La philosophe a participé activement à l’Ecole de la cause freudienne fondée par son mari, le psychanalyste Jacques-Alain Miller
LE MONDE | | Par Elisabeth Roudinesco
Née à Antibes le 3 juillet 1941, Judith Miller, dernière fille de Jacques Lacan, est morte à Paris, le 6 décembre, des suites d’une maladie dégénérative. Lors de sa naissance, sa mère Sylvia, compagne de Lacan depuis 1938, était encore mariée à l’écrivain Georges Bataille. Et, de même, Lacan était encore civilement l’époux de sa première femme, Marie-Louise Blondin, dont il avait eu trois enfants, Caroline, Thibaut, Sibylle, laquelle se suicidera en 2013.
Pendant des années (jusqu’en 1964), Judith portera le nom de Bataille malgré le mariage de sa mère avec Lacan le 17 juillet 1953.
Adorée par son père
Après la Libération, Jacques Lacan achète un appartement à Paris, situé au 5 de la rue de Lille, qui deviendra ensuite son célèbre cabinet. C’est là qu’elle passera quelques années aux côtés de sa demi-sœur, Laurence Bataille, future psychanalyste.
Lacan avait une véritable adoration pour sa fille, qui le lui rendait bien. Il souffrait amèrement de ne pas avoir pu lui donner son nom dès sa naissance et il était ébloui par sa beauté, ses dons et sa virtuosité intellectuelle. Elevée au cœur de l’intelligentsia qu’il fréquentait, elle s’intégra au cercle de ses disciples, participant ainsi très jeune à l’essor de la pensée lacanienne. Elle fit ses études au collège Sévigné et fut reçue première à l’agrégation de philosophie.
Dans l’aventure de la Gauche prolétarienne
Mariée en 1966 à Jacques-Alain Miller, elle participa activement aux travaux des Cahiers pour l’analyse où étaient réunis de brillants normaliens qui cherchaient à donner un souffle intellectuel nouveau à la pensée lacanienne.
Engagée dans l’aventure de la Gauche prolétarienne, elle se trouva dans une situation délicate, en mars 1970, lorsqu’elle donna un entretien à Michèle Manceaux, journaliste à L’Express, qui préparait un livre sur les professeurs. Elle y faisait l’éloge de la révolution chinoise et se moquait de l’université, alors même qu’elle y enseignait : « Je m’attacherai à ce qu’elle fonctionne de plus en plus mal. » Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Pourtant, elle sera rayée de l’enseignement supérieur, qu’elle ne réintégrera que lors de l’arrivée de la gauche au pouvoir.
Courageuse et obstinée
D’une fidélité absolue à l’enseignement de son père, sans pour autant suivre une cure analytique, elle jouera un rôle considérable, pendant des années, dans l’Ecole de la cause freudienne (ECF), fondée en 1981 par son mari, coauteur des séminaires de son beau-père et détenteur du droit moral sur l’ensemble de l’œuvre de celui-ci. Elle s’occupera activement du Champ freudien, de toutes les rencontres internationales et de la diffusion de l’enseignement lacanien dans le monde entier.
Elle était aimée par tous les siens et appréciée pour son « dévouement sans limites » à sa famille et à son entourage, comme le souligne volontiers Catherine Clément qui fut pour elle une amie et une confidente. Elle faisait preuve en toutes choses d’un grand courage et d’une obstination qui forçait l’admiration. Pour les membres de l’ECF, elle incarnait avec noblesse la présence vivante du maître auquel elle avait voué son existence.
Un album de photos de Lacan
En septembre 1991, elle fit paraître un magnifique album de photos (Visages de mon père, Seuil), qui retraçait la vie de Lacan à travers des clichés en noir et blanc où apparaissaient, entre les lignes, tout à la fois des années de bonheur, des conflits familiaux d’une grande violence et des moments difficiles de l’histoire de la psychanalyse en France, dont elle ne souhaitait rien savoir au moment même où elle en livrait le témoignage :
« Un monument que je n’expose qu’après avoir examiné s’il était digne de la mémoire de mon père (…) Si je fais ainsi à vous lecteur, ce qui est pour moi un don, ce n’est pas parce que Jacques Lacan appartiendrait désormais à l’histoire à laquelle d’ailleurs il ne “croyait pas” mais parce que j’aimerais que son nom qui circule maintenant dans le discours universel, n’effaçât pas son image, ce qui reste de sa présence vivante. »
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