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mardi 4 septembre 2018

L’alcoolisation fœtale toucherait une naissance par jour en France

Les premières estimations nationales, présentée mardi, confirment le poids important de cette problématique pour la santé publique.
LE MONDE  |   Par 

PHILIPPE LOPEZ / AFP
En France, un enfant naîtrait chaque jour avec au moins une conséquence de l’exposition prénatale à l’alcool ; et un par semaine avec la forme la plus spécifique de ces troubles, le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF), qui résulte d’une consommation maternelle très élevée ­pendant la grossesse. Soit respectivement 0,48 et 0,07 cas pour mille naissances.

A quelques jours de la Journée mondiale de sensibilisation au SAF, le 9 septembre, les premières estimations nationales que devait présenter, mardi 4 septembre, Santé publique France confirment le poids important de cette problématique pour la santé publique. De prime abord, ces résultats pourraient toutefois paraître une bonne nouvelle. Les taux calculés en France sont en effet dix à vingt fois plus bas que les estimations internationales admises : cinq à dix naissances sur mille pour les troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF), dont un sur dix est un SAF. Mais les auteurs de l’étude, réalisée à partir des bases de données des hôpitaux (programme de médicalisation des systèmes d’information, PMSI), précisent d’emblée que leurs chiffres sont « très sous-estimés », notamment parce que ces diagnostics sont difficiles à poser en période néonatale et qu’ils n’incluent pas les cas reconnus plus tard dans l’enfance.
Effet tératogène
Les effets délétères de l’exposition à l’alcool dans la vie intra-utérine sont bien documentés. Ce toxique est d’ailleurs la première cause de handicap mental non génétique et d’inadaptation ­sociale, une cause totalement évitable. Au premier trimestre de la grossesse, il est tératogène (augmente le risque de malformations). Au deuxième et au troisième trimestre, il peut perturber plus insidieusement la croissance et la maturation cérébrale.
Le tableau le plus spécifique, le syndrome ­d’alcoolisation fœtale, a été décrit initialement par le pédiatre nantais Paul Lemoine, en 1968, qui citait lui-même la thèse de médecine de ­Jacqueline Rouquette (1957), puis redécouvert en 1973 par deux pédiatres américains. Il associe des anomalies physiques (visage caractéristique dès la naissance, malformations, retard de croissance) et des troubles du neurodéveloppement : difficultés d’apprentissage ; troubles du calcul, du langage, du comportement, de la mémoire ; retard mental ; déficit d’attention…
Depuis, d’autres formes ont été identifiées, et il est désormais établi que les TCAF forment un continuum, le cas le plus fréquent étant les ­formes partielles. Les symptômes liés aux troubles neurodéveloppementaux peuvent se révéler dans l’enfance, et le lien avec une exposition prénatale à l’alcool n’est pas toujours évident.
Faute de seuil de consommation en dessous duquel il n’y aurait aucun risque pour l’enfant, les autorités sanitaires prônent par principe de précaution le « zéro alcool pendant la grossesse ».
« Malgré l’impact sanitaire et social de ces troubles, aucune estimation nationale ni de comparaisons régionales récentes n’étaient à ce jour disponibles », souligne Santé publique France. Pour cette première évaluation, Nolwenn Regnault (coordinatrice du programme de surveillance en santé périnatale à Santé publique France) et ses collègues ont analysé, entre 2006 et 2013, les bases de données PMSI des centres hospitaliers de France métropolitaine et des départements et régions d’outre-mer – hors Mayotte – pour les nouveau-nés, c’est-à-dire entre 0 et 28 jours de vie.
Ils ont retenu les codes diagnostiques Q860, correspondant au SAF avec dysmorphie, et P043 (« fœtus et nouveau-né affectés par l’alcoolisme de la mère »). Pendant ces huit années, 452 cas de SAF ont été recensés, et 2 755 cas d’autres troubles causés par l’alcoolisation fœtale, soit au total 3 207 nouveau-nés touchés. La moitié des cas concerne des filles. Globalement, la fréquence des TCAF est donc évaluée à 0,48 cas pour 1 000, avec des taux bien supérieurs dans certaines régions : comme La Réunion (1,22 pour 1 000) ; la Haute-Normandie (1,02 pour 1 000), la Champagne-Ardenne et le Nord-Pas-de-Calais (0,9 pour 1 000). Des disparités régionales qui n’étonnent pas Nolwenn Regnault. « Ces régions avaient déjà été identifiées dans l’expertise collective de l’Inserm de 2001 sur ­l’alcool et les effets sur la santé, commente-t-elle. Un taux élevé peut correspondre à une exposition plus importante à l’alcool, mais il faut aussi tenir compte du contexte historique local. A La Réunion, par exemple, les professionnels de santé se sont beaucoup mobilisés sur cette thématique. » Ils sont donc probablement plus enclins à poser le diagnostic dès la naissance.

