Diagnostiquée Asperger à 27 ans, la jeune femme est devenue une incarnation de l’autisme au féminin. Mais elle voudrait passer à autre chose, se débarrasser de cette étiquette.
Combien de personnes, et en particulier de femmes, ont découvert qu’elles étaient possiblement autistes Asperger en se plongeant dans son blog, ses vidéos sur YouTube ou ses écrits ? Moins médiatique que ses « collègues » masculins Josef Schovanec, Hugo Horiot ou Daniel Tammet, Julie Dachez est en train de devenir une incarnation de l’autisme au féminin, un sujet longtemps méconnu en France.
En ce début juillet, elle reçoit dans le lieu où elle passe actuellement 95 % de son temps : son domicile. Un appartement baigné de lumière dans un quartier calme de Nantes, où elle vit en célibataire, avec trois colocataires à quatre pattes. Avec ses tatouages sur le bras droit, la coquette jeune femme tranche quelque peu avec son personnage un peu brut et mal fagoté de Marguerite dans la BD La Différence invisible (éditions Delcourt, 2016), une histoire très autobiographique cosignée avec la dessinatrice Mademoiselle Caroline.
On ne retrouve pas trop non plus dans nos échanges, policés, le style punchy, souvent provocateur, de Dans ta bulle !, son livre engagé sur les autistes de haut niveau – c’est-à-dire sans déficience intellectuelle –, publié en mars chez Marabout (256 pages, 17,90 €). « Pour moi, l’autisme est une différence de fonctionnement pathologisée par une société obsédée par la normalité », clame-t-elle dès les premières pages de cet ouvrage, qu’elle voudrait être « un outil militant au service de l’émancipation des autistes ».
« Je suis plein de choses »
Elle y interpelle sans ménagement ses lecteurs « neurotypiques », pour leur faire prendre conscience du parcours souvent chaotique et douloureux des autistes. Son expérience, mais aussi celle d’autres adultes Asperger qu’elle a longuement interrogés pour sa thèse de doctorat en psychologie sociale sur l’autisme (et sa stigmatisation), soutenue fin 2016.
A quelques jours de son départ en vacances, la jeune femme de 33 ans répond aux questions de bonne grâce, mais paraît lasse de jouer les autistes de service. « L’étiquette autiste commence à me coller à la peau, et j’en ai un peu marre, confie-t-elle spontanément. Je suis auteure, je suis docteure, je suis plein de choses… »
Un état de saturation, peut-être. Il faut dire que depuis qu’elle a reçu un diagnostic d’Asperger en 2012, à 27 ans, toutes ses activités ont tourné autour de l’autisme : un blog (emoiemoietmoi), deux séries de vidéos consacrées à l’autisme puis au féminisme, et, surtout, une thèse en psychologie sociale – une première en France sur le sujet de l’autisme, qui plus est rédigée par une personne ouvertement autiste. Un travail universitaire de trois ans pour lequel elle a notamment conduit des entretiens avec une trentaine d’adultes Asperger afin de retracer leur parcours, et qui a donné lieu à quatre publications scientifiques. Il y a eu aussi les deux livres, des conférences, et même un projet de documentaire qu’elle a porté pendant cinq ans, avant de jeter l’éponge en début d’été.
La « double peine » de l’autisme au féminin
Certains autistes Asperger ont une passion, parfois dévorante, pour les cartes géographiques, le codage informatique ou une langue ancienne, des domaines où leurs capacités de concentration et leur souci du détail leur permettent de développer un savoir colossal, encyclopédique. Pour Julie Dachez, ce que les spécialistes nomment intérêt spécifique a donc été l’autisme en lui-même.
De quoi acquérir une expertise qui lui fait bousculer pas mal d’idées reçues sur ce trouble du neurodéveloppement, dont elle parle avec une acuité – mais aussi un sens de l’humour – redoutable. Pour la docteure en psychologie sociale, les intérêts spécifiques ne doivent ainsi pas être considérés comme un symptôme à combattre, mais comme un refuge, une stratégie d’adaptation (le « coping »). Elle a aussi beaucoup réfléchi sur l’autisme au féminin, qu’elle voit comme une « double peine » et qui est moins étudié que son pendant masculin. Parce que les signes s’expriment différemment et plus discrètement chez les femmes, elles passent plus souvent entre les mailles du filet diagnostique, souligne Julie Dachez, qui loue le travail de fond réalisé par l’Association francophone de femmes autistes (AFFA).
