Face au plafond de 4 % de réussite aux concours français, les étudiants sont chaque année plus nombreux à passer la frontière belge pour intégrer les hautes écoles et universités belges.
LE MONDE ECONOMIE | | Par Camille Thomine
Du jour où elle a reçu le feu vert de la Haute Ecole de la ville de Liège (HEL) pour s’inscrire en « logopédie », appellation belge de l’orthophonie, Talitha Puech n’a eu que quelques jours pour plier bagage et dénicher, sans même l’avoir vu, un logement en Wallonie. C’était en 2015.
Aujourd’hui étudiante en deuxième année, elle alterne vingt-trois heures de cours et deux jours de stage, où elle soigne neuf patients en totale autonomie. Un rythme « intensif » qu’elle ne regrette aucunement. Après une première erreur d’orientation et un échec aux concours d’orthophonie en France, « reperdre une année » était inenvisageable.
Aux frais d’inscription des épreuves (80 euros par école en moyenne) s’ajoutaient ceux des déplacements, de l’hébergement et d’une très recommandée classe préparatoire, environ 3 000 euros pour six à neuf mois d’entraînement. « Etant boursière, je ne pouvais pas », explique-t-elle.
Limité à 30 % de non-résidents
Face au plafond de 4 % de réussite aux concours français, les étudiants sont chaque année plus nombreux à passer la frontière belge pour intégrer les cursus ouverts des Hautes Ecoles (en trois ans) ou de l’Université (en cinq ans). Une solution si prisée qu’en juin 2006, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles promulguait un décret limitant à 30 % la proportion de non-résidents. Levée en 2011, la mesure avait fait son retour dès 2013 pour contrer le flux de Français inscrits dans l’intervalle – jusqu’à 80 % de la promotion de l’Institut libre Marie-Haps de Bruxelles en 2012-2013.
Pour les candidats français commence alors le parcours du combattant, se souvient Talitha. Pour participer au tirage au sort des 30 %, il faut d’abord débourser 200 euros pour faire valider son baccalauréat. Puis patienter quatre heures en file d’attente pour espérer poser son dossier lors d’une des trois seules matinées prévues à cet effet. Enfin croiser les doigts et prévoir un plan de secours… Pas étonnant, ensuite, que les étudiantes françaises se montrent les « plus assidues », comme s’en amusent les professeurs.
« Je me mettais une pression pas possible pour ne pas redoubler », raconte Solène Demarthe, également passée par une Haute Ecole belge. Avec l’inéligibilité en cas de deuxième échec aux concours français et l’interdiction de s’inscrire simultanément à plusieurs tirages, l’exclusion des redoublants fait partie des mesures visant à contenir l’afflux d’Hexagonaux. « Certains bricolent de faux contrats de travail pour prétendre n’avoir passé le concours qu’une fois », explique Solène. D’autres, comme l’une de ses amies, travaillent dans un McDonald pour obtenir le statut de résident belge, délivré après quinze mois de travail dans le pays.
Passée par une classe préparatoire et une dizaine de concours, la jeune femme a encore manqué deux loteries avant de gagner son entrée en Belgique. Pourtant, c’est au retour en France que le « pire » l’attendait.
Le diplôme à bac + 5 depuis 2013
Comme la formation diffère et dure moins longtemps outre-Quiévrain, les étudiants héritent de « stages compensatoires » une fois revenus. « Le problème c’est qu’ils sont fractionnés en plein de disciplines : 30 heures à valider auprès d’autistes, 30 auprès de sourds, 80 en laryngectomie… Pour certains, il fallait compter huit mois d’attente ! », se rappelle Solène.
Un délai aujourd’hui aggravé par la désertion du secteur public, où les orthophonistes réclament depuis quatre ans une revalorisation de leurs salaires, bloqués à l’échelon bac + 2 alors que le diplôme s’obtient à bac + 5 depuis 2013.
L’intégralité du magazine « Le Monde-Campus » est téléchargeable ici :
Tandis que certaines consœurs titulaires se montrent « compréhensives » en validant des formations au-delà des heures effectives, d’autres, en revanche, ne cachent pas leur dépit. « Si vous comptiez exercer en France, pourquoi ne pas y avoir fait vos études ? », s’est vu répondre Solène à une demande de stage.
Une situation absurde au regard des besoins : à l’heure actuelle, la densité moyenne est de 3,7 orthophonistes pour 10 000 habitants et l’attente, pour les patients, varie de six à dix-huit mois. Installée dans un cabinet de Vénissieux (Rhône) depuis un an et demi, Solène commence tout juste à rappeler des personnes inscrites sur liste en… juillet 2016.
« Le Monde Campus. Formation. Recrutement. Carrière », supplément du « Monde », 60 pages. Distribué gratuitement sur les campus universitaires, dans les grandes écoles ou lors de manifestations étudiantes auxquelles « Le Monde » participe, ce supplément semestriel du « Monde » traite des sujets de formation, de recrutement, de carrière et d’emploi qui concernent les jeunes hauts diplômés. Pour accéder au PDF du « Campus » :
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