Patricia Blanc, présidente de l’association Imagine for Margo, appelle dans une tribune au « Monde » à revoir la réglementation pour contraindre l’industrie pharmaceutique à agir.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Patricia Blanc (présidente fondatrice de l’association Imagine for Margo)
Tribune. Notre fille Margo nous a quittés à 14 ans, à la suite d’une tumeur au cerveau qui n’a pas pu être soignée. Lorsque son cancer a été découvert, les médecins nous ont dit « le pronostic est très sombre, nous ne savons pas la guérir, il ne lui reste que quelques mois à vivre ». Comment accepter, en tant que parents, que le cancer frappe votre enfant, et que, en plus de cela, les médecins n’aient pas les moyens de le guérir ? Lorsqu’un adulte est atteint d’un cancer, de nombreux traitements existent, adaptés à chaque type de cancer. Pourquoi alors n’existe-il pas de traitements spécifiques pour les enfants ?
Pourtant, le cancer est la première cause de décès des enfants par maladie : un enfant sur 440 développe un cancer avant l’âge de 15 ans.
En Europe, 35 000 enfants et adolescents sont diagnostiqués d’un cancer chaque année, et 6 000 en meurent. Malheureusement, puisqu’il existe plus de soixante types de cancers d’enfants différents, chaque cancer pédiatrique est considéré comme une maladie rare, non prioritaire pour les industriels du médicament qui n’auraient pas de retour sur investissement s’ils s’y intéressaient.
La grande majorité des chimiothérapies utilisées en pédiatrie sont en fait des traitements développés pour les adultes, dosés en fonction du poids et de l’âge des enfants. Cette façon de soigner les enfants est souvent peu efficace, surtout dans le cas de certains cancers très agressifs, et laisse de lourdes séquelles, provoquant parfois des handicaps à vie.
La cancérologie vit actuellement des changements profonds avec plus de mille molécules en développement, de nouveaux traitements de médecine de précision et d’immunothérapie qui donnent beaucoup d’espoir. Pourtant, ces progrès significatifs ne bénéficient que très peu aux enfants, qui n’ont pas suffisamment accès aux traitements innovants contre le cancer.
Pertes de chances
C’est pourquoi l’association Imagine for Margo, depuis sa création en 2011, avec d’autres grands acteurs de la recherche contre le cancer comme l’Institut national du cancer, la fondation ARC, la Ligue contre le cancer, et d’autres associations de parents, finance des programmes de recherche pour les enfants atteints de cancer afin qu’ils puissent avoir accès aux innovations comme la médecine de précision et l’immunothérapie, dans le cadre d’essais cliniques pédiatriques sécurisés. Plus de 2 200 enfants vont bénéficier de ces programmes qui permettront de mieux adapter les traitements.
Cependant, cela n’est pas suffisant : l’investissement des industriels en oncologie pédiatrique est plus que nécessaire pour vraiment changer d’échelle. Or le règlement européen sur les médicaments pédiatriques (CE, n° 1901/2006), tel qu’il est rédigé aujourd’hui, permet aux industriels de développer des molécules anticancéreuses pour les adultes sans les développer en parallèle pour la pédiatrie, alors qu’elles pourraient être efficaces pour certains cancers d’enfants.
Cela constitue des pertes de chances considérables pour les enfants atteints de cancer. En dix ans, seulement trois nouveaux médicaments ont été développés en oncologie pédiatrique. Il est urgent de modifier le règlement et de mieux l’appliquer afin que les industriels développent également leurs molécules en pédiatrie, si le mécanisme d’action du médicament peut bénéficier aux enfants.
Action au niveau européen
En 2016, ces lacunes du règlement ont été dénoncées par les associations européennes de parents réunies sous l’alliance Unite2Cure, en collaboration avec les chercheurs et onco-pédiatres de la Siope (Société européenne d’oncologie pédiatrique). Une résolution avait été votée par le Parlement européen en décembre 2016 afin d’améliorer le règlement pédiatrique. Pourtant, dans son rapport d’évaluation du règlement pédiatrique récemment publié, la Commission européenne ne fait que reconnaître les problèmes liés à l’oncologie pédiatrique mais n’a pas souhaité modifier le règlement et ne propose aucune action concrète avant les prochaines élections en 2019.
Aux Etats-Unis, le RACE for Children Act a été voté par le Congrès en août pour obliger les industriels à réaliser des essais cliniques selon le mécanisme d’action du médicament, ce qui va bénéficier aux enfants atteints de cancer. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose en Europe ?
Lundi 4 décembre 2017, 43 associations de parents de vingt pays européens ont adressé une lettre ouverte au commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, afin de l’alerter sur l’urgence à agir, concrètement et ensemble, en faveur des enfants atteints de cancer. Cela démontre que la mobilisation des associations au niveau européen se renforce pour faire bouger les lignes. Nous ne pouvons pas laisser les lenteurs administratives européennes freiner la recherche au détriment des enfants.
Il est important de se mobiliser, tous ensemble, pour que la recherche en oncologie pédiatrique avance plus vite et profite des investissements dont elle a besoin, afin que les enfants atteints de cancer soient mieux soignés, avec des traitements plus adaptés, et qu’un jour, tous puissent être guéris.
Patricia Blanc, présidente fondatrice de l’association Imagine for Margo et cofondatrice de l’alliance Unite2Cure
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