« Les femmes autistes ont de meilleures compétences de communication, elles ont moins de comportements répétitifs, et leurs intérêts spécifiques sont plus acceptables socialement que ceux des hommes », écrit-elle ainsi dans Dans ta bulle !.
De surcroît, elles deviennent « expertes en camouflage, en observant et en imitant leurs pairs ». Pour autant, elles « sont naïves et influençables, et elles ont des difficultés à décoder l’implicite et les intentions des personnes qui les entourent, ce qui fait d’elles des proies rêvées pour les prédateurs en tout genre, notamment sexuels », met-elle en garde.
Prendre conscience des différences
Son propre cas est emblématique de l’invisibilité de l’autisme au féminin. Dès l’enfance, ses parents l’amènent de généralistes en gastro-entérologues, car elle « somatise pas mal ». « Ils ont perçu mon anxiété, voire ma dépression, sans voir que c’était l’arbre qui cachait la forêt, raconte-t-elle. C’est souvent le cas chez les femmes autistes, car comme on internalise les difficultés de notre quotidien, on finit par développer divers troubles. » Le diagnostic, elle finira par le suspecter elle-même, avant de le faire confirmer par un spécialiste. La jeune femme a alors 27 ans.
Entre-temps, elle a fait une école de commerce « par défaut », travaillé quatre ans en entreprise – « surtout chez mon père, sinon ça aurait été intenable » –, avant de reprendre des études de psychologie et de choisir la recherche dans ce domaine.
A travers ses écrits, ses vidéos, Julie Dachez a clairement trouvé un public, aidé des personnes à prendre conscience de leur différence. « J’ai pleuré à plusieurs reprises en lisant Dans ta bulle !, témoigne son amie Julia March, qui l’a d’abord connue en lisant son blog. Julie est une pionnière de l’autisme au féminin, elle porte un message d’acceptation de façon très novatrice et unique. » Si les deux jeunes femmes ont en commun d’être « Aspie » et d’écrire, « Julie, c’est la gentille autiste avec un discours pédagogique, bienveillant, généreux. Moi, c’est tout le contraire. Mais on déteint l’une sur l’autre », sourit Julia March, auteure de La Fille pas sympa (éditions Seramis, 2017).
Sur les groupes Facebook réunissant des personnes Asperger, nombreuses sont les femmes qui remercient Julie Dachez, dont les vidéos leur ont révélé leur propre autisme.
Continuer à enseigner
« Il y a des gens pour qui La Différence invisible a fait tilt », assure aussi l’illustratrice Mademoiselle Caroline, qui a aidé sa coauteure à peaufiner son histoire. Les deux femmes ne s’étaient alors jamais vues. « On a travaillé surtout par mail. Au départ, son scénario était succinct, laissait peu de place à la découverte, alors je l’ai bombardée de questions pour comprendre son quotidien, ses rituels… C’était bizarre d’entrer ainsi dans l’intimité de quelqu’un que je ne connaissais pas », raconte la dessinatrice. Mademoiselle Caroline reste marquée par leur première rencontre dans la vraie vie.
« Je m’attendais à voir la fille de la BD, j’ai été épatée de découvrir une belle jeune femme à l’aise, bien fringuée, drôle. Elle m’a dit qu’elle avait beaucoup évolué depuis le diagnostic. »
Après six années consacrées presque exclusivement à l’autisme, Julie Dachez voudrait passer à autre chose, au moins pour un temps. Epuisée par les relations sociales, très coûteuses en énergie, elle a toujours besoin d’aménager son quotidien. Dans l’idéal, elle aimerait continuer l’activité d’enseignement, qu’elle adore et lui réussit bien, mais se demande si elle va trouver un poste d’enseignant-chercheur du fait de son profil atypique. « Dans les pays anglo-saxons, être chercheur sur un sujet qui vous concerne vous rend doublement légitime. En France, c’est l’inverse », souligne-t-elle. Pourtant, elle aimerait explorer d’autres sujets ambitieux au prisme de la psychologie sociale, comme, par exemple, les violences gynéco-obstétricales.
Pour l’heure, elle a un statut d’autoentrepreneur. « J’ai du mal à me vendre », reconnaît cette femme franche et entière. Cet été, elle s’est attelée à un roman. Sans personnage autiste, promet-elle. A suivre.
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