Une étude publiée mercredi sur les 874 collèges publics des académies de Paris, Créteil et Versailles met au jour l’influence des inégalités territoriales et sociales sur la réussite scolaire.
LE MONDE | | Par Mattea Battaglia
Combien de fois a-t-on entendu des élèves douter de l’égalité des chances promise par l’école républicaine, eux qui, dans les « quartiers » comme ils disent, ont le sentiment que l’éducation nationale ne les propulse pas aussi bien – ni aussi loin – que leurs camarades des secteurs favorisés ? Qu’on n’enseigne pas de la même manière aux jeunes de Clichy-sous-Bois ou de Stains qu’aux élèves du 16e arrondissement parisien ?
L’enquête portant sur les inégalités scolaires dans 874 collèges publics d’Ile-de-France – soit tous ceux des académies de Paris, Créteil et Versailles, hors secteur privé – divulguée, mercredi 24 octobre, par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), ne leur donne pas tort. Sans mettre en cause les enseignants, elle interroge, à une échelle géographique d’une finesse inédite – celle de l’« IRIS », la plus petite unité établie par l’Insee assimilable à un quartier –, les politiques de gestion des ressources humaines, afin de savoir si celles-ci compensent, ou non, les inégalités socio-spatiales.
Affecte-t-on plus d’enseignants dans les collèges qui en ont le plus besoin ? Des enseignants plus aguerris ? Et de manière plus stable ? La réponse est non à quasi toutes ces questions, à l’exception de la taille des classes plus favorable dans les établissements des quartiers très défavorisés (avec trois élèves de moins, par rapport à la moyenne en Ile-de-France).
Les chercheurs du Cnesco, sous la direction du géographe Patrice Caro, ont travaillé deux ans pour enrichir la batterie de données permettant d’affirmer que l’école, même après trente-cinq ans (et des poussières) de politique d’éducation prioritaire, n’accorde pas aux territoires les plus défavorisés des ressources humaines enseignantes de même qualité que celles qu’elle destine aux écoles favorisées. Une nouvelle démonstration de l’incapacité du système éducatif à compenser les inégalités socio-économiques qui lui préexistent.
Inégalités cumulées
En Ile-de-France, à l’exception de Paris et de la Seine-et-Marne, les territoires paupérisés cumulent les inégalités : recrutant un public socialement désavantagé et cumulant du retard à l’entrée en 6e, ces quartiers accueillent, en outre, des enseignants plus jeunes, plus souvent contractuels (pas passés par l’étape du concours), et qui restent peu de temps dans les établissements. La recherche a montré que ce dernier point n’est pas qu’un détail dans la réussite des élèves : un fort « turnover », comme disent les professeurs, empêche de mener à bien des projets de long terme.
Parmi les inégalités invisibles à plus grande échelle, mises au jour par l’enquête, celles qui touchent à la réussite en fin de collège sont particulièrement criantes. Pour les mettre en valeur, l’équipe de chercheurs a choisi de ne considérer que les résultats obtenus aux épreuves terminales du brevet, ces épreuves dites « externes » qui ne relèvent pas du contrôle continu et sont corrigées en dehors du collège. Les résultats varient du simple au double en Ile-de-France selon les types de territoires : on passe ainsi de 24,3 % de réussite, dans les quartiers cumulant les plus fortes difficultés, à 57,5 % au cœur de Paris ou en banlieue favorisée (42,8 % en moyenne). Dans tous les cas, on est loin, très loin, du tableau d’ensemble que brosse la moyenne nationale.
« Ne pas voir ces inégalités, c’est prendre le risque de ne pas savoir comment mieux lutter contre », dit Nathalie Mons, présidente du Cnesco. Le conseil aurait voulu aller plus loin dans les comparaisons, par exemple en se penchant sur les absences d’enseignants. Il a manqué de données statistiques.
Son diagnostic intervient à un moment où de nombreuses voix s’interrogent, au sein de la communauté éducative, sur le devenir du Cnesco, alors que doit être créée, début 2019, une « instance de l’évaluation » promise, durant la campagne présidentielle, par le candidat Macron. Mais il intervient à point nommé, alors qu’est lancée la réflexion sur le devenir de la politique d’éducation prioritaire.
Dans un rapport, publié le 17 octobre, la Cour des comptes a dressé un bilan « décevant » de cette politique. Son objectif était de réduire à moins de 10 % les écarts de niveau entre les élèves en ZEP et hors ZEP. Or, au collège, si les écarts de performance en mathématiques et en français ne se détériorent plus, ils restent, selon la Cour des comptes, de l’ordre de 20 % à 30 % selon les disciplines et les années, a souligné la Cour.
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