Dans sa tribune au « Monde », Luc Perino, médecin généraliste et écrivain, plaide pour une vaccination libre et responsable pour améliorer la couverture de la population.
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Par Luc Perino, médecin généraliste, écrivain
TRIBUNE. Ceci est une lettre à notre nouvelle ministre de la santé. La vaccination est la plus belle victoire de la médecine. La plupart des vaccins affichent un ratio bénéfices/risques largement supérieur à tous les autres médicaments et présentent un coût bien plus faible par année-qualité de vie gagnée. Vous affichez donc logiquement une volonté d’améliorer la couverture vaccinale dans notre pays. Quel professionnel de santé responsable pourrait penser autrement ?
Plus encore que les autres politiques, celle de la santé publique nécessite une adaptation aux subjectivités citoyennes. L’histoire nous montre que toute erreur dans une politique vaccinale se paie par un recul de la couverture vaccinale, non seulement pour le vaccin considéré, mais aussi pour d’autres.
L’hygiénisme social et les obligations vaccinales du XIXe siècle ont contribué à nos acquis sanitaires et sociaux. Il n’est pas question ici de dénigrer les politiques sanitaires de nos ancêtres, mais nous sommes très loin de cette époque et les temps ont beaucoup changé.
Décision contre-productive
Le gouvernement auquel vous appartenez affiche clairement sa volonté de donner la priorité à l’éducation, seule capable de promouvoir une société libre et responsable. Une généralisation des obligations vaccinales, dans un tel contexte, apparaît d’emblée comme antinomique. Mais au-delà de cette antinomie, il nous semble qu’une telle décision serait contre-productive pour de multiples raisons.
N’oublions pas que ce sont les obligations vaccinales historiques qui ont fait le terreau des sectes antivaccinales dont vous ne pouvez ignorer le pouvoir de nuisance. Une généralisation des obligations leur fournirait un nouvel élan. Leur raisonnement binaire s’inscrit dans la montée des populismes (le chômage est dû à la mondialisation, ou encore le terrorisme est dû à l’immigration).
En matière sanitaire, cette confusion entre corrélation et causalité peut être encore plus dévastatrice : les sectes ne se privent jamais de faire le lien entre tout événement pathologique survenant après un vaccin et le vaccin lui-même.
Par ailleurs, le mot « obligatoire » est progressivement devenu tabou dans notre pays et il n’est pas de nature à apaiser les esprits dans le domaine sensible de la vaccinologie.
« Certains peinent à comprendre l’intérêt
d’une vaccination pour une maladie presque disparue. Seule l’éducation peut apporter une réponse à ce paradoxe apparent »
Fort heureusement, malgré la montée des populismes, notre pays conserve un haut niveau d’éducation. Il se trouve que cet avantage se révélerait également être un problème pour élargir les obligations vaccinales. En effet, nos concitoyens ont bien remarqué que la promotion des vaccins, traditionnellement réservée aux institutions et aux médecins, est de plus en plus usurpée par les industriels qui, après avoir longtemps délaissé le marché de la vaccination, en ont récemment découvert les promesses.
La mise en place d’obligations administratives pour des produits largement promus par le marché privé serait inévitablement assimilée à une collusion d’intérêts. Cela est la rançon d’un haut niveau d’éducation…
Il y a seulement quelques décennies, lorsque les médecins en étaient les seuls promoteurs, fervents et discrets, des vaccins non obligatoires tels que rougeole, oreillons, rubéole, coqueluche, méningite à Haemophilus, etc., ont été mis en place avec des taux de couverture identiques à ceux des vaccins obligatoires. Cela prouve que l’éducation, l’information éclairée et la confiance en son praticien peuvent faire beaucoup mieux que toutes les obligations. Tout particulièrement dans un pays peuplé de Français
L’éducation comme seule réponse
Les vaccins sont victimes de leur succès et ils ont changé la sociologie de la vaccination. Certains peinent à comprendre l’intérêt d’une vaccination pour une maladie presque disparue. Seule l’éducation peut apporter une réponse à ce paradoxe apparent.
Mais la sociologie vaccinale a changé dans notre pays, bien au-delà de ce que l’on pouvait ainsi prévoir. Ne donnons qu’un exemple. Le mélange dans une même seringue de vaccins obligatoires et non obligatoires existe depuis longtemps, mais ce n’est que tout récemment que ces mélanges ont provoqué interrogations, suspicions et contestations.
De tels questionnements résultent de plusieurs facteurs, parmi lesquels on peut citer le travail habile de sectes antivaccinales, une confusion grandissante entre santé publique et santé marchande, et des erreurs de communication, comme celle autour du H1N1.
Supprimer toutes les obligations vaccinales présenterait assurément plusieurs avantages : priver les sectes antivaccinales de leur meilleure arme ; éviter les suspicions de collusions d’intérêts ; redonner la première place à l’information et à l’éducation qui ont grandement fait leurs preuves en ce domaine.
Enfin, la vaccination devenant un acte responsable et libre permettrait de combler le fossé entre science et justice dans le domaine de la santé. Citons, entre autres, ce cas où l’Etat français a été condamné à verser une forte indemnisation à une infirmière ayant développé une sclérose en plaques peu après une vaccination obligatoire contre l’hépatite B.
Madame la Ministre, nous partageons votre inquiétude devant la baisse de certaines couvertures vaccinales et nous louons votre intention d’y remédier. Mais l’extension des obligations vaccinales n’est certainement pas une réponse adaptée à notre pays.
Luc Perino est aussi l’auteur du blog « Pour raisons de santé ».
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