La santé publique est pour lui comme une évidence. François Bourdillon a pris les rênes de la nouvelle agence nationale de santé publique. Inscrite dans la loi de modernisation du système santé de décembre 2015, cette agence a été juridiquement créée le 1er mai par décret. Son nom : Santé publique France.
Pas simple de fusionner plusieurs entités : l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), qu’il dirigeait tous deux, et l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), qui compte 2 500 réservistes mobilisables. A cela s’ajoute une structure appelée Adalis (Addictions drogues alcool info service).
Dans les faits, François Bourdillon s’y attelle depuis dix-huit mois. Les 600 agents seront regroupés, le 1er janvier 2017, dans le siège actuel de l’InVS, qui comprend le château de Vacassy, en bordure du bois de Vincennes. François Bourdillon a obtenu la garantie de ne pas toucher en 2016 au nombre de postes ni au budget, qui a déjà été réduit les années précédentes.
Veiller à la sécurité sanitaire et de gérer les crises
Son modèle : les Centers for Disease Control and Prevention américains ou le Public Health England, qui allient l’épidémiologie et la prévention. De quoi s’agit-il ? D’abord de veiller à la sécurité sanitaire et de gérer les crises, en lien avec les agences régionales de santé, les professionnels de santé et la société civile, « la direction générale de la santé étant le chef d’orchestre ». François Bourdillon le sait, les week-ends et les nuits peuvent être sacrifiés, comme pour la crise Ebola où les agents de l’InVS ont été sur le pont 24 heures sur 24 pendant un an et demi, ou pour Zika, qui mobilise actuellement une douzaine d’épidémiologistes. Il faut savoir lancer l’alerte aux autorités de santé : ne pas être alarmiste mais réagir quand besoin est.
Ces alertes ne concernent pas seulement le domaine des maladies infectieuses, mais aussi la santé environnementale ou un épisode de canicule, un pic de pollution atmosphérique, etc. « A chaque alerte, nous sommes potentiellement porteurs de mauvaises nouvelles, ce qui met sous tension », reconnaît François Bourdillon. On en compte en moyenne deux par semaine.
Cet homme chaleureux adore expliquer, transmettre. Il donne encore quelques cours à la chaire santé de Sciences Po. Il avait même dépoussiéré la Société française de santé publique, la plus ancienne société savante, créé en 1877, qu’il a présidée de 2005 à 2011, en lui faisant jouer un rôle dans le débat public, ce que louent ses pairs.
« Météo des maladies »
Il est également sur le front de la surveillance des maladies saisonnières. Son souhait : que chaque professionnel puisse disposer d’ici à deux ans sur son smartphone de la « météo des maladies » pour avoir en temps réel la carte de la grippe, de la gastro-entérite, la bronchiolite… Ces données existent mais sont selon lui sous-valorisées.
Santé publique France pilotera aussi la prévention. « La santé publique est le parent pauvre en France, où la médecine curative reste l’alpha et l’oméga. La prévention n’était pas intégrée par le corps médical. Il a fallu des crises sanitaires, comme celle du sang contaminé en 1995, et l’influence du mouvement associatif, pour inverser un peu la tendance », analyse Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences Po, pour qui « François Bourdillon est l’un des médecins qui incarnent le plus la santé publique en France ». « Il est très proche du terrain et a une véritable hauteur de vue », ajoute le professeur Frédéric Tankéré, chirurgien ORL à la Pitié-Salpêtrière.
Pour inverser la tendance sur la prévention, François Bourdillon insiste sur la nécessité d’être pédagogue. « Face à un courant anti-vaccinal très fort, il faut trouver les bons moyens pour s’adresser à la société civile », assure-t-il. Pour réduire le tabagisme, où la France est mauvaise élève (30 % de fumeurs), François Bourdillon veut lancer une vaste opération « moi(s) sans tabac », en novembre, sorte de Téléthon du tabac. « C’est la première grande expérience de marketing social », se réjouit-il.
