14.09.2018
Conditions de vie, inégalités sociales, état de santé, comportements, environnement naturel et familial… Depuis sept ans, plus de 150 chercheurs se mobilisent pour étudier à la loupe les 18 000 enfants et leurs familles issus de la Cohorte Elfe. Il s'agit de la première étude longitudinale française depuis l’enfance pilotée par l’Ined, chargée de déterminer les facteurs susceptibles d’influencer le développement de l’enfant. Ce travail doit se poursuivre encore 13 ans. Alors que les enfants suivis depuis leur naissance en 2011 ont l’âge d’entrer au CP, la deuxième journée scientifique de la Cohorte Elfe qui s’est tenue à Paris mardi a dévoilé de nouvelles données.
Exposition aux pesticides : une suspicion renforcée
Le sujet est d’une actualité brûlante. Du point de vie scientifique, « un corpus grandissant d’études suggère que la grossesse et les premières années de vie sont une fenêtre de vulnérabilité aux pesticides, liée à l’augmentation de malformations congénitales et à un possible impact sur le neurodéveloppement des enfants », rappelle Cécile Chevrier, chercheuse (Inserm-Irset UMR 1085) à Rennes. Mais avec 400 molécules sur le marché français, des sources et usages variés, évaluer l’exposition de la population générale est complexe. Principale source : la contamination alimentaire, via les résidus de produits phytosanitaires, suivie des usages domestiques (insecticides –y compris shampoings anti-poux–, fongicides). Pour mesurer plus précisément l’exposition des femmes durant leur grossesse et en évaluer l’impact sur les enfants, l’équipe de recherche s’est engagée dans le projet Popeye. Elle a procédé à une évaluation par questionnaire des mamans de la cohorte Elfe, aux deux mois de l’enfant, de la consommation de pesticides à la maison. Outre l’utilisation saisonnière d’anti-puces et/ou tiques, il ressort « un usage prédominant de produits contre les insectes volants ou parasites » surtout quand on vit en maison ou dans un logement ancien.
Il faut aussi compter avec la contamination environnementale de l’eau, de l’air et des sols, « ce qui pose le problème particulier des riverains des champs agricoles ». Or, en croisant les adresses des mamans de la cohorte Elfe avec les données d’occupation des sols des registres parcellaires agricoles, on s’aperçoit qu’une sur 2 en moyenne vit à moins de 500 mètres d’une parcelle agricole (72 % en Bretagne, 42 % dans la région autour du bassin parisien), majoritairement consacrée à la culture de céréale ou de maïs.
Pour connaître l’imprégnation de leurs organismes, les chercheurs ont fait réaliser des dosages chimiques de 140 molécules appartenant à différentes familles de pesticides, sur 9 cm de mèche de cheveux maternels collectés à la naissance de l’enfant, soit de quoi retracer 9 mois de contact avec des toxiques. Bilan : sur 311 mèches analysées, 87 % de molécules ont été détectées et « pas une seule mèche était exempte de pesticide ». La « moins » contaminée affichait la trace de 25 molécules et chez la moitié des femmes, on en détectait 43 et « la majorité des familles chimiques, aux propriétés toxicologiques différentes, se révèle présente simultanément ».
Quant à l’impact d’une telle imprégnation, les premiers résultats –non encore publiés– du projet renforcent « la littérature existante qui souligne de manière assez concordante » un lien entre une exposition professionnelle aux pesticides et l'augmentation de malformations congénitales chez les petits garçons. Le couplage des données de 50 cas d’hypospadias, à un score d’usage domestique de pesticides (excluant les femmes agricultrices) et à un rayon de 100 m autour de la résidence familiale, suggère en effet une augmentation du risque de malformation congénitale du pénis liée à l’utilisation de produits utilisés contre les puces, les tiques ou pour la culture d’orge.
Les écrans, vraiment très tôt
Autre préoccupation : l’exposition précoce des enfants aux écrans. 91 % des enfants regardent la télévision pour la première fois de leur vie à 18 mois. À deux ans, les deux tiers la regardent tous les jours, révèlent les résultats préliminaires de l’étude conduite auprès de 13 495 familles de la cohorte Elfe par Jonathan Bernard, épidémiologiste à l’Inserm. Ce sont les premières données françaises évaluant à cette échelle l’exposition des deux ans aux écrans. Elles montrent que l’on est loin du « pas d’écran avant trois ans » que prônent les spécialistes, en l’absence de recommandation officielles françaises. L’enquête a été menée en 2013, lorsque les bébés-Elfe avaient deux ans. Elle doit se poursuivre jusqu’en 2019 et devra composer avec l’évolution technologique et sociétale : diffusion massive des tablettes notamment, qui a considérablement changé le rapport aux écrans. En 2013, seuls un tiers des bébés étaient en contact « de temps en temps » avec un ordinateur ou une tablette, et 20 % exposé de manière occasionnelle à un smartphone. L’écran le plus utilisé à cet âge était la télévision. Si 8 % seulement était vissé devant plus de deux heures par jour, la majorité ne passe pas plus de 30 minutes quotidiennes devant, rassure le chercheur. Le tout étant de mesurer au détriment de quelle autre activité…
Cette première photographie expose aussi l’inégalité sociale, fortement corrélée au niveau d’étude maternel. Dans les familles à niveau d’étude primaire, 4 enfants sur cinq regardent la télé tous les jours. Un enfant sur deux seulement, dans celles où la mère affiche un niveau d’étude supérieur ou égal à bac + 2.
Claudine Proust
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