Nos caractéristiques individuelles ne seraient pas portées par une poignée de variations génétiques, mais par des centaines de milliers. Bienvenue dans l’ère « omnigénique ».
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Hervé Morin
Depuis dix ans, environ 400 études génétiques, impliquant chacune plus de 10 000 personnes – et pour certaines plus de 200 000 –, ont été lancées. Dites d’« association pangénomique » (« Genome-Wide Association Studies » ou GWAS), elles visent à comparer un grand nombre de génomes dans l’espoir de faire émerger des corrélations entre certains profils génétiques et des maladies complexes, comme le diabète ou la schizophrénie. Une étude récemment publiée dans la revue Cell par trois chercheurs de Stanford explore certaines limites des GWAS.
Jonathan Pritchard et ses collègues proposent un modèle dit « omnigénique » pour rendre compte de résultats déconcertants des études pangénomiques : malgré la puissance statistique offerte par des cohortes toujours plus vastes, les associations génétiques les plus fortes qui émergent n’expliquent en général qu’une petite part de l’origine des maladies – même si elles ont par exemple aidé à décrypter l’origine génétique et les processus moléculaires dans la maladie de Crohn ou le rôle de certains gènes du système nerveux central dans l’obésité. Le caractère polygénique de certaines pathologies tranchait avec l’équation « un gène muté = une maladie », un cas relativement rare.
Etudes à grande échelle
Mais le trio de Stanford va plus loin en s’intéressant à un caractère – la taille – qui présente de grandes variations au sein d’une population. Une étude avait montré en 2014 que 697 mutations génétiques expliquaient 16 % de la variation de taille. Reprenant les données, ils estiment qu’environ 100 000 modifications ponctuelles dans l’ADN ont chacune un effet moyen de 0,14 mm sur la taille d’un individu. « Nous concluons qu’il existe un très grand nombre de variants ayant un effet minuscule sur la taille, qui plus est distribués de façon très large au sein du génome, écrivent Pritchard et ses collègues. Plus généralement, l’héritabilité des caractères complexes et des maladies est répartie dans l’ensemble du génome. » Et pas seulement dans les tissus impliqués directement dans les maladies. Cet « omnigénisme » va compliquer la compréhension de certaines pathologies. Et contrarier les ambitions eugénistes des promoteurs des « bébés parfaits ».
Philippe Froguel (CNRS-université de Lille, Imperial College, Londres), pionnier des GWAS sur le diabète, estime que « cette proposition, intéressante sur le plan conceptuel, ouvre un débat salutaire sur les limites de ce type d’étude à grande échelle ». Lui-même s’est désengagé de l’approche pangénomique, pour se concentrer sur l’élucidation des mécanismes cellulaires liés à l’activité des gènes mis au jour par les GWAS. « Les statisticiens jonglaient avec ces big data, mais on se rend compte qu’il faut refaire de la biologie, de la physiologie » pour comprendre les maladies, souligne-t-il.
Stéphane Jamain (Unité 955 Inserm, Créteil), impliqué dans des GWAS sur la schizophrénie et la bipolarité, salue l’étude américaine. Mais il souligne que, dans la taille comme dans les maladies mentales, « on a vraisemblablement affaire à des “phénocopies”, des caractères qui se ressemblent mais ont des causes différentes ». L’enjeu pour les GWAS sera « de définir des sous-groupes de malades selon des caractères biologiques et cliniques pour proposer des stratégies thérapeutiques spécifiques ».
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