui ont déjà une perte de chance », résume le professeur Olivier Bonnot (chef du service de pédopsychiatrie du CHU de Nantes), à l’origine de ce sujet de thèse et directeur de celle-ci.
De fait, les médicaments antipsychotiques – que se voient prescrire de 0,8 à 2,7 % des Français, dans des indications multiples – sont fréquemment à l’origine, singulièrement ceux de deuxième génération, d’un syndrome métabolique associant prise de poids, diabète, et dyslipidémie. Ces effets indésirables, plus importants avec certaines molécules, telles la clozapine ou l’olanzapine, sont des facteurs de risque cardio-vasculaires.
Des recommandations
Or, en dehors de tout traitement, les malades psychiatriques et notamment les schizophrènes sont déjà vulnérables au diabète et aux maladies cardiaques, qui représentent d’ailleurs l’une des premières causes de décès prématuré (avant 65 ans). Selon une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé publiée en septembre, le taux de mortalité prématurée de ces patients est 4,4 fois plus élevé que celui de la population générale, et leur espérance de vie est diminuée en moyenne de seize ans chez les hommes, de treize chez les femmes.
Pour limiter les risques métaboliques liés aux antipsychotiques (qui sont des traitements indispensables en psychiatrie), de nombreuses recommandations ont été publiées, en France et à l’étranger. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) préconise depuis 2010 un bilan biologique avec glycémie et bilan lipidique préthérapeutique et à trois mois, puis une surveillance annuelle de la glycémie, et tous les cinq ans pour les lipides. Depuis 2015, des recommandations de la Fédération française de psychiatrie vont encore plus loin, et cette société savante préconise « de définir clairement le médecin qui assurera le suivi somatique afin d’avoir une prise en charge optimale », écrit Mme Le Pierres.
« C’EST INADMISSIBLE, LES PATIENTS PSY ONT DROIT À UNE SURVEILLANCE CORRECTE DES EFFETS INDÉSIRABLES, IL FAUT TROUVER DES SOLUTIONS. » OLIVIER BONNOT, CHEF DU SERVICE DE PÉDOPSYCHIATRIE DU CHU DE NANTES
Au vu des résultats de son enquête, on se demande qui lit ces documents. Avec l’aide de l’Assurance-maladie et du service de pharmacologie du CHU, la psychiatre a étudié les remboursements des bilans biologiques de près de 20 000 adultes et enfants ayant débuté des antipsychotiques entre le 1er juillet 2013 et le 31 décembre 2017. L’étude a porté sur la première année de ce traitement, prescrit dans diverses indications. La référence était les recommandations de l’ANSM, et il a été considéré qu’un bilan était réalisé si les personnes étaient hospitalisées.
Moins de 3 % des patients (2,89 %) ont eu les trois bilans complets recommandés, 15 % n’ont eu aucun suivi sur l’ensemble de la période. La majorité, soit 74 %, ont eu un bilan partiel à un moment de la période d’observation. Des résultats qui ne surprennent guère le docteur Le Pierres, d’autres études en France ou à l’étranger ayant fait à peu près le même constat.
Risque vital
Manque de communication entre professionnels, défaut de formation ou de connaissances, réticence des psychiatres à s’occuper de la santé physique de leurs patients, méconnaissance des risques par les principaux intéressés… De nombreux freins peuvent potentiellement expliquer les suivis insuffisants. Reste que, selon le code de déontologie, la prévention et la gestion des effets secondaires d’un médicament sont sous la responsabilité du prescripteur.
Comment améliorer cette situation calamiteuse, qui fait courir un risque vital à une population déjà fragilisée ? La sensibilisation des médecins et des malades est une étape indispensable. « Etre informée a changé ma pratique. Quand j’explique à mes patients les risques de prise de poids et de diabète, et leur mécanisme, ils deviennent plus acteurs de leurs soins », assure Marine Le Pierres. « C’est inadmissible, les patients psy ont droit à une surveillance correcte des effets indésirables, il faut trouver des solutions »,insiste Olivier Bonnot.
Parmi les pistes envisagées, une campagne d’information régionale avec l’Assurance-maladie auprès des prescripteurs. Le pédopsychiatre a par ailleurs été missionné, avec son confrère Mario Speranza (centre hospitalier de Versailles), par la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent pour créer un site Internet d’information sur les psychotropes chez l’enfant et l’adolescent.
De son côté, l’Association nationale pour la promotion des soins somatiques en santé mentale œuvre depuis 2002 pour, comme son nom l’indique, mieux prendre en charge les soins somatiques (et la douleur) chez les patients souffrant d’une maladie mentale ou de troubles autistiques. Il y a urgence.
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