La Réunion et l'Auvergne, les deux régions aux plus de cas de syndromes d'alcoolisation foetale (SAF)

Nombre de cas (pour mille naissances) de conséquences liées à l'alcoolisation foetale.
012006‐20092010‐2013La RéunionAuvergneNord ‐ Pas‐de‐CalaisAlsaceGuadeloupeHaute‐NormandiePoitou‐CharentesGuyaneBasse‐NormandieChampagne‐ArdenneMoyenne nationaleBourgogneMartiniqueBretagneCentreLimousinLorraineLanguedoc‐RoussillonPicardieAquitaineÎle‐de‐FranceProvence ‐ Alpes ‐ Côte d’A…Rhône‐AlpesPays de la LoireMidi‐PyrénéesCorseFranche‐Comté
Les auteurs de l’étude ne sont pas non plus surpris par ce taux faible de TCAF par rapport aux ­estimations internationales, l’enquête n’ayant été réalisée que chez les nouveau-nés. « Le diagnostic peut n’être posé que plus tard, en particulier lors de la scolarité pour ce qui concerne les troubles des apprentissages. D’autre part, même en cas de suspicion, le soignant peut ne pas faire ­figurer les codes diagnostiques correspondants dans le PMSI », écrivent-ils. Spécialiste des TCAF, le neuropédiatre David Germanaud (hôpital Robert-Debré, APHP) souligne lui aussi des paramètres expliquant aisément le hiatus entre les résultats de cette étude française et les estimations obtenues par recoupement d’autres études, en particulier internationales. « Le SAF est sous-diagnostiqué à la naissance, soit parce qu’il n’est pas reconnu, soit parce que le ­médecin choisit de différer le diagnostic, relève-t-il. Quant au code P043, il est très imprécis et quoi qu’il en soit pas superposable au ­diagnostic de TCAF hors SAF, qui ne peut être porté que plus tard. C’est par contre un bon indicateur d’alcoolisation maternelle importante. » Pour David Germanaud comme pour les auteurs de l’étude, il est indispensable de se donner les moyens d’identifier les cas de TCAF se manifestant plus tard dans l’enfance, et qui d’ailleurs ne sont pas toujours pris en charge dans les hôpitaux.
Campagne d’information
Qu’en est-il des consommations d’alcool pendant la grossesse ? Elles sont loin d’être négligeables, selon les données du baromètre santé 2017 présentées par Santé publique France. Une femme enceinte sur dix a consommé, même occasionnellement, de l’alcool pendant sa grossesse. Et quatre sur dix disent ne pas avoir été informées des risques de la consommation d’alcool (ou de tabac) par le médecin ou la sage-femme qui les suit ou les a suivies pendant leur grossesse.
Pour la troisième année d’affilée, l’agence sanitaire va déployer une campagne nationale auprès du public et des professionnels de santé. « Les deux précédentes campagnes ont fait évoluer les ­connaissances du public sur ces questions, mais il faut poursuivre l’effort, insiste François Bourdillon, directeur général de Santé publique France. Le zéro alcool doit devenir un réflexe pendant la grossesse, mais aussi dès qu’une femme veut un enfant. »
Quid du logo spécifique sur les bouteilles ­d’alcool, instauré depuis dix ans mais souvent inexistant, ou quasi illisible ? « Si les alcooliers veulent faire de la prévention, qu’ils fassent leurs preuves. Afficher cette information sur leurs ­produits est de leur responsabilité », estime M. Bourdillon.

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