Dans une enquête de la Drees, les médecins libéraux constatent les lourdeurs de la prise en charge de la patientèle vulnérable.
Y a-t-il un malentendu entre les médecins libéraux et les patients précaires ou vulnérables, en particulier ceux bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat (AME) ? Le 16 octobre, à l’occasion de la parution de son rapport annuel, Médecins du monde alertait l’opinion : « La médecine de ville est inaccessible aux personnes sans couverture médicale et à celles qui n’ont que l’AME, et si elles se tournent vers les circuits de droit commun, hôpital, urgences, ils sont saturés, surchargés et parfois dégradés », expliquait le docteur Christian Bensimon, généraliste bénévole depuis qu’il est à la retraite, et qui a fait toute sa carrière en Seine-Saint-Denis.
Ce 22 octobre, c’était au tour de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des solidarités et de la santé d’exposer le point de vue des médecins, après une enquête menée auprès de 1 540 généralistes libéraux (interrogés de mars à mai 2017) sur leur perception des publics vulnérables. Les trois quarts de ces praticiens disent se sentir « en difficulté » pour prendre en charge des patients « en situation de vulnérabilité sociale » qui, selon eux, accumulent des problèmes de santé (86 %), ont du mal à suivre un traitement (84 %) et dont la pathologie en est souvent à un stade avancé, conséquence d’un recours aux soins tardif (83 %).
Les associations humanitaires recoupent ce constat : « Quand on est à la rue ou en situation très précaire, la santé passe au second plan, confirme M. Bensimon. Parmi les 24 000 personnes accueillies dans les centres de Médecins du monde, une forte majorité, y compris des femmes enceintes, est en retard de soins, la moitié souffre de pathologies chroniques et 83 % nécessitent un suivi très difficile à réaliser dans leur environnement. Sur le plan buccal, ils souffrent d’en moyenne 4,4 dents cariées et 5,3 dents manquantes. » Les dentistes et les spécialistes sont les plus montrés du doigt par les associations pour les refus de soins, une pratique dont l’ampleur est cependant difficile à évaluer.
« Système expéditif »
C’est de haute lutte, après un mois d’attente, que Karla Missouwa N’Kola, hébergée dans un centre à Châteauroux et souffrant d’un horrible mal de dents, a fini par obtenir rendez-vous chez un dentiste : « J’attendais d’être enfin soulagée mais, arrivée au cabinet, j’ai été éconduite par une secrétaire médicale qui m’a dit être désolée de ne pas pouvoir me prendre en charge parce que mon AME a été délivrée à La Roche-sur-Yon, dans le département voisin, raconte-t-elle. On ne m’avait jamais opposé cet argument qui n’a ni queue ni tête. J’étais si furieuse que j’ai signalé le fait à la Caisse primaire d’assurance-maladie qui a pris note, sans plus de conséquences, à ce que je sais. » Karla a dû attendre un mois de plus pour être enfin soignée. La course aux ophtalmologistes l’a aussi obligée à en contacter trois avant de trouver le bon.
Les Petits Frères des pauvres soutiennent, eux, les grands exclus, alcooliques, psychotiques : « C’est un public déprimé, qui a une image dévalorisée de lui-même et refuse de se soigner, constate Mustapha Djellouli, chef de service. Et en réponse, le système actuel de soins se montre parfois expéditif. Les médecins sont pressés, les hôpitaux ont consigne de garder les malades le moins longtemps possible. Alors pour être sûrs qu’ils sont bien traités, nous devons nous-mêmes prendre rendez-vous, les accompagner, assurer le suivi. » Lassées des refus de soins, des associations ont mis en place leur propre réseau, sollicitant toujours les mêmes médecins volontaires et concentrant chez eux cette difficile patientèle.
Le rapport de la Drees relève aussi de nombreuses raisons non médicales aux réticences des généralistes libéraux, qui constatent que les consultations prennent plus de temps (82 %), regrettent le « manque de coordination » entre secteur médical et social (78 %) et déplorent l’inefficacité de la prévention envers ce public (75 %). Sept médecins sur dix (72,9 %) pointent une surcharge de travail administratif liée à ces patients et les deux tiers (64,6 %) font état de rendez-vous non honorés.
Le constat n’est pas que négatif, puisque la plupart des médecins généralistes se disent prêts à accorder des facilités de paiement aux plus démunis (80 %) et souhaiteraient être mieux formés à leur prise en charge (54 %), au lien avec les travailleurs sociaux (82 %) et aux modalités d’accès aux droits concernant la santé (79 %). Ces vœux pourraient figurer en bonne place parmi les préconisations du premier rapport de la Commission nationale d’évaluation des pratiques de refus de soins qui doit, d’ici à novembre, être communiqué à la ministre de la santé, Agnès Buzyn.
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