Les rendez-vous à distance seront pris en charge par la « Sécu » à partir de samedi, selon les mêmes règles que les consultations en face à face.
C’est une évolution majeure du fonctionnement du système de santé en France. A partir de samedi 15 septembre, les consultations médicales à distance avec des généralistes ou des spécialistes seront remboursées par l’Assurance-maladie aux mêmes tarifs (70 % de prise en charge Sécu) et selon les mêmes règles que les consultations en face à face. Ces consultations devront avoir lieu par l’intermédiaire d’une liaison vidéo sécurisée et – théoriquement – respecter le parcours de soins coordonnés (le patient doit d’abord se tourner vers son médecin traitant).
Tous les Français pourront bénéficier de cette nouvelle règle actée en juin, à l’issue de cinq mois de négociations entre les syndicats de médecins libéraux et la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM). Pour limiter une potentielle explosion du nombre d’actes – et donc des coûts –, Nicolas Revel, son directeur général, souhaitait initialement que cette médecine à distance soit mise en place par étapes et dans un premier temps réservée aux patients en affection longue durée (diabète, Alzheimer…), à ceux résidant dans les déserts médicaux, à ceux vivant en Ehpad ou atteints d’une maladie rare.
« A la demande de l’Elysée, il a fini par ouvrir les portes plus largement, ce qui nous convient très bien », raconte le docteur Claude Bronner, président de l’Union généraliste à la Fédération des médecins de France, qui a participé aux discussions.
Si certains médecins voient dans ces nouvelles règles une façon de libérer du temps médical et d’éviter des passages aux urgences injustifiés, d’autres font part de leur scepticisme – voire de leur inquiétude – sur les effets indirects du dispositif. Tour d’horizon des questions pratiques posées par ce changement.
Quels équipements ?
Alors que la CNAM avait là aussi d’abord souhaité qu’il ne soit pas possible d’utiliser un smartphone, son directeur jugeant que cela aurait été « dénaturer ce qu’est une consultation médicale », ce sera finalement possible. Pour une consultation, le médecin devra communiquer au patient un lien l’invitant à se connecter sur un site ou une application sécurisée par l’intermédiaire d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone équipé d’une webcam, explique la CNAM, dans un document publié le 12 septembre.
La Caisse ajoute que les systèmes tels que Skype ou FaceTime « apparaissent suffisamment sécurisés pour l’échange vidéo avec le patient lorsqu’il est connu », même s’ils ne permettront pas l’échange sécurisé de documents, comme des photos du corps. Une possibilité de recourir à ces outils « grand public » qui heurte le docteur Pierre Simon, de la Société française de télémédecine (SFT), dans la mesure où « le risque de violation du secret médical est élevé » avec ces interfaces.
Différents modes d’utilisation sont appelés à émerger. Si certains patients choisiront d’utiliser leur smartphone ou leur tablette, d’autres bénéficieront de ce dispositif dans des Ehpad, dans des maisons de santé, avec une infirmière à leurs côtés, ou dans des pharmacies qui pourraient prochainement être incitées financièrement par la CNAM à proposer une telle offre.
Quel remboursement ?
Sur le papier, les choses sont claires. La téléconsultation est remboursée au patient si elle a lieu avec son médecin traitant. « Sauf situations particulières, le patient devra être connu du médecin, qui devra l’avoir vu au cours des douze derniers mois »,précise bien l’Assurance-maladie. Pourront être exemptés du respect de ce parcours les enfants de moins de 16 ans, non tenus d’avoir un médecin traitant, les patients consultant des spécialistes en accès direct (ophtalmologie, psychiatrie, pédiatrie…), et surtout ceux qui n’ont pas déclaré de médecin traitant ou dont le praticien habituel « n’est pas disponible dans le délai compatible avec leur état de santé ».
C’est sur ces « situations particulières » que misent une partie des sociétés qui se lancent sur ce créneau de la télémédecine – il y en aurait plus d’une trentaine au total. « Avant chaque consultation, nous posons un certain nombre de questions sur l’état de santé du patient, l’une d’elles sera : “Avez-vous vérifié la disponibilité du médecin traitant ?”, ce qui nous permettra de cocher la case urgence sur la feuille de soins », explique Jonathan Ardouin, le directeur de Livi, l’une d’elles. « C’est dans les exceptions hors médecin traitant qu’on peut construire et mettre en œuvre notre vision de la médecine numérique », reconnaît-il. Parmi les publics visés : les jeunes parents désireux d’obtenir rapidement une réponse médicale pour leurs enfants.
Pour parer au développement de ces plates-formes « hors-sol », l’Assurance-maladie va inciter les médecins à s’organiser au niveau d’un bassin de population pour proposer des solutions de téléconsultation par des praticiens locaux. « Je ne crois pas que l’Assurance-maladie fermera les yeux sur les consultations hors parcours de soins menées par des plates-formes essentiellement parisiennes », assure Pierre Simon, par ailleurs convaincu que la demande de consultations immédiates « va être marginale ».
Quelle ordonnance ?
A l’issue de la consultation, le médecin adresse son ordonnance par voie postale ou sous format électronique sécurisé, soit au patient, qui peut l’imprimer et se rendre en pharmacie, soit directement à la pharmacie, si elle dispose du même logiciel sécurisé que le médecin prescripteur.
Quelles pathologies ?
Une téléconsultation par vidéotransmission, si elle est effectuée avec les bons équipements, permet de réaliser plus de 80 % d’un examen effectué en face à face, fait valoir la SFT. Ce sera de toute façon au médecin de choisir l’opportunité d’une prise en charge à distance et de fixer ses propres limites. Impossible, par exemple, aujourd’hui de diagnostiquer à distance une otite chez un enfant, explique Claude Bronner, qui se dit convaincu que, « d’ici un à deux ans, il existera de petits otoscopes qu’on pourra brancher sur un smartphone et qui permettront de voir le tympan aussi bien qu’en cabinet ».
Les médecins de la plate-forme Livi ont pour leur part choisi de nerenouveler l’ordonnance d’un confrère qu’une seule fois et pour un délai maximum de quatre semaines, et sous réserve d’obtenir une photo de la première ordonnance, datant de moins de trois mois. Autre règle que s’impose cette plate-forme : pas d’arrêt de travail de plus de cinq jours, « ce qui nous paraît un délai raisonnable pour aller voir un médecin traitant », explique Maxime Cauterman, son directeur médical.
Certains généralistes jugent pour leur part déraisonnable de se lancer dans de telles consultations à distance. « Je ne prescrirai rien à des enfants qui ont de la fièvre seulement en les ayant vus par vidéo, j’aurais trop peur de rater celui qui a une pneumopathie », assure ainsi le docteur Claude Leicher, ancien président de MG France, le premier syndicat de médecins généralistes. A titre personnel, il se dit convaincu que la télémédecine « va rendre des services marginaux pour dépanner dans certaines situations particulières », mais qu’il ne faut pas en attendre un bouleversement du système de santé.
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