Un parcours marqué par les années sida
La prévention, il connaît. En 2001, lorsqu’il intègre le cabinet de Bernard Kouchner, alors ministre de la santé, c’est pour y mettre en œuvre une méthode de santé publique et des plans pour Alzheimer, le diabète, etc. « Pas moins de 22 plans de santé publique ont été conçus à ce moment-là, dont le Plan national nutrition santé, ce qui était une première… », se souvient Didier Tabuteau, alors directeur de cabinet.
Le choix de diriger Santé publique France est, pour François Bourdillon, l’aboutissement logique d’un parcours marqué par les années sida. Après avoir coordonné l’accueil des réfugiés d’Asie du Sud-Est pour l’association Migrations Santé, en 1980, il a commencé sa carrière de clinicien dans deux hôpitaux de l’AP-HP. En 1993, il a pris la tête de la mission sida à la direction des hôpitaux. Son rôle : adapter l’offre de soins à l’épidémie. « A cette époque, elle était incontrôlable, se souvient-il. Il a fallu construire un système d’information : savoir où les malades se faisaient soigner et à quel stade de la maladie, renforcer les moyens en personnels… »
Les questions de prévention sont pour la première fois abordées et mises en avant. C’est aussi le début de la démocratie en santé avec les associations Aides, Act Up, etc. En 2006 et jusqu’en 2014, il devient vice-président du Conseil national du sida. Il a continué ses consultations à la Pitié, un jour par semaine… jusqu’à ce qu’il soit nommé directeur général de l’InVS, en août 2014. « Ne plus recevoir les malades me manque, ça vous remet au bon endroit », regrette-t-il. Il a aussi abordé le sida à Médecins sans frontières dans les années 1980.
Commission des événements indésirables graves
Après le cabinet Kouchner, il reprend un poste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière en 2003, où il devient chef de pôle en 2011. Il reste le seul à un tel poste à ne pas être professeur des universités (PUPH), le nec plus ultra dans la carrière d’un médecin hospitalier. Chargé de la gestion des risques à l’hôpital, il contribue à la mise en place d’une commission des événements indésirables graves (suicide, mort inexpliquée…). Le but était d’identifier les dysfonctionnements et d’améliorer la qualité des soins. « Il manque encore dans cette commission », explique Frédéric Tankéré, qui dirige cette structure. « C’est quelqu’un de disponible, très affectif dans ses rapports humains. Il considère les gens avec lesquels il travaille », ajoute-t-il.
« Exigeant avec lui-même et avec les autres, c’est un grand professionnel qui se fait respecter, explique Philippe Grenier, président de la Commission médicale d’établissement de la Pitié-Salpêtrière. Il a aussi un grand sens de l’éthique et de la probité. » François Bourdillon a ainsi désamorcé des conflits à la Pitié, les rivalités entre les services étant parfois tenaces dans cet univers hospitalo-universitaire. Dans tous les cas, « c’est un travail d’équipe, l’individu doit s’effacer », dit-il. « Il est toujours sur le fond des sujets et pas sur la forme, et jamais dans le pouvoir, ce qui est plutôt rare », confirme Esmeralda Luciolli, médecin de santé publique, qui l’a rencontré dans les années 1980 alors qu’ils étaient tous deux médecins dans des associations. Elle le décrit aussi comme « très fidèle, présent, disponible », un militant de la santé publique.
Né à Conakry (Guinée), François Bourdillon a toujours voulu être médecin. C’est une longue tradition familiale – à laquelle son père, polytechnicien, et sa mère, professeure de latin et de grec, ont seuls dérogé. Son fils cadet Pierre, neurochirurgien à Lyon, est la cinquième génération, et Nicolas, l’aîné, physiologiste, travaille à Lausanne. Sa femme est également médecin, pédopsychiatre à Sainte-Anne, à Paris. Il s’adonne à la généalogie et a même créé un site de la famille Bourdillon, où figurent d’illustres ancêtres.
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