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jeudi 6 septembre 2018

Pauvreté : quatre millions de ménages en attente d’un vrai logement

Le défi de la pauvreté (3|3). L’envolée des loyers est un facteur aggravant de la pauvreté. Pour nombre de familles, la part des ressources consacrée à se loger devient intenable.
LE MONDE  |  Par 

OLIVIER BONHOMME
Plus jeune et plus urbain qu’il y a dix ans, plus souvent locataire et étranger, écrasé par le poids financier du logement : c’est le profil type du mal-logé en France. La Fondation Abbé-Pierre estime leur nombre à 4 millions, mais, au-delà de ce « noyau dur » de la pauvreté, les 20 % des ménages les plus modestes (1er et 2e déciles, au sens monétaire) paient un lourd tribut au renchérissement du prix des logements, qui s’accélère depuis 2006.
L’amélioration du confort, la métropolisation, la concentration de l’emploi dans les grandes villes y ont certes contribué. Mais, dans le même temps, dans le sillage de la crise financière de 2008, les bas salaires ont été comprimés.
Ces familles se retrouvent victimes d’un effet ciseau entre un revenu qui ne progresse quasiment pas et un loyer qui s’envole, notait le rapport, publié le 2 mai, de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes). Entre 2001 et 2006, les dépenses de logement – loyer et charges – augmentaient 1,7 fois plus vite que les bas revenus, puis quatre fois plus vite, entre 2006 et 2013, pointe l’étude. Une tendance qui n’a, depuis, pu que s’accentuer.

Résultat, le taux d’effort des familles à bas revenus, c’est-à-dire la part des ressources consacrée à se loger, devient intenable, puisqu’il s’est accru de 7,4 points entre 2001 et 2013, passant de 26,3 % des ressources à 33,6 % – sachant que, pour l’ensemble des Français, il était de 19 % en 2015, selon l’Insee.
Pression financière excessive
Et ce n’est qu’une moyenne, qui cache les 54,5 % de taux d’effort infligés aux accédants à la propriété des deux premiers déciles, les 42,4 % des locataires du secteur libre. Parmi eux, 61,7 % résident dans l’agglomération parisienne.
Le reste à vivre sur un revenu moyen d’environ 1 050 euros par mois, pour une personne seule, atteint à peine 400 euros. L’Onpes chiffre à 1,7 million le nombre de ménages à bas revenus victimes de cette pression financière excessive, 2,5 millions si on y ajoute ceux aux ressources modestes (3e et 4déciles).
Françoise D. habite un quartier chic, à Paris. Après une carrière heurtée dans l’audiovisuel qui ne lui assure qu’une retraite d’environ 1 000 euros mensuels, elle loue 600 euros – dont seulement 10 euros d’aide personnalisée au logement (APL) – vingt mètres carrés sous les toits, sans ascenseur, à un propriétaire privé. « Lorsque, l’été, la température devient intenable, la seule solution, c’est de descendre boire un café et comme, de temps en temps, je craque pour m’offrir une visite de musée ou une séance de cinéma, je dépasse mon budget et je m’endette en différant le paiement du loyer. Jusqu’ici, heureusement, le propriétaire s’est montré arrangeant. » Françoise D. a attendu des années une réponse à sa demande, déjà ancienne, d’un logement social, finalement arrivée en 2018, soulageant ses finances mais l’obligeant à quitter « son quartier ».
Chute des emménagements en HLM
« Pour ces personnes, le seul salut est le logement social qui fait redescendre la part du loyer à un niveau supportable pour leurs revenus et leur assure un toit de qualité », explique Jean-Claude Driant, directeur de l’Institut d’urbanisme de Paris et l’un des auteurs du rapport de l’Onpes. L’observatoire constate aussi que le taux d’effort des ménages à bas revenus logés dans le parc social n’excédait pas 27,8 % en 2013, contre 22,4 % en 2001, soit une progression certes significative mais encore tolérable.
Mais les logements sociaux sont encore mal répartis dans la région parisienne, et le « turnover », c’est-à-dire la mobilité des locataires, qui permet de libérer des appartements, y est, bien sûr, quasi nul : pourquoi quitter un HLM confortable et pas cher pour un logement privé hors de prix ? A Paris, le taux de déménagements est tombé à 3 % quand la moyenne nationale s’établit à 10 % dans le parc social (27 % tous parcs confondus). Entre 2001 et 2013, en dépit des constructions nouvelles, le nombre d’entrants dans le parc social a baissé de 22 % : les sorties se font d’autant plus rares que le mouvement autrefois habituel vers l’accession à la propriété est stoppé.
A Paris, où le nombre d’emménagements au cours des quatre dernières années a baissé de 43 %, on ne compterait donc, sans ironie, que sur le décès des locataires HLM pour reconstituer une offre… Les files d’attente des candidats à un logement social s’allongent indéfiniment, la panne gagne les centres d’hébergement d’urgence, saturés à leur tour, laissant les familles en difficulté au mieux à l’hôtel, au pire à la rue.
Surpeuplement et insalubrité
La famille Samberi, arrivée du Burkina Faso en France en 2012, est restée à la rue presque un mois avec ses quatre enfants âgés de 7 et 19 ans, trouvant parfois refuge aux urgences de l’hôpital Robert-Debré. Ce n’est que depuis quelques semaines qu’elle est hébergée par le Samusocial, en hôtel, à Champigny, dans le Val-de-Marne.
Les Samberi ont pourtant franchi tous les obstacles sur le long chemin vers l’insertion : les parents ont obtenu papiers et titres de séjour ; le père travaille, en contrat à durée indéterminée (CDI), comme agent de ménage pour Auchan, à Versailles ; les enfants parlent français et suivent une scolarité normale en dépit de l’errance qui leur a jusqu’ici été imposée, d’un hôtel à l’autre. Ils sont, en outre, reconnus comme bénéficiaires du droit au logement opposable (DALO), qui, en principe, leur donne la priorité pour obtenir un logement social… inaccessible aux nouveaux arrivants.
Pour les déboutés du logement social, les pis-aller sont l’hébergement chez des tiers ou le retour chez des parents : 46 % des 18-29 ans habitent chez leurs parents, observe l’Insee, avec un risque de surpeuplement des logements qui, relevait la Fondation Abbé-Pierre dans son rapport publié le 31 janvier, progresse à nouveau. A cela s’ajoute l’habitat insalubre : en dépit de l’amélioration générale du confort, des poches d’insalubrité persistent, avec des logements honteusement loués à des prix astronomiques.
Copropriétés en difficulté
A voir sa mise élégante, on ne devinerait pas que Svetlana S., 62 ans, ancienne employée chez Peugeot-Citroën et vendeuse sur les marchés, habite un gourbi pétri d’humidité et infesté de rats, dans un immeuble déclaré insalubre du 20e arrondissement de Paris, ce qui n’empêche pas son « propriétaire » de prélever 510 euros de loyer par mois, sur un revenu de 830 euros. Elle aussi espère que la Ville de Paris lui proposera un relogement.
L’insalubrité touche désormais aussi les copropriétés en difficulté dont les habitants n’honorent plus les charges : selon l’Agence nationale de l’habitat, 180 000 copropriétés, soit 2,3 millions de logements, sont dites « fragiles », c’est-à-dire risquent d’entrer dans une spirale de déqualification. En 2018, en France, quatre millions de ménages piétinent au seuil d’un vrai logement.

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