Illustration Sandrine Estrade-Boulet
Pour la psychanalyste Claude Halmos, l’éducation à la sexualité à l’école est indispensable. En légitimant ce sujet, elle aide à prévenir le viol et la pédophilie.
La psychanalyste Claude Halmos, auteure - entre autres - de Dessine-moi un enfant ou de Dis-moi pourquoi : parler à hauteur d’enfant, défend point par point la nécessité d’éduquer l’enfant à la sexualité.
Pourquoi existe-t-il une telle réticence à l’éducation à la sexualité à l’école ? Certains vont jusqu’à affirmer que l’on va enseigner aux enfants à se masturber pour la décrédibiliser…
Il n’a jamais été question d’enseigner la masturbation, c’est une désinformation, organisée pour terrifier les parents. Et d’ailleurs, les enfants n’ont pas besoin des adultes pour découvrir la masturbation, Freud - dont les écrits sont, que je sache, toujours en vente libre - l’a très bien expliqué. Mais l’idée de la sexualité infantile continue à déranger… La réticence à ce qu’un enseignement de la sexualité existe à l’école est fondée sur une incompréhension de son objectif et de sa nécessité. L’éducation à la sexualité joue un rôle essentiel dans la construction de l’enfant. D’une part parce qu’elle lui donne des repères essentiels par rapport à lui-même (à son corps, à la compréhension de ses émotions) qui lui évitent beaucoup d’angoisses. Et d’autre part parce qu’elle lui permet de civiliser sa sexualité, en intégrant le respect de l’autre et de son désir : l’autre n’est pas une proie. Et elle a, de plus, une influence décisive sur son appréhension du rapport entre les sexes. Expliquer à un enfant le corps de chaque sexe, c’est lui permettre de comprendre, dès son plus jeune âge, qu’il n’y a pas de sexe supérieur et de sexe inférieur. Les garçons ont un pénis, un zizi, comme on dit dans beaucoup de familles, qui est visible et que les filles n’ont pas. Mais elles ont, elles, dans leur ventre, des organes «pour faire des bébés», que les garçons n’ont pas. Les deux sexes sont donc différents mais à égalité.
Mais en quoi est-ce à l’école, au collège ou au lycée de faire ça ?
Il est indispensable qu’elle le fasse. D’abord pour les enfants à qui leurs familles n’ont rien appris : je reçois beaucoup d’enfants de 6 ans qui ne savent pas comment on fait les bébés, et je pense que le rôle de l’école est aussi de compenser les inégalités éducatives. Et, même pour les autres, car si l’école dispense cet enseignement, elle leur signifie que ce sujet est important et qu’on a le droit d’en parler. C’est en outre très important en termes de prévention. Car quand on explique la sexualité, il faut expliquer les interdits : celui de l’inceste et celui de la sexualité entre adultes et enfants. Enfin, cet enseignement permet de rectifier le «tout et n’importe quoi» qui circule sur Internet.
Mais son enseignement n’est-il pas trop théorique, ce qui expliquerait que des tas de jeunes se renseignent via Internet…
A l’école, il s’agit de dire ce qu’il en est du corps et de la sexualité, et de faire justement la différence entre la réalité et les films pornos d’Internet, qui saccagent les enfants en les confrontant à des pratiques face auxquelles ils n’ont, contrairement aux adultes, aucun recul. Ils construisent donc leur sexualité sur des pratiques que, sans ces films, ils n’auraient pas choisies. Cela évoque un dealer qui donnerait de la drogue gratuitement, pour vous rendre dépendant.
Et les parents dans cette histoire ?
L’école ne remplace pas les parents car leur parole est irremplaçable : en lui parlant de sexualité, ils transmettent à l’enfant leur éthique, et ils lui donnent l’autorisation de penser et de parler. Mais ils sont souvent démunis, parce que le sujet est chargé de pudeur et d’émotion. Et parce que les psys, dans les médias, entretiennent trop souvent l’illusion qu’il y aurait une bonne façon de parler. En fait, on explique avec les mots qu’on peut. Et tôt. Beaucoup de parents ont peur d’émanciper leur enfant, d’abréger leur enfance qu’ils veulent la plus longue possible, à l’abri des violences du monde. Traîne aussi cette vieille idée que si on dit la vérité, ça va «donner des idées».
A partir de quel âge en parler ?
Quand l’enfant commence à déambuler au milieu des adultes, vers 2 ans et demi, 3 ans, on peut commencer à parler, notamment grâce à des petits livres. C’est l’occasion d’expliquer notamment qu’il faut un élément masculin et un élément féminin pour faire un enfant. C’est important, parce que les enfants petits imaginent que les mères sont si puissantes qu’elles peuvent faire les enfants seules. Il ne s’agit pas de faire un cours comme au Collège de France, mais de donner les informations de base, et - j’insiste - de dire les interdits. On ne «fait pas les amoureux», comme disent les enfants, entre gens de la même famille, et pas non plus entre adultes et enfants. C’est interdit par la loi.
Pas simple…
Quand un enfant pose une question, on peut commencer par lui demander : «Tu en penses quoi ?» pour évaluer où il en est. Ensuite, il faut se garder de montrer son corps ou de parler de ses pratiques, et inutile d’entrer dans les détails. Il est aussi préférable d’utiliser les vrais mots, ceux qu’on utilise dans la société comme pénis, vagin. Cela montre que le sexe a du sens en dehors de la famille. Enfin, il faut essayer de parler sobrement, pour que l’enfant ne transforme pas l’explication en un petit film érotisé. S’il redemande mille fois une explication qu’il a manifestement comprise, on lui suggère de passer à autre chose.
Au fond quel est le message à faire passer ?
Il y en a plusieurs : «Tu as le droit d’en parler, tu ne seras pas puni.» La sexualité humaine est régie par des règles : le respect du désir de l’autre. Et, plus tard, vers 6 ou 7 ans, il est important d’expliquer qu’il n’y a pas de sexualité normale ou anormale. Et sans rentrer dans les détails, de relever, quand l’enfant les emploie parce qu’il les a entendus, les mots comme «pédé» qui sont des injures. Je le redis, l’éducation à la sexualité est la meilleure façon de prévenir la pédophilie, le viol, et aussi l’homophobie